Rémy Julienne est un cascadeur français dont le nom résonne dans le monde du cinéma depuis 50 ans. Il est célèbre pour les séquences spectaculaires de 1.400 films. Il est invité par la 26e édition des JCC grâce à son ami tunisien Néjib Azzouz, lui-même cascadeur faisant partie de son écurie. Il a présenté, au cours d'une master class à l'IFT, son expérience et révélé un certain nombre de secrets de cascades cinématographiques Est-ce que vous continuez, à 85 ans, à faire des cascades ? Après les cascades physiques, je fais à présent des cascades verbales. En réalité, je n'ai jamais arrêté puisque je continue à écrire des scènes d'action et à les réaliser. J'ai arrêté les cascades physiques il y a 20 ans. Il faut faire preuve de beaucoup d'humilité et adopter un entretien physique pour continuer dans ce domaine. Comment êtes-vous devenu cascadeur et pourquoi avez-vous choisi de faire ce métier? J'ai fait du moto-cross de haut niveau. J'étais champion de France. Il paraît que je ressemble à l'acteur français Jean Marais que j'ai doublé dans une scène d'action dans le film Fantomas, d'André Hunebelle. C'est à partir de là que j'ai fait connaissance avec le cinéma. En fait, cela consistait à exécuter des actions habiles en moto ponctuées de cascades par des spécialistes. Y a-t-il des exigences particulières pour faire des cascades dans un film ? Bien sûr qu'il y a des choses précises à faire. Le gros problème est de savoir connaître ses limites et ses possibilités. C'est l'emblème même de la cascade. Il s'agit de savoir identifier les risques. Quelles sont les cascades les plus dangereuses que vous ayez exécutées ? Les cascades les plus dangereuses ne sont pas forcément les plus spectaculaires. Ce sont les cascades en moto parce qu'on n'a pas de protection. L'agression, de Gérard Pires, a été l'un des films où les cascades étaient les plus compliquées. Il fallait exécuter des chutes à moto. Et les plus spectaculaires ? Il y en a un paquet. J'ai mon nom dans plus de 400 génériques de film en 50 ans de carrière. La menace, d'Alain Corneau, avec Yves Montand et Carole Laure. Avec l'évolution des techniques cinématographiques, les cascades ont-elles aussi évolué ? Elles ont beaucoup évolué. Au début, j'étais horrifié de la manière de faire des cascades. Puis, j'ai inventé une méthode à partir de l'identification des risques et de la manière de supprimer le maximum d'aléas à chaque cascade. Il faut comprendre le danger et tenter de le maîtriser par la suite. Il faut avoir une condition physique exceptionnelle; moi, je l'avais avec la pratique du moto-cross. En maîtrisant ces paramètres, on arrive à faire la cascade en faisant croire que c'est vrai. Il y a une différence entre cascade de cinéma et cascade spectaculaire. Mon cursus m'a permis d'inventer ou d'imaginer de nouveaux genres de cascades, notamment pour les James Bond, en tenant compte de quatre critères : James qui gagne toujours, un bel environnement, de jolies filles et de l'action. Avec les Américains, ce n'est pas compliqué. Une fois que j'invente les cascades, les scénaristes entrent en jeu pour trouver l'argument qui correspond à ce que j'ai proposé. Voilà le cheminement. De nos jours, les cascades reposent beaucoup sur du virtuel. A l'époque, il fallait tester, pas de calcul possible et pour placer une caméra, c'était difficile. Il fallait prendre des précautions. Il fallait y aller avec son nez. On se procurait des données et avec ces données, il fallait prendre des garanties. Alors que maintenant, l'ordinateur peut calculer les données, minimiser les dangers et faire progresser l'action. Est-ce qu'il y a un plaisir, une peur ou une angoisse à faire des cascades ? Tout ce que vous énumérez ; mais il faut surtout de la passion. Quand on se livre à ce genre de sport, il faut intéresser un public qui veut toujours plus haut et plus fort. Il faut aussi beaucoup d'imagination et à partir de là on arrive à conjuguer tout cela et ça devient un vrai plaisir, malgré les aléas. Si on arrive à cibler le problème, c'est formidable, sinon cela devient terrible. Des accidents peuvent survenir... Oui, au niveau de la pratique du moto-cross, c'est-à-dire des fractures, puis pour le cinéma, c'est exactement la même chose. Quand on me voit en maillot sur la plage, on se rend compte que je n'ai pas passé ma vie derrière un bureau. Il y a des cicatrices. Que pensez-vous des acteurs tels que Jean-Paul Belmondo qui veulent faire eux-mêmes leurs cascades ? Les assurances n'acceptent pas que les acteurs fassent des cascades, de peur qu'ils se blessent et que le tournage s'arrête. Il existe toutes sortes d'artifices qui font que le sosie peut bien remplacer l'acteur. Belmondo faisait des cascades par goût jusqu'au jour où une journaliste tendancieuse a révélé que ce n'était pas lui qui faisait les cascades. L'accusation était grave et il y a même eu un procès. C'est Belmondo qui l'a gagné. Mais il était une exception. Le cinéma français est réputé pour être un cinéma d'auteur où les cascades sont plutôt rares... Dans un film d'auteur comme La nuit américaine, de François Truffaut, il y a plusieurs actions qui l'ont lui-même étonné parce qu'il me disait qu'il ne connaissait pas le travail de cascadeur. Vous avez travaillé avec des cinéastes américains, ont-ils des exigences particulières au niveau des cascades ? Ils demandent toujours le maximum. Il y en a qui ont la manière de le faire et d'autres pas. Quelles sont les cascades à inscrire dans les annales du cinéma ? Dans certains films-cultes comme La grande vadrouille, de Gérard Oury, avec Louis de Funès et Bourvil. Parallèlement à votre carrière cinématographique, la justice fait appel à vous pour des reconstitutions d'accidents ou de crimes... C'est l'un des dérivés de la cascade. A partir du moment où je passe ma vie à provoquer des accidents, j'en connais forcément les mécanismes. Il y a toujours des causes et des conséquences. Puisque je suis bien armé en accidentologie, il arrive qu'on me demande de proposer des choses. J'ai affaire à la justice et à la sécurité routière. C'est extrêmement valorisant. Certaines images ont été achetées pour la célèbre émission «Faites entrer l'accusé !» de Christophe Hondelate. J'ai réalisé une dizaine de spots de sécurité routière pour le compte des Suisses, qui ont été programmés à la Télévision suisse romande. Vous avez conçu une attraction à Disneyland Paris. En quoi consiste-t-elle exactement ? Ça s'appelle «Moteur, action !». Cette attraction a été conçue en 2002 avec un cahier des charges très précis de la part des Américains. Pour moi, cela est un énorme honneur que les Américains s'adressent à moi, alors qu'ils sont les rois dans ce domaine. Je leur ai fourni un concept où il faut faire de la cascade sans casse parce que c'est destiné aux enfants, mais il faut intéresser aussi les parents et que cela soit reproductible plusieurs fois par jour. Il fallait arriver à des performances exceptionnelles et cela a marché, puisque l'attraction a eu l'indice de satisfaction le plus élevé. Vous êtes l'invité des JCC, vous avez donné une master class à l'IFT avec votre ami Néjib Azzouz, qu'avez-vous raconté à l'assistance ? J'ai entrouvert l'envers du décor. Je n'ai pas raconté tous les secrets mais j'en ai révélé une bonne partie, de manière à ce qu'ils puissent entrer dedans. Cela a permis d'attiser leur curiosité. Quel est votre sentiment par rapport aux derniers attentats de Paris ? Mon sentiment est que quand on voit la bêtise humaine, il faut mettre le projecteur dessus pour montrer les vices de la société actuelle et surtout connaître les causes qui amènent les gens à assassiner des innocents. C'est intraitable. Je me permets de critiquer les gouvernants parce que cela aurait pu être évité. Quand je pense aux innocents morts pour je ne sais quelle idée... Rien ne justifie de tels actes. Il faut éradiquer ce fléau.