Par M'hamed JAIBI Quand donc va-t-on enfin, chez nous, privilégier le bien-être et le confort du citoyen, cet objectif majeur rejoignant autant la liberté que la dignité, valeurs majeures de notre révolution populaire, aux lieu et place de cette épée de Damoclès suspendue au-dessus de nos têtes, nous signifiant que notre citoyenneté est en liberté provisoire. Dignité signifie pleine citoyenneté et liberté de mouvement effective, dans le cadre bien compris du respect des lois et de l'intérêt général. Et liberté veut dire autonomie citoyenne et quiétude, dans le respect d'autrui et de l'ordre public. Interdit de quitter le pays La récente déconvenue subie par un jeune juriste, honnête citoyen, en partance pour l'étranger, à Tunis-Carthage, illustre bien l'énormité des pas que nous avons à franchir en matière de réformes citoyennes, et le peu de cas que certaines formalités et procédures prétendument sécuritaires font du bien-être et du libre confort du citoyen. Il se trouve, en fait, qu'aucun Tunisien, quels que soient son statut social, sa richesse ou son indigence, son métier ou sa place dans la société, n'est en mesure d'affirmer sereinement qu'il pourra circuler en liberté ou quitter librement son pays quand il le voudra, s'il se trouve être en possession d'un véhicule automobile ou s'il lui arrive d'en conduire un, même très occasionnellement. Car nous sommes tous à la merci d'un excès de vitesse ou d'une amende quelconque non perçue, infractions minimes qui peuvent, pourtant, fermer, devant nous, les frontières du pays, voire nous conduire en prison. D'autant que ni les avis ni les convocations ni les décisions de justice ne parviennent, chez nous, au justiciable. Ce, alors que le système informatique des recettes des finances et le site Internet, mis en ligne à cet effet, s'avèrent souvent inefficaces, de sorte que même le citoyen le plus consciencieux ne puisse pas toujours être en mesure de régulariser sa situation (retard dans la mise à jour du système, erreurs de transcription...). Une simple infraction de la route La mésaventure du jeune juriste en question est édifiante. L'ordinateur au niveau du filtre de la police des frontières faisait état d'un citoyen portant en tous points le même nom, qui a fait l'objet d'un jugement par contumace datant de 2008 pour excès de vitesse. Mais le numéro de la carte d'identité fait défaut, ce qui a donc empêché — s'il s'agit bien de lui — notre jeune juriste de payer son amende à la recette des finances, où il s'était rendu en de nombreuses occasions durant les sept dernières années, notamment à la veille de chaque voyage. Mieux, il avait pris la peine de vérifier auprès du service informatique des tribunaux, s'il faisait l'objet d'une décision de justice pour infraction routière — forcément par contumace — le condamnant à une amende, et avait constaté, soulagé, à la saisie de son numéro de carte d'identité, que le système ne faisait mention d'aucune condamnation le concernant. Un avis de recherche indétectable C'est donc tout confiant qu'il s'est rendu à l'aéroport avec sa petite famille pour de petites vacances bien méritées. Mais lorsque l'agent du filtre sécuritaire a saisi son nom au complet, une amende requise suite à une condamnation en justice s'est affichée. D'où, normalement, une mise aux arrêts immédiate. Ce, alors que la loi prévoit une totale prescription de la peine au bout d'un an. Que dire, alors, de sept années pleines. Le jeune avocat n'a pu voyager et sa place dans l'avion de Tunisair est restée vide, accentuant au passage le déficit de la compagnie nationale. Même si, étant avocat, il a pu éviter la mise aux arrêts automatique prévue en pareil cas, il a dû renoncer à son voyage pour se rendre dare dare au tribunal pour régulariser sa situation, se faire établir une attestation de cessation des recherches et veiller à la faire verser par la police dans son système informatique. On humilie des citoyens sans problème Ainsi, et alors que nos sécuritaires et militaires s'échinent à détecter et dénicher les terroristes menaçant la sécurité nationale, au prix de risques mortels, l'on perd son temps et sa concentration à traquer et humilier des citoyens sans problèmes, à leur occasionner une «belle frousse» et à leur ôter pour un temps leur liberté de circuler si chère, avec tout ce que cela implique comme désagrément pour toute la famille et exaspération du sentiment d'être peu de chose aux yeux du système. Surtout que les dizaines de dinars de l'amende en question — indûment perçus, puisqu'il y a prescription — ne vont pas enrichir l'Etat et ne peuvent, en aucune manière, avoir conduit l'«accusé» à vouloir quitter définitivement le pays pour en fuir la justice, seule hypothèse qui aurait pu justifier une telle mesure radicale. Une privation de liberté que rien ne justifie Rien, en fait, ne devrait justifier les privations de liberté pour de simples infractions ou pour non-acquittement d'une amende, d'autant plus que les intéressés n'en sont pratiquement jamais informés. L'impératif de réformer le fonctionnement de la justice sur ces questions, en mettant en place des procédures fiables garantissant l'information effective, et à temps, du justiciable, s'imposerait, donc, aujourd'hui, avec force. Et il faudrait aussi se mettre d'accord sur le fait que la liberté est le premier droit de l'Homme, le plus cher et le plus inviolable. Sauf si l'on est un criminel ou un terroriste avéré. Un droit que l'Etat est en devoir de préserver et de garantir par un dispositif législatif performant, des procédures efficaces et une action bienveillante au quotidien.