La pièce de théâtre algérienne « Derb Etabana » (La voie Lactée), produite par la coopérative culturelle et artistique les Amis de l'art de Chlef, est passée inaperçue dans le cadre de la 17e édition des JTC. Elle ne figure nulle part dans le programme, et ce, en raison d'une mauvaise coordination entre la direction des JTC et le ministère de la Culture algérien. C'est donc en présence d'une poignée de spectateurs, qui ont pris connaissance, tout à fait par hasard, de la représentation de cette pièce à El Hamra, qu'elle a été donnée. Pourtant, elle aurait pu créer l'événement du festival et attirer un grand public, si sa programmation avait été faite correctement. Faire venir une troupe d'un pays à un autre pour jouer devant une salle vide est une grosse erreur. La perte d'identité La pièce adaptée de l'œuvre éponyme du dramaturge et scénariste allemand Karl Wittlinger (1922-1994) et mise en scène par Missoum Laroussi a tout pour plaire. Une pièce populaire, dans le sens le plus noble du terme, en dialecte algérien croustillant, une mise en scène éclatée qui interpelle les spectateurs dans la salle et des comédiens pétillants. Une tragi-comédie virevoltante, en apparence légère, mais d'une profondeur intense. Sous les sourires, grimace la douleur de Ali Bouadhma (formidable Foued Bendoubaba), patriote qui a perdu sa mémoire, ses biens et son identité lors de la période sanglante de l'Algérie des années 1990. Sa mort supposée, officialisée par la prière de l'absent, donne lieu au partage de ses biens — légués de son vivant et à son insu — à ses proches et habitants du village. De retour après une dizaine d'années d'absence, le patriote entame un parcours semé d'embûches pour retrouver, en vain, son identité perdue attribuée à une autre personne. Ses difficultés à restituer son identité le conduisent à un asile psychiatrique sur avis du médecin Slimane (excellent Rabiâ Ouadjaout qui campera plusieurs autres personnages). Dans ce refuge, il tentera de restituer son itinéraire fou. Le devoir de mémoire A travers l'ambiance déjantée et extravagante, se profile un thème cher au théâtre, le devoir de mémoire envers les martyrs victimes des années noires de terrorisme. Sans décor spectaculaire, en jouant de quelques accessoires : tabourets et tables de médecin, le metteur en scène invite à pénétrer avec humour et insolence dans l'univers désenchanté de Karl Wittlinger dont l'écriture est étrangement désarticulée. Il aiguise notre regard en même temps qu'il nous entraîne dans une construction en abême : « le théâtre dans le théâtre ». La pièce est portée par des comédiens tous complices : Sabrina Khalifa, Benouada Nakaa, Akram Bouchoucha, Kamel Belbioud et Khaled Kerbour, campant différents personnages fêlés. Tout en dérision, la pièce nous fait éclater de rire par tristesse. La troupe nous la livre dans sa fraîcheur et sa noirceur. On s'embarque avec elle dans cette folle aventure avec un grand plaisir.