“Les tensions pourraient bien s'aviver sur la péninsule coréenne et devenir hors de contrôle si la situation présente, particulièrement, n'est pas gérée proprement, et cela ne serait dans l'intérêt de personne” (message du Président américain Barack Obama au Président chinois Hu Jintao, lundi 6 décembre 2010). Bruits de bottes, tactiques de provocation, ou simple confrontation de discours frondeurs, avec les effets démonstratifs évidents, la crise coréenne suscite de sérieuses inquiétudes. Le message téléphonique du Président Obama au Président chinois, à la veille de nouvelles manœuvres de soutien américain de leurs alliés, atteste que la péninsule coréenne est désormais un épicentre de la géopolitique mondiale. Nous ne revenons pas sur les principaux événements, des repères de cette conjoncture de tension. Les relations quotidiennes de la presse les ont décrites et inscrites dans leurs contextes. Notre propos a pour objet d'identifier la toile de fond du jeu de scènes et des manœuvres sur le terrain, pour expliciter les données structurelles des dynamiques internes respectives et de la carte géostratégique dans cette aire. D'ailleurs “le coup de semonce” de Pyongyang contre Séoul semblait répondre à des objectifs intérieurs et extérieurs. Il s'agissait, selon les observateurs, de “renforcer la solidarité interne en vue de la succession” et de pousser les Etats-Unis et la Corée du Sud vers la table des négociations. La péninsule coréenne est marquée par la frontière infranchissable, la “balafre”, héritée de la guerre froide, qui la divise. Conséquence de l'après-guerre, la carte géopolitique oppose désormais un pays libéral qui a réalisé son miracle économique et un Etat communiste, s'accommodant d'un leadership héréditaire. Approfondissant les définitions réductrices des deux Corées, Patrick Maurus effectue une révision de la problématique, à partir des représentations identitaires de leurs habitants. Son essai : la Corée dans ses fables (Paris, Actes Sud, 2010) montre que les deux entités — aussi opposées soient-elles — ont en partage une "coréité" qui repose sur un sentiment d'être victime (de leurs voisins puis des grandes puissances). La Corée fut marquée par la colonisation japonaise (1910-1945). D'autre part, à la suite de l'occupation, en 1945, par l'Urss au nord et les Etats-Unis au sud, elle fut scindée en deux Etats, en 1948, qui menèrent, deux ans plus tard, une guerre fratricide. Patrick Maurus explique par cette victimisation, l'émergence d'un nationalisme ethnique exacerbé au Nord, qui “fait de la "coréité" la clé de voûte de l'idéologie, et du communisme une “notion secondaire”. Cas d'espèce, le matérialisme historique s'ancre, d'autre part, dans le mythe, puisque la revendication nationaliste évoque l'épopée du roi fondateur Tangun : de nature semi-divine, il serait venu sur terre il y a cinq mille ans. "La Corée devient ainsi aussi ancienne (= honorable) que la Chine et le Japon" et le nationalisme se fonda dès lors sur "une éternité sanguine et raciale". L'identité profonde des Coréens explique le désir de réunification de leurs citoyens et sans doute leur souffrance née de l'impossible réconciliation, dans la conjoncture actuelle. Cette situation a été analysée par le documentaire du journaliste indépendant, Alexandre Dereims, “Han-le prix de la liberté”. Film sur les réfugiés de Corée du Nord qui tentent de s'exiler en Thaïlande en passant par la Chine, Han signifie à la fois le peuple coréen dans son ensemble et la souffrance de l'âme coréenne. Mais la donne internationale ne semble pas œuvrer pour assurer, dans l'état actuel des choses, les conditions favorables à la réunification. La Chine désapprouve les velléités guerrières de la Corée du Nord et lui conseille volontiers une certaine retenue. Mais une Corée unie et proaméricaine dérangerait Pékin. D'autre part, les Etats-Unis, sont certes soucieux de renforcer leurs positions dans la zone Asie- Pacifique. Mais, en dépit de la gravité de leurs griefs envers Pyongyang, ils s'accommoderaient bien du statu quo pour éviter tout acte de provocation sérieuse à l'égard de la Chine. En dépit des inquiétudes que suscite la politique militaire de la Corée du Nord, le statu quo reste à l'ordre du jour, vu l'imbroglio international que susciterait le changement de son statut (voir Son Chemin, Courrier international, 2-8 décembre 2010). Mais est-ce que la dynamique interne n'est pas susceptible de susciter une mobilisation citoyenne, pour transgresser cette situation paradoxale et réaliser l'unité rêvée de la péninsule coréenne ?