L'hôpital est devenu depuis quelques jours le sujet de l'heure. La cible des médias qui l'accusent de tous les maux. A tort ? Ou à raison ? Allez savoir... Mais, moi, qui détiens le record absolu du taux de fréquentation de tous les établissements hospitaliers de la capitale, j'en sais quelque chose... A preuve... Qui n'a pas mis les pieds dans un hôpital, fréquenté un cabinet médical, ou fait quelques achats dans une pharmacie ? Mais personne logiquement, sauf la mémé de ma mère qui est morte plus ou moins centenaire en 1963. Tiens, elle n'a même pas vu le médecin appelé à son chevet pour parapher l'acte de décès... Bien sûr, il lui arrivait de se sentir mal et elle abandonnait alors à contrecœur la rue Tab El Hassou (dans la zone de Bab El Jazira) pour aller au souk El Blat. Pour s'approvisionner en plantes susceptibles de soulager les douleurs, et pas plus ! Si la mémé dédaignait royalement les disciples d'Hippocrate, moi en l'occurrence, son arrière-petit-fils, j'ai fait entre 1947 et 2015 le tour de tous les hôpitaux de Tunis. Depuis l'hôpital Sadiki (l'actuel Aziza Othmana) jusqu'à une clinique des... rives du Lac. Mais je ne porte aucune trace visible de ces séjours obligatoires, que ce soit en costume de ville ou en maillot de bain. Car les dégâts existent bel et bien, mais à l'intérieur de la carcasse. Et ils se manifestent en hurlant au passage des portails de sécurité dans les aéroports, ou dans les bâtiments officiels. Mais, à part ces hôpitaux, j'ai rarement consulté un médecin. Tiens, j'ai une fois accompagné ma mère qui était déprimée après la mort de son mari — mon père — chez l'éminent professeur mondialement connu Sleiem Ammar. Un crack dans son domaine. Mais, je ne sais pour quelle raison il lui a crié à la face après quelques minutes d'entretien : «Vous êtes une criminelle !». Et c'est à toutes jambes que nous avons fui le cabinet. A propos du Professeur Ammar, j'aimerais vous conter une anecdote véridique dont il a été le héros. Un jour, alors qu'il se rendait en ville à bord de sa voiture, il a été arrêté par un agent de la circulation à la Place Pasteur. Ayant jugé incorrect et déplacé le verbiage de l'agent qui lui a confisqué son permis de conduire, il rebroussa chemin. Et depuis l'hôpital Razi, il téléphona au ministère de l'Intérieur pour signaler la présence d'un agent, au comportement dangereux pour les citoyens, à interner sur le champ. Aussitôt dit, aussitôt fait. Et, une heure plus tard, le pauvre agent se retrouva en présence du docteur. Qui le retint pendant quinze jours... Authentique! Exit la mémé, la maman, le Professeur Ammar, et j'en viens à mon expérience personnelle. A l'âge de 4 ans, mon père m'emmena faire un tour sur les flancs du Boukornine. Et je me suis mis à courir dans tous les sens à en perdre haleine. Sans voir où je mettais les pieds, ni le trou qui provoqua une fracture du fémur gauche. Immédiatement transporté à l'hôpital Sadiki, on me posa un plâtre depuis la ceinture jusqu'aux orteils. Mais le soir-même, ce plâtre se fit plus pressant, insoutenable, et on me ramena à l'hôpital pour accrocher ma jambe lestée d'un poids au plafond. J'y suis resté pendant un mois en compagnie de ma grand-mémé dans une chambre individuelle. Cette fracture me coûta la perte d'un centimètre par rapport à la jambe droite. Qui a été récupéré par la suite... En 1957, j'avais pour camarade de classe au lycée Carnot un adepte du judo, qui s'amusait tout le temps à nous prouver l'étendue de ses capacités. Un jour, il m'envoya dans les airs et à l'atterrissage, mon épaule droite a pété. Résultat: la pose d'un immense plâtre sur le buste et tout le bras pendant 45 jours. Un an plus tard, pour célébrer l'installation du printemps, nous sommes allés en bande à la piscine du Belvédère, où je tenais à démontrer mes qualités de nageur émérite, moi l'Hammamlifois. Après quelques bassins d'exhibition avalés en mode papillon, dos et crawl, j'ai voulu aller encore plus loin, et plus haut, place donc au plongeoir ! A 5 mètres, l'eau m'a fait peur. Je redescends au niveau du tremplin, mais là encore le gouffre qui me sépare de l'eau morte me tétanise. Et, gros-jean comme devant, j'entame le retour sur la terre ferme. Malheureusement, j'ai loupé une marche et je suis lourdement tombé la tête en avant sur le sol. Résultat : la clavicule gauche en compote. Avec des attelles en caoutchouc tout autour de la taille et des épaules pendant un mois. Avec trois fractures au tableau d'affichage je devrais normalement figurer en bonne place dans le classement des éclopés. Des invalides de guerre froide. Mais Dieu merci, les médecins ont fait du très bon boulot. Qui m'a permis de jouer au handball, notamment contre le regretté Moncef Hajjar qui vient de nous faire ses adieux. Ceci après avoir poussé vers la retraite anticipée de la cage clubiste mon immense ami, le regretté Mohamed Boughenim. Après ce trio d'avatars j'ai observé une longue trêve. Seulement entrecoupée en 1984 par une pause de cinq jours à l'hôpital des Italiens pour une opération qui n'a pas laissé de traces à l'œil nu. Causée par l'abus des piments de Cayenne. En 1998, au volant de ma voiture, je percute de plein fouet un platane ce qui me vaut une fracture de la hanche droite et du cou du pied de la même partie. Alité pendant six mois dans la même position j'ai enduré un calvaire affreux. Mais ce n'était pas fini car mon orthopédiste tenait à me poser une prothèse en titane, renforcée par du ciment... Une fois installée, cette prothèse me fait perdre un centimètre sur le côté droit. Donc, l'équilibre est rétabli et, à présent, je culmine réellement à 1,72m. En 2004, mon cœur se met à battre la chamade, sur un rythme saccadé. Je me présente à La Rabta où l'on constate que j'ai deux conduites (on appelle cela des coronaires) mal en point. Bref, le docteur m'infiltre deux ressorts dans le coffre. Pire que cela, cet excellent praticien, qui tenait à prolonger mon existence, m'a formellement interdit de griller ne serait-ce qu'une seule cigarette... Foutaises. Un environnement démoralisant Grâce à lui, à sa dextérité et à sa science je suis encore en vie. Et j'ai fait comme le grand Serge Gainsbourg. Eh oui, à chaque jour que dieu fait je me tape un minimum de deux paquets de cigarettes par jour. Sans compter le reste... Mieux que cela... Après toutes ces opérations je ne me suis jamais plié aux contrôles obligatoires, ni pris le moindre médicament. Cela veut-il dire que je suis de la catégorie des Supermen ? Ou bien ai-je eu affaire à d'excellents médecins ? J'opte pour cette deuxième supposition. Toutefois, en ce mois de décembre qui boucle l'an 2015, j'ai rencontré quelques problèmes avec l'hôpital. Mais pas avec les médecins. En effet, mon œil gauche n'a plus voulu fonctionner et j'ai dû consulter un spécialiste, à 50 dinars la visite. Et en deux minutes, il a déclaré une cataracte. Oui mais pour la traiter dans une clinique, il faudrait débourser au bas mot 1.400 dinars... Difficiles à trouver par les temps qui courent, n'est-ce pas ? Alors je me suis rabattu sur l'hôpital Raïes de Bab Saâdoun. Comment vous décrire le spectacle qui vous assaille dès l'entrée de l'établissement ? C'est dantesque... Démoralisé, j'ai rebroussé chemin. Mais une de mes voisines qui connaissait un infirmier dans ce même hôpital m'a convaincu de renouveler cette démarche. Et bien m'en prit. Puisque sans passer par la caisse, ce monsieur m'a confié aux bons soins d'un jeune médecin qui s'occupa de moi. Après une seconde séance et la présentation des multiples analyses que j'ai dû subir, il me fixa un rendez-vous pour l'opération. Et bonjour les dégâts ! Car il me fallait passer par le contrôle de l'anesthésiste. Or, pour espérer rencontrer cette charmante dame à la tête bien pleine, il me fallait obtenir un numéro obligatoire délivré par un préposé chargé de ce service superflu. Superflu oui, mais essentiel. Nous étions un jeudi, et ce préposé qui détenait le carnet des «billets d'entrée» sous clé était absent... Rebelote les vendredi, samedi et lundi, il n'était pas là... Hors de moi, je force la porte de l'anesthésiste qui me prie de ne pas perdre patience et de revenir le lendemain. Découragé, mais décidé à m'adresser en haut lieu, je tente une ultime chance. Qui va se présenter à toute vitesse. En effet, et alors que je comptais mes sous pour réunir les 1.400 dinars, je reçois un appel téléphonique d'un médecin que je ne connais ni d'Adam ni d'Eve. On discute à propos de mon œil en berne et il m'invite à aller le voir dans son cabinet, du côté du Lac. Aucune comparaison avec le Raïes, là on entend les mouches voler et les couloirs sont déserts. Bref, ce médecin, qui s'avère être une autorité dans cette spécialité, me reçoit chaleureusement. Et il me déclare qu'il allait m'opérer gratuitement et me fournir gracieusement la lentille de luxe ainsi que les ingrédients. Et je n'aurai à payer que 450 dinars à la clinique située un peu plus loin, la Cnam se chargeant du reste des frais. On se met d'accord et je m'adresse pour la première fois de ma vie à cette Cnam, qui m'accorde une prise en charge de 650 dinars. Mon bienfaiteur me délivre une ordonnance de multiples collyres à présenter le jour de l'opération, ainsi qu'un électrocardiogramme à fournir par mes soins. Je cours donc chez une cardiologue, native d'Hammam-Lif, et j'obtiens mon précieux document pour seulement 45 dinars, notez-le bien! Et, le jour J, me voici dans le hall de cette clinique 6 étoiles. Pour payer d'entrée 600 dinars, soit 150 de plus que prévu, et ce n'est pas tout... Puisque avant de glisser vers le bloc opératoire, on me force à subir encore un électrocardiogramme. Comme si le mien ne valait rien! Bref, l'opération se passe bien, comme attendu, mais c'est en passant à la caisse que je reçois un coup sur la tête!!! Car, sur la facture, je m'aperçois que cet électro, plus un peu d'oxygène, coûtaient 354 dinars. Mais ce qui est davantage inconcevable, c'est que cette clinique n'a pas pris en compte les 650 dinars accordés par la Cnam. Non, elle n'en a considéré que 300... de ces dinars. J'ai dû payer le reste! A titre d'indication, j'ajoute que nous étions dix-huit victimes de la seule cataracte à être traités dans cette clinique. Je me résume. Entre 1947 et 2015 j'ai toujours été très bien traité dans les hôpitaux. Mais cela ne veut pas dire que tous les clients de ces endroits ont eu la même veine. Comme je ne comprends pas vraiment pourquoi on s'acharne à clouer au pilori un ministre qui ne pourrait se prévaloir du don d'ubiquité. Est-il responsable des absences répétées de ses subordonnés? Doit-il courir derrière les uns et les autres pour faire tourner la machine? Son job est de remédier aux insuffisances, le reste n'est qu'une affaire de conscience professionnelle... Au point où nous en sommes, on pourrait également reprocher à ce ministre le nombre incroyable et sans cesse en hausse de césariennes pratiquées par les accoucheurs. Parce que ce procédé rapporte infiniment plus qu'une délivrance normale. C'est là un sujet à exploiter par les médias.