Le prix Nobel de la paix 2015 est foncièrement une consécration de l'esprit de dialogue et de consensus qui a présidé au processus de transition démocratique en Tunisie. L'hommage rendu dans la liesse à Oslo à la Tunisie n'a en rien contribué à insuffler une brise d'optimisme dans le pays. Les tensions au sein de la classe politique nationale perdurent : Nida Tounès est au bord de l'implosion; à peine adoptée, la loi de finances 2016 pourrait être déclarée anticonstitutionnelle La semaine qui vient de s'écouler aura été marquée par trois événements importants dont il importe d'analyser les enseignements. D'abord, la remise au Quartette du Dialogue national du prix Nobel de la paix 2015 dans une ambiance qui a fait vibrer la capitale norvégienne Oslo, une journée durant, au rythme de la Tunisie, grâce précisément aux festivités qui ont accompagné la cérémonie officielle de remise des médailles aux lauréats à l'Hôtel de Ville d'Oslo. Et au-delà des discours officiels prononcés aussi bien par la représentante de la Fondation Nobel que par les représentants du Quartette du Dialogue national, c'est bien l'ambiance que les syndicalistes de l'Ugtt affluant en grand nombre à Oslo ont réussi à créer qu'il faudrait valoriser. Car même si l'Ugtt et l'Utica, les principaux pionniers de l'expérience du dialogue, ont regagné la capitale norvégienne en rangs dispersés du fait que ça bloque toujours au niveau des négociations sur les augmentations salariales dans le secteur privé, l'image que le quatuor du Dialogue national a réussi à transmettre au monde entier est que le dialogue, le consensus et le compromis sont les fondamentaux qui ont permis à la Tunisie de réussir à sauver sa révolution et d'éviter de sombrer dans le chaos et dans l'anarchie, à un moment où les autres révolutions du printemps arabe ont périclité tout simplement parce que ceux qui en assuraient la gestion ont favorisé leurs calculs partisans et leurs ambitions personnelles démesurées. Aujourd'hui, le monde entier rend un hommage mérité à la démarche tunisienne qui a montré que le dialogue entre les laïcs et les islamistes est possible et que la démocratie peut être instaurée en faisant prévaloir les valeurs cardinales ayant présidé à la révolution du 17 décembre-14 janvier, lesquelles valeurs n'avaient aucun rapport avec les revendications identitaires imposées par ceux qui cherchent vainement à confisquer la révolution et ses idéaux. D'ailleurs, l'attribution du prix Nobel de la paix 2015 au Quartette du Dialogue national est venue témoigner d'une vérité incontestable : le cercle des pays démocratiques dans le monde est persuadé que la Tunisie révolutionnaire y a réussi son adhésion et que le monde démocratique a le devoir impérieux de soutenir cette adhésion, à travers des mesures concrètes d'appui à la politique d'ouverture entreprise par le gouvernement Essid et à sa volonté de voir les promesses de soutien concrétisées dans le vécu réel des Tunisiens. Cependant, il nous incombe de transformer le ballon d'essai et de savoir rompre avec la morosité ambiante qui, manifestement, nous empêche de positiver et de dépasser nos querelles politiciennes pour avancer. Nida Tounès au bord de l'implosion Ensuite, la semaine qui vient de s'écouler a vu la crise secouant depuis des semaines déjà Nida Tounès, le principal parti de la coalition au pouvoir, se cristalliser davantage dans la mesure où la commission des treize censée trouver une solution au conflit opposant le camp Marzouk au camp Hafedh Caïd Essebsi a échoué dans sa tentative de rapprochement et son initiative consistant en la tenue de deux congrès, l'un constitutif en janvier 2016 et l'autre électif en juillet de la même année, a été purement et simplement rejetée par les 32 députés nidaïstes, fers de lance de la fronde au sein du parti des Berges du Lac même s'ils ne le disent pas ouvertement dans leur déclaration réagissant aux propositions de la commission présidée par Youssef Chahed. Leurs conditions pour y adhérer vident en réalité le plan Chahed de toute sa substance, principalement sa suggestion appelant à ce que le parti soit dirigé d'ici les congrès constitutif et électif par six secrétaires généraux. Mohsen Marzouk, S.G. du parti, n'a pas mâché ses mots et a déclaré ouvertement : «Nida Tounès est fini», un prélude à l'annonce, peut-être demain, lundi 14 décembre, d'un nouveau parti parlant au nom des nidaïstes frondeurs. La loi de finances 2016 dans l'expectative En tout état de cause, le meeting qu'il tiendra aujourd'hui avec les femmes nidaïstes permettra de décider de la création du nouveau parti ou de la poursuite des tentatives visant à sauver la «barque nidaïste» de l'implosion. Enfin, la loi de finances adoptée par le Parlement, jeudi dernier, a provoqué un tollé général dans la mesure où l'article 61 de cette loi est soupçonné par les députés de l'opposition d'ouvrir la voie au blanchiment de l'argent sale et de faire éviter aux contrevenants à la loi sur le change d'être sanctionnés. L'opposition s'apprête à faire introduire auprès de l'Instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des lois un recours demandant à ce que la loi de finances 2016 soit déclarée anticonstitutionnelle. Et l'on se retrouve suspendu à l'avis que va prononcer l'Instance à la lumière du recours qui lui sera soumis «dans les délais réglementaires», comme l'assurent les députés de l'opposition qui déclarent avoir collecté les signatures nécessaires, soit trente députés au moins. Reste le remaniement ministériel que tout le monde attend. Le chef du gouvernement, Habib Essid, parle de «restructuration de l'équipe ministérielle dans le sens de la réduction du nombre des portefeuilles ministériels et des secrétariats d'Etat» et laisse planer le mystère quant aux ministres qui seront remerciés. Son directeur de la communication, Dhafer Néji, annonce que le mouvement-restructuration aura lieu aussitôt le budget de l'Etat et la loi de finances 2016 adoptés. Voilà qui est fait. On attend toujours que Habib Essid livre sa nouvelle copie. A. DERMECH