Par Pr Khalifa Chater “J'exprime ici une fois encore mon profond remords et mes excuses sincères pour les souffrances et les dommages immenses infligés par le régime colonial…Comme nous l'avons vu à travers la résistance farouche des mouvements indépendantistes, le peuple de Corée a été privé de sa nation et de sa culture, et sa fierté, en tant qu'ethnie, en a été profondément meurtrie” (Kan, Premier ministre japonais, 10 août 2010). Fait politique important, le Japon vient de présenter des excuses officielles pour sa colonisation de la Corée et les souffrances infligées au peuple coréen pendant les 35 ans de la colonisation de la Corée par le Japon dans la première moitié du XXe siècle. Cette déclaration, approuvée par le gouvernement de centre-gauche, lors d'une réunion préalable, le jour même, coïncide avec le centième anniversaire de l'annexion de la Corée, en 1910. Cette colonisation s'était achevée le 15 août 1945 avec la capitulation du Japon à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Après la publication de cette déclaration, Naoto Kan a eu une conversation téléphonique avec le Président sud-coréen Lee Myung-Bak, le contexte géopolitique conflictuel ne se prêtant pas à un entretien similaire avec la Corée du Nord, également concernée par l'initiative courageuse japonaise. En effet, alors que le Japon a reconnu en 1965 la Corée du Sud et lui a octroyé une aide économique massive en échange d'un renoncement à toute demande de réparations liée à la période coloniale, il n'a toujours pas, en revanche, de relations officielles avec la Corée du Nord. Précédent courageux, le gouvernement japonais a annoncé la restitution de manuscrits décrivant les rites et les protocoles de la dynastie Joseon (1392-1910), confisqués par le régime colonial nippon. Cette décision ratifie, confirme et finalise le processus de réconciliation, engagé lors d'une rencontre au sommet, en 1998, entre le Président coréen Kim Dae Jung et le Premier ministre japonais Obuchi Keizo, qui déclara alors qu'il “reconnaît humblement le fait historique selon lequel le Japon a, durant une certaine période du passé, infligé au peuple coréen, par son pouvoir colonial, d'énormes dommages et souffrances et exprime de profonds remords et des excuses sincères”. La coopération, à l'ordre du jour, met fin à “l'interminable après-guerre” nippo-japonais, selon l'expression de Lionel Babicz, et établit le “nouveau partenariat nippo-coréen pour le XXIe siècle”. La divergence des mémoires, le différend territorial des rochers du Liancourt, situé au large de la mer du Japon (ou mer Orientale pour les Coréens), à mi-chemin entre le Japon et la Corée, et les partis pris historiques des opinions publiques respectives, en conséquence, ont conforté ces tensions. Les relations historiques des manuels historiques nippons provoquèrent la première et la seconde crise des manuels scolaires (1982 et 2001). D'un commun accord, on a décidé, dès 2005, de réunir des commissions d'historiens japonais et coréens pour examiner l'histoire des relations nippo-coréennes (Babicz Lionel. “Japon, Chine, Corée : vers une conscience historique commune?”, Ebisu, n° 37, printemps-été 2007). Proximité de la péninsule coréenne et de l'archipel japonais, la géographie qui a tissé des liens indissociables, laisse aux vestiaires les contentieux de l'histoire. D'autre part, les considérations géopolitiques (alliance des deux pays avec les USA et différends avec la Corée du Nord) les rapprochent, ainsi d'ailleurs que leurs projets de société et leurs objectifs économiques. Les deux pays réalisent que les intérêts stratégiques communs doivent l'emporter sur les contentieux du passé. Il ne s'agit pas d'ignorer les leçons de l'histoire ou de les sous-estimer mais plutôt d'en prendre la juste mesure et d'assainir, en conséquence, le contexte des relations d'aujourd'hui. “Je veux affronter l'histoire avec sincérité, affirma le Premier ministre japonais, Kan, dans sa déclaration du 10 août 2010. Je veux avoir le courage de regarder les faits historiques, les accepter avec modestie et reconnaître nos propres erreurs avec honnêteté”. Ainsi perçu, la déclaration de Tokyo s'inscrit dans une volonté d'assurer les meilleures conditions du vivre ensemble de contemporains, assumant courageusement leur histoire et soucieux de dégager les embûches du passé à leurs perspectives d'avenir.