La crise ne peut plus durer. Jour après jour, elle prend la forme d'un bras de fer engagé entre les trois présidences. Alors que le Président de la République campe sur sa position en refusant, dans sa forme, le récent remaniement ministériel, le Chef du gouvernement est dans l'impasse, il ne peut compter que sur l'appui de sa ceinture politique. En tout cas, dans les coulisses de la vie politique, on évoque un prochain dénouement de la crise : les ministres visés par la contestation de Carthage pourraient finir par se désister. La crise politique est annoncée et le bout du tunnel est encore loin. La Tunisie n'aura jamais connu pareille situation, lorsque le président de la République refuse la prestation de serment de nouveaux ministres ayant obtenu l'aval des députés. Ce conflit extrêmement compliqué servira certainement d'un cas d'école pour les étudiants en droit constitutionnel et en sciences politiques, mais, malheureusement, tend à fragiliser davantage le paysage politique et la situation du pays dans une grave conjoncture économique, sociale et sanitaire. Qui peut mettre fin à ce blocage qui frappe le sommet de l'Etat de plein fouet ? Qui va faire prévaloir la voix de la sagesse pour sortir de cette crise inédite ? Qui se présentera en médiateur pour rapprocher les protagonistes ? En tout cas, si le Président de la République Kaïs Saïed refuse toujours la prestation de serment de certains nouveaux ministres soupçonnés de corruption et de conflits d'intérêts, le Chef du gouvernement Hichem Mechichi déploie des efforts pour trouver une issue à cette crise avec les moindres dégâts politiques et communicationnels. Sauf que pour le Chef de l'Etat, c'est le remaniement ministériel en lui-même qui poserait problème. Recevant dernièrement le secrétaire-général de la Centrale syndicale, il avait en effet réitéré son refus de ce remaniement pour cause d'inconstitutionnalité. « Le Président de la République a rappelé sa position quant au remaniement ministériel, notamment au niveau de la nécessité du respect de la Constitution. Le Président de la République a, en outre, réaffirmé son attachement à ses engagements envers le peuple tunisien, tout en rappelant son respect quant au rôle de la centrale syndicale », avait communiqué la Présidence. Du côté de La Kasbah, on voit les choses autrement. Tant que ni la justice, ni les instances constitutionnelles n'ont émis de décisions compte tenu des soupçons de corruption autour de certains ministres, ces derniers sont aptes à assumer leurs nouvelles responsabilités ministérielles. Le locataire de La Kasbah avait même averti qu'il prendrait les mesures nécessaires pour que ces nouveaux ministres puissent rejoindre leurs départements, car pour lui, la «Tunisie ne peut plus attendre». Alors que dans les coulisses de la scène politique, les rumeurs avancent que Hichem Mechichi aurait sollicité une réunion avec le Chef de l'Etat pour prendre connaissance des noms des ministres contestés par Carthage pour soupçons de corruption, dans une initiative pour résoudre cette crise, et éventuellement remplacer ces ministres, il s'est avéré que le Chef du gouvernement a adressé une correspondance au Chef de l'Etat lui demandant de fixer un rendez-vous pour la prestation de serment des nouveaux ministres. Ennahdha pour un passage en force ? Dans un dernier communiqué, le parti Ennahdha a appelé à installer les nouveaux ministres et à poursuivre le processus du remaniement ministériel sans donner une proposition pour sortir de la crise. Le parti veut-il un passage en force? En tout cas, pour le bureau exécutif du parti islamiste, pas question de céder du terrain au Chef de l'Etat. Il a en effet réitéré son soutien au gouvernement appelant à achever le processus du remaniement ministériel récent afin de permettre aux ministres de mener à bien leur tâche. N'empêche que cette position ne fait pas l'unanimité même au sein d'Ennahdha. Le leader nahdhaoui de premier rang Samir Dilou pense qu'il n'est pas question d'entrer en confrontation avec le Président de la République et qu'il est nécessaire d'opter pour une solution médiane pour trouver le bout du tunnel. Samir Dilou a estimé, dans des déclarations médiatiques, que pour éviter l'impasse, il faut que les quatre nouveaux ministres faisant l'objet de suspicions de corruption ou de conflit d'intérêts se retirent volontairement. «C'est la seule issue à cette crise», a-t-il insisté. Même son de cloche chez la députée d'Ennahdha Yamina Zoghlami qui est allée également dans le sens d'une résolution à l'amiable de cette crise et sans forcer la main du Président de la République. Au fait, plusieurs députés et partis politiques ont estimé que le retrait des nouveaux ministres soupçonnés de corruption serait la seule issue à cette crise qui met à mal la stabilité du pays. Le bureau politique du parti Al-Massar a demandé, hier, aux ministres suspectés d'implication dans des affaires de corruption et de conflits d'intérêts de se retirer. Il s'agit, selon le parti, d'un premier pas pour surmonter la crise politique. Dans des déclarations médiatiques, le secrétaire général de l'Union générale tunisienne du travail (Ugtt), Noureddine Taboubi, a confirmé également qu'une solution à la crise du remaniement ministériel pourrait être trouvée dans les prochaines heures, indiquant qu'« il y a des parties qui honoreront la voix de la sagesse pour le bien du pays » et faisant allusion à un éventuel retrait des ministres soupçonnés de conflits d'intérêts. D'ailleurs, le porte-parole de l'Union générale tunisienne du travail (Ugtt), Sami Tahri, a appelé les ministres soupçonnés de « corruption et de conflit d'intérêts » à se désister, jusqu'à ce que la crise politique soit résolue. Cette crise politique est également à l'origine de divergences au sein des partis politiques. Alors que le député Hassouna Nasfi a implicitement critiqué le Chef de l'Etat, l'accusant de «mener la Tunisie vers l'inconnu» et de «démarche inconstitutionnelle», son parti Machrou Tounès s'est rapidement désengagé de ses déclarations. Le mouvement Machrou Tounes, qui pense que les déclarations de Nafsi n'engage en rien le parti, a affirmé son attachement à la ligne politique générale du parti en rapport avec les gouvernements successifs depuis les dernières élections et son opposition à «la soumission du nouveau gouvernement, annoncé comme étant un gouvernement de compétences, au chantage politique exercé par la ceinture parlementaire».