Deux films qui dressent le portrait complexe d'un pays voisin. Un portrait qui nous parle. Dans la compétition officielle du documentaire aux JCC, deux films algériens concourrent pour le Tanit. «Dans ma tête un rond-point» de Hassen Ferhani et «Contre-pouvoirs» de Malek Bensmaïl optent l'un pour la liberté de forme, l'autre pour la liberté de ton afin de filmer la complexe réalité de leur pays. Ils viennent de différentes générations de réalisateurs algériens. Hassen Ferhani en est à son premier long-métrage, après des courts-métrages comme «Tarzan, Don Quichotte et nous» (2013), projeté cette année lors des Journées cinématographiques de Bizerte. Malek Bensmaïl est l'auteur d'une quinzaine de films, dont «Aliénations» (2004) et «La Chine est encore loin» (2010). Hassen Ferhani est quelqu'un qui cherche le décalé, tout en restant dans le cadre. Après être parti au quartier Cervantès à Alger, à la recherche de la mémoire de l'auteur algérien inconnu qui à inspiré à Cervantès l'idée de son œuvre majeure Don Quichotte, le voilà qui place sa caméra dans l'abattoir d'Alger. «Dans ma tête un rond-point» commence par introduire le spectateur dans les lieux. Cela ne dure pas longtemps. Le cadre est peu chargé, plus d'hommes que de bêtes, presque pas de sang et la caméra nous surprend à filmer deux ouvriers parlant d'amour. Très vite, on comprend qu'il va s'agir de chair humaine et non de chair animale, et qu'on est loin de la métaphore où l'abattoir est un petit monde, une micro-société où valsent la vie et la mort... Enfin, si, mais d'une tout autre manière. Les plans sont vertigineux, les moments captés par la caméra ontologiques. Hassen Ferhani a pris le temps d'être dans cet endroit, au milieu de ses ouvriers, et de choisir quels détails montrer de cet univers. C'est le plus grand abattoir en Afrique, mais la grandeur qui ressort à l'écran est celle des âmes et des prouesses de la caméra, pas du tout dans la quantité. Les paroles et la psychologie de ces ouvriers, qui se sont réfugiés entre les murs de l'abattoir et semblent rompre avec le monde extérieur, portent justement les signes de ce monde. C'est un lieu clos qui ouvre sur un énorme et complexe hors-champ, nommé l'Algérie. Comme dans le pays, les femmes sont en hors-champ dans l'abattoir, univers exclusivement masculin. On parle d'elles, on parle en leur nom mais on ne leur donne pas la parole. Certaines séquences sont inoubliables, comme celle où des ouvriers tirent un bœuf qui refuse (en hors-champ) d'aller vers sa mort, alors que d'autres suivent avec engouement un match à la télévision. Une profondeur de champ avec un premier, un deuxième et un troisième plan qui renvoit au premier. Ou cette autre séquence où deux personnages regardent une série à la télévision, où l'acteur soulève le coffre d'un camion. Au moment de découvrir ce qu'il y a dans ce coffre, le réalisateur passe au contre-champs occupé par nos deux personnages. Où se cache donc le spectateur et où veut-on le placer par nos choix de montage et d'image? Le questionnement sur l'Homme et la caméra ne quittent pas ce magnifique documentaire qui a raflé le premier prix au festival FID Marseille 2015 et qui a toutes ses chances dans la compétition des JCC. La presse: un contre-pouvoir qui pèse En 2014, les élections algériennes augurent un quatrième mandat pour le président en place Abdelaziz Bouteflika. En pleine campagne, Malek Bensmaïl choisit de placer sa caméra parmi les journalistes du quotidien indépendant El Watan. Ce dernier est au bord d'une étape importante de son histoire, où il va déménager dans de nouveaux locaux, en construction, et quitter La maison de la Presse où il siège depuis les années 90. Cette étape renforcera l'indépendance du journal qui assume son soutien pour le candidat de l'opposition Ali Benflis. Contrairement à ses précédents films, Malek Bensmaïl opte pour une narration et un langage classique. «Contre-pouvoirs» commence et se termine par un travelling d'Alger, vu depuis son téléphérique. Un parallèle règne ensuite sur le film, entre le chantier du nouveau local d'El Watan, et le chantier de la couverture des élections. Réunions, conférences de rédaction, articles en gestation, l'univers de la presse indépendante reçoit un bel hommage de la part du réalisateur, qui le montre comme un vrai mouvement social qui peut avoir du poids, un contre-pouvoir. La caméra se déplace également à l'extérieur du journal pour suivre les journalistes dans leur travail où dans leur activisme, notamment dans le mouvement «Barakat» (Assez), qui milite pacifiquement contre un quatrième mandat de Bouteflika et qui est réprimé par la police. «Contre-pouvoirs» s'érige donc contre un système qui a du mal à céder la place au pouvoir du peuple, en donnant la parole à ses opposants dans la presse. Un documentaire important, qui porte le devoir de mémoire d'un moment historique, selon un point de vue personnel et assumé et filme la difficulté du pays à sortir de l'ombre des années 90 et d'aller de l'avant, malgré les efforts des parties indépendantes. «Contre-pouvoirs» est d'ailleurs dédié aux 120 journalistes assassinés pendant la décennie noire.