En pleine crise politique et au cœur de toute l'attention médiatique, le Chef de l'Etat préfère répondre à sa manière. Fidèle à lui-même, Kaïs Saïed, qui campe sur sa position rejetant le dernier remaniement ministériel opéré par le Chef du gouvernement, semble passer à autre chose. Après sa spectaculaire balade sur l'avenue Habib-Bourguiba la semaine dernière, le locataire de Carthage a décidé de s'offrir un nouveau bain de foule à l'Ariana. Optant pour une stratégie politique de proximité et à un plan médiatique orienté vers ce qu'il appelle «les attentes et aspirations du peuple», le Chef de l'Etat est toujours dans la même approche : être proche du peuple qui l'a élu à la majorité absolue. Mardi dernier, après El Mnihla et plus récemment l'avenue Habib-Bourguiba de Tunis, le Président de la République a entrepris une nouvelle visite inopinée de terrain. En effet, cette fois, il a pris la direction de l'Ariana et de la Cité olympique d'El-Menzah où il a visité des marchés et s'est entretenu avec des citoyens. Des citoyens qui ont exprimé leurs multiples préoccupations et soucis quotidiens, mais aussi leur entière confiance au Chef de l'Etat qui est, selon eux, «à l'écoute de son peuple». Une fois encore, c'était l'occasion pour Kaïs Saïed de montrer qu'il est à l'écoute des plaintes et des préoccupations des citoyens, venus de partout pour le voir. C'est un exercice auquel Kaïs Saïed semble avoir pris goût et qu'aucun autre ne peut se permettre dans ce contexte social tendu. En effet, si pour le Chef de l'Etat ces visites sur le terrain vont dans le sens d'une stratégie politique de proximité, à laquelle adhèrent plusieurs leaders historiques et mondiaux, elles ne peuvent pas être dissociées d'un contexte politique extrêmement tendu, où chaque protagoniste veut prendre le devant de la scène. Il est utile de rappeler que la Tunisie est au cœur d'une crise politique inédite, qui mêle un blocage constitutionnel, mais aussi institutionnel et politique sur fond du veto posé par le Chef de l'Etat à la prestation de serment des nouveaux ministres. Une situation qui a considérablement fragilisé la scène politique nationale et a mis à mal les différentes institutions de l'Etat. Que révèlent ces visites ? Confronté à de nombreuses attaques notamment de la part des députés et de ses rivaux, le Chef de l'Etat a préféré répondre par une démonstration de force et par sa capacité de séduire la foule. Certes, ces visites inopinées renvoient à un désir d'être toujours proche des citoyens, mais dans leur forme elles sont chargées de messages politiques destinés notamment au Bardo et à La Kasbah. D'ailleurs, il le disait toujours et ne rate aucune apparition médiatique pour souligner la nécessité de faire prévaloir les intérêts du peuple aux dépens des querelles politiques. En effet, au cœur de la crise politique, le Chef de l'Etat semble vouloir rassurer la population, mais aussi marquer et défendre ses territoires politiques dans un rapport de force engagé avec La Kasbah et notamment Le Bardo. Quels messages politiques veut-il transmettre ? Selon les observateurs et les analystes de la scène politique, Kaïs Saïed, en multipliant ses visites sur le terrain, voudrait sans aucun doute rappeler sa légitimité populaire, lui, qui a été élu à plus de 70% des voix des électeurs lors du second tour de la présidentielle anticipée de 2019. C'est aussi un défi lancé à ses différents rivaux, quant à leur capacité de mobiliser la rue, et d'être proches des citoyens, un exercice politique et communicationnel que différents dirigeants politiques et responsables de haut niveau évitent depuis la révolution. En tout cas, cette stratégie politique de proximité est nettement observable dans les campagnes électorales. On voit tous les candidats politiques sillonner les rues à la rencontre de citoyens qu'ils oublient une fois parvenus au pouvoir. Sauf que pour le président de la République, cette stratégie de proximité est au cœur de sa politique. Le jour même de son élection en tant que nouveau président de la République, il a décidé de descendre dans la rue pour remercier ses électeurs, et depuis il ne cesse de multiplier ses visites de terrain, notamment dans la capitale, mais aussi dans différents gouvernorats. Ça se complique En tout cas, ces sorties populaires interviennent dans un contexte politique de crise. Le bras de fer entre les trois présidences se poursuit toujours alors qu'aucune solution ne se présente pour sortir de ce blocage. Hier, mercredi, le Président de la République et le Chef du gouvernement ont, chacun, joué leurs cartes. Si le premier a décidé de se réunir avec des représentants de députés et de blocs parlementaires, le deuxième a consulté des professeurs et des spécialistes en droit constitutionnel. Le blocage prend une nouvelle tournure et implique désormais de nouveaux protagonistes. Rappelons dans ce sens que le Chef du gouvernement, Hichem Mechichi, avait envoyé une correspondance aux chambres consultatives du Tribunal administratif en vue de donner leur avis quant à ce blocage politique. Mais pour le Président de la République, les dispositions de la Constitution, dont il est le principal garant, doivent prévaloir. La crise du remaniement ministériel entame sa troisième semaine. Hichem Mechichi semble croire encore à ce remaniement et au passage de ces nouveaux ministres, il n'écarte pas d'ailleurs un passage en force, Kaïs Saïed campe toujours sur sa position refusant ce remaniement.