Par Abdelhamid GMATI Dès son élection à la présidence de la République, Béji Caïd Essebsi avait prôné la concertation. Encouragé par les résultats du Dialogue national qui avait permis de sortir d'une situation politique bloquée, il avait choisi de poursuivre sur la même voie. Tenant compte des résultats des législatives qui n'accordaient pas à son parti une majorité absolue, il opta pour la coopération et la participation des principaux partis ayant obtenu le plus de suffrages. Il pouvait ainsi compter sur une majorité confortable à l'ARP, ce qui lui permettait de mettre en œuvre son programme et les réformes requises. Cette option a fortement mécontenté un grand nombre de ses électeurs et de Nida Tounès, qui par leurs votes voulaient éloigner le mouvement islamiste Ennahdha du pouvoir. Il est vrai que les Tunisiens ont vécu 4 années de remous et d'incertitudes avec des institutions provisoires et ils aspiraient à un peu de calme et... d'espoirs. Donc, Ennahdha était associé au pouvoir. Dans les faits, on avait, certes, évité la confrontation de front de deux modèles de société, mais point de calme. Les manifestations se sont multipliées, les grèves aussi, de même que les attentats terroristes. La situation économique est plus qu'alarmante et la vie politique n'est certainement pas stable. D'où un certain pessimisme de la population. En théorie, le choix de Caïd Essebsi est défendable. On pouvait même se dire que l'approche participative et consensuelle dans la gestion de la chose publique s'imposait. Mais encore faut-il que les partenaires jouent le jeu et ne poursuivent pas, en parallèle, des objectifs partisans. Les observateurs notent que le mouvement Ennahdha agit en même temps comme partenaire du pouvoir et comme opposant. Un exemple parmi tant d'autres : le projet de loi de réconciliation économique a été discuté puis adopté en conseil des ministres. Ennahdha, en tant que membre actif du gouvernement, y a pris part et a certainement fait part de ses positions et probablement apporté certains amendements. Cela n'empêche pas un des leaders du mouvement islamiste, Abdellatif Mekki, de déclarer : « La version actuelle ne répond pas aux principes du mouvement, notamment à celui de l'équité. Si cette loi passe sous sa forme actuelle, on devra libérer tous les prisonniers qui sont condamnés pour vol ou mauvaise gestion»; et il ajoute : «Cette loi les confronte (lui et son parti) à une limite morale». On s'interroge sur la solidarité du gouvernement et sur l'efficacité de ses décisions. Autre exemple : Béji Caïd Essebsi s'est dit «inquiet» face aux pratiques imposant le port du voile aux fillettes. «Il est inadmissible que l'on puisse imposer à une fille de quatre ans de porter le voile, un comportement contraire aux règles du CSP (Code du statut personnel) et aux droits de l'enfant». Le même nahdhaoui, Mekki, répond que « la question du voile soulevée par le chef de l'Etat n'est qu'une invention puisqu'en réalité personne n'oblige des fillettes de quatre ans à porter le voile... Ceci s'inscrit dans la même démarche adoptée par le ministère des Affaires religieuses à travers ses procédures abusives envers des imams indépendants ». Et il ajoute que « le discours de Béji Caïd Essebsi révèle ses intentions futures en créant des tiraillements autour des questions d'ordre religieux ». Il faut croire qu'Ennahdha ne veut pas qu'on touche à ses acquis fondamentaux et en premier lieu à la confusion entre la politique et la religion. Le président du mouvement, Rached Ghannouchi, ne cesse de rassurer l'étranger sur son projet de « démocratie islamique », inspiré de la « démocratie chrétienne » occidentale. Cela ne l'empêche pas d'affirmer que l'Etat tunisien est un Etat islamique ». Un autre leader du mouvement, Abdelfattah Mourou, a rencontré le 14 août, au Liban, Ibrahim Al Masri, secrétaire général de la Jamaâ islamiya, un groupe politique islamiste de la mouvance des Frères musulmans. Il a soutenu : « La révolution industrielle en Europe a abouti au concept des droits de l'Homme qui divinise l'Homme. Une perception que nous, musulmans, et l'ensemble des croyants ne partageons pas. L'Islam a honoré l'homme non parce qu'il appartient au genre humain, mais c'est parce qu'il est l'héritier de Dieu sur terre ». De plus, cette recherche coûte que coûte du consensus donne lieu à de l'attentisme, à une absence d'action et de décision de la part des gouvernants. C'est comme si l'Etat était absent. Ce qui donne lieu à tous les abus. L'imam Férid El Béji affirme que « la fille musulmane pubère, même si elle est âgée de onze ans et qu'elle suit des études primaires, est dans l'obligation, suivant la législation islamique, de cacher ses cheveux et tout son corps, excepté le visage et les mains. Il a ajouté que celui qui essayerait d'empêcher cela provoquerait une discorde et une anarchie dans la société qui affaibliraient la lutte antiterroriste... L'Etat ne pourrait pas interdire le port du voile. Et il met en garde « les politiques de s'immiscer dans la question religieuse ». Pour ne pas être en reste de défier l'Etat et les lois, Mastouri Gamoudi, du syndicat général de l'enseignement de base, déclarait vendredi dernier que « la loi antiterroriste a été votée sur mesure, pour contrer les revendications des instituteurs et pour réprimer leurs manifestations », et il menace : « Les manifestants ne se plieront pas à l'état d'urgence et continueront à mener leurs actions ». Il est vrai que le gouvernement a cédé au chantage des syndicats de l'enseignement puisqu'il est revenu sur sa décision de procéder à des prélèvements des jours de grève sur les salaires des instituteurs, des agents de la santé, des directeurs des écoles et leurs assistants. C'est bien beau de prôner le calme et la quiétude. Mais l'autorité de l'Etat doit s'affirmer, c'est-à-dire que le président de la République et le gouvernement doivent faire preuve d'audace et de détermination. Car il ne faut pas prendre ses désirs pour de la réalité. Bourguiba affirmait que « Al Houdou wa assakina » (grossièrement traduit par « la calme et la quiétude ») ne mènent qu'à des situations négatives, voire catastrophiques. Il parlait du Vieux Destour qui, par son attitude attentiste, ne faisait pas évoluer la question nationale face au colonialisme. Ce qui l'avait amené à créer le Néo-Destour qui eut l'audace d'affirmer la détermination de la Tunisie d'acquérir son indépendance. Ne vivons-nous pas une situation similaire ?