Najem Gharsalli s'en va, laissant derrière lui tant de zones d'ombre. Son successeur fera-t-il mieux ? Le ministère de l'Intérieur a désormais un nouveau patron, en la personne de Hédi Majdoub, après le départ de Najem Gharsalli qui a fait les frais du dernier remaniement ministériel. Un départ synonyme de limogeage qui a pris au dépourvu les observateurs les plus avertis. Ceux-là mêmes qui pariaient, les yeux fermés, sur son maintien, à la faveur des «grandes réalisations qu'il avait accumulées dans le cadre de la guerre contre le terrorisme en Tunisie». Or, à bien y voir, il n'y a pas lieu d'aller vite en besogne, car il est de tradition politique que, dans le mandat de tout ministre, il y a la pluie et le beau temps, des périodes de gloire et des jours sans, ce qui s'applique parfaitement au passage de M. Gharsalli à la tête de ce département où il avait alterné aussi bien des hauts que des bas. Les hauts d'abord, comme en attestent : 1 — Le saut qualitatif qu'a connu la situation sécuritaire dans le pays au cours des derniers mois, avec notamment des centaines d'arrestations dans les rangs des terroristes et la découverte de plusieurs dépôts où étaient stockées d'importantes quantités d'armes et de munitions. 2 — Le démantèlement d'une centaine de cellules dormantes qui planifiaient des attentats. 3 — L'intensification du travail anticipatif érigé enfin en moyen de traque incontournable des jihadistes où qu'ils soient. 4 — Les différentes purges opérées dans l'appareil sécuritaire du pays et qui ont entraîné le limogeage de pas moins de trente personnes (entre cadres et agents). 5 — Le renforcement de l'action commune de prévention avec les autres parties prenantes, à savoir les ministères de la Défense, de la Santé, du Tourisme, de la Justice, des Finances et du Transport, ainsi qu'avec les services de renseignements des pays frères et amis. 6 — La multiplication des visites inopinées qui l'ont conduit jusqu'aux régions frontalières du pays. Le revers de la médaille Il n'empêche M. Gharsalli n'a sans doute pas fait que de belles choses. Comme pratiquement tous ses semblables, force est de constater qu'il a eu, lui aussi, son lot de... peaux de banane qui a fait des mécontents, et qui a eu pour effet inévitable de ternir quelque peu son palmarès. Jugez-en : — La cavale qui perdure de nombreux terroristes notoires dont ceux impliqués dans les assassinats de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi. — La persistance criarde de l'énigme de la bataille de Jebel Chaâmbi où sont encore embusqués, depuis trois ans, de nombreux jihadistes redoutablement armés. – Le limogeage controversé du secrétaire d'Etat chargé de la Sécurité. – L'incapacité de faire baisser les tensions engendrées par le pluralisme syndical galopant qui sévit toujours dans ce département, comme l'illustrent les grèves de plus en plus fréquentes des agents de l'ordre. – La non-satisfaction de la totalité des revendications sans cesse réclamées par les cadres et agents des différents corps des forces de sécurité intérieure. – L'ampleur des dégâts occasionnés par les fracassants et tragiques attentats du musée du Bardo, de Sousse et de l'avenue Mohamed-V. Dans d'autres pays, ces trois échecs cuisants auraient entraîné sinon le limogeage du ministre de l'Intérieur, du moins sa démission. – Le retard énorme accusé par les enquêteurs du ministère pour élucider une partie des énigmes de ces trois attentats. – La persistance de la police parallèle et de la vieille rivalité entre les corps de la police et de la Garde nationale entre lesquels le courant ne passe toujours pas. Et pourtant, M. Gharsalli avait promis au lendemain de sa nomination par Mehdi Jomaâ, de démystifier ce casse-tête tenu longtemps secret. – Le dernier scandale (c'en est vraiment un) de l'aéroport Tunis-Carthage où étaient impliqués des responsables sécuritares aujourd'hui mis en examen. Un lourd héritage En dépit de ces neuf reproches qui constituent un manque à gagner certain, M. Gharsalli s'en va avec peut-être un grincement des dents et beaucoup de regrets, mais il s'en va aussi la conscience tranquille, la tête haute, pour avoir consenti des sacrifices, donné le meilleur de lui-même et répondu à l'appel de servir le pays avec abnégation et dévouement. Il n'est pas non plus sans savoir que la vie est ainsi faite et que nul n'est infaillible ou éternel. Mais, qu'est-ce qu'il a laissé pour son successeur ? Sans doute du pain sur la planche, pour ne pas dire des...cadeaux empoisonnés ! C'est d'autant plus possible que le nouvel homme fort du ministère de l'Intérieur, Hédi Majdoub, aura une tâche autrement plus ardue, avec notamment des menaces terroristes de plus en plus sérieuses, des bruits de bottes à nos frontières avec la Libye et des dizaines de dossiers brûlants en suspens. Un lourd fardeau dont la gestion, entendons-nous clairement, aurait dû être confiée à un pro, un poids lourd de la sûreté nationale. Et dire que, durant son long parcours dans ledit département, M. Majdoub s'occupait uniquement du portefeuille des collectivités publiques et locales (gouvernorats, municipalités et conseils régionaux). Bon vent, quand même.