Quelle est la place de l'Homme contemporain par rapport à son passé et son avenir? Concentré d'intelligence et d'actualité, L'homme poubelle s'est invitée sur la scène d'El Teatro du 17 au 19 décembre. Mise en scène par Walid Ayari et interprétée par les comédiens d'El Teatro Studio, cette pièce a été écrite en 1992 par le dramaturge franco-roumain Matei Vișniec. Son texte prend une autre dimension dans sa version tunisienne traduite par Ghassen Hafsia, qui y joue aux côtés de Yosr Galai, Zied Ayadi, Slaheddine Sakouhi, Amira Khelifi et Samar Grati. Son auteur lui avait également donné les titres «Théâtre décomposé» et « Les laveurs de cerveaux », qui sont autant des codes de lecture pour cette œuvre résonnante dans le contexte tunisien actuel. Selon L'homme poubelle, le pays serait un chantier. La scène en porte la trace avec un échafaudage dissimulé par une bâche, une sorte de cache-misère pour l'arrière-pays qu'imagine ce personnage qu'on ne saurait trop définir. Serait-il un individu ou plus, toute une société? Au-devant de la scène, les comédiens en blouses blanches dansent allègrement en récitant une publicité pour un projet fou mais qui apporte, selon eux la solution à l'angoisse, la déception, et tous les maux de notre société. Il s'agit du lavage de cerveau, un lavage total et intégral, qui efface le contenu de nos têtes sans y placer un autre. N'est-ce pas là la radicalité incarnée? Pas de place pour le doute dans les arguments marketing de ce projet. «Nous sommes tous coincés dans l'Age de pierre. 4.000 ans de civilisation n'ont pas pu effacer 100 années d'angoisse. Notre espèce est malade de son passé violent et irréel». Tel est le postulat de L'homme poubelle, qu'il expose sur scène. L'humanité serait donc en train de récolter ce qu'elle a semé. Elle a l'inconscient malade et loin d'être tranquille, et cela se manifeste dans le quotidien de chacun, miné de doutes et d'angoisses. Au final, l'Homme a mauvaise conscience, sans trop savoir pourquoi puisqu'il passe maître dans l'art du refoulement. Au lieu d'exorciser ce mal, on nous propose de l'éradiquer par un lavage de cerveau. Une solution qui maintient le cercle vicieux où s'est emprisonné l'Homme. La pièce tente de rompre ce cercle. Cela passe par un processus de prise de conscience, déconstruit, comme le stipule son synopsis: «A travers une série de fables burlesques à l'univers insolite, L'homme poubelle explore avec une ironie surréaliste et cruelle les dérives de notre société. Un spectacle sur le thème de la déshumanisation». Les fables proposées sur scène s'inspirent des mythes fondateurs de l'Humanité. Celle-ci n'échappe pas à sa condition d'Homme universel et intemporel, éternellement soumis à une pression, intérieure et extérieure. Le texte de L'homme poubelle prend de plus de position par rapport à d'autres qui l'ont précédé. Alors que Aristote affirme que « L'infini n'est pas un état stable, mais la croissance elle-même », l'un des personnages de L'homme poubelle est à la quête de « L'infini stable ». Le texte va même jusqu'à tourner en dérision le nombrilisme de l'Homme dans le mythe du péché originel, en le transformant en un ver à l'intérieur de la pomme, qui finit croqué par le destin. La pièce développe ainsi, durant une heure, des questionnements en spirale qui aboutissent à des réponses, ou pas.