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La voix de la révolution
Entretien du lundi — Ouled Ahmed — poète
Publié dans La Presse de Tunisie le 11 - 01 - 2016

Ouled Ahmed compte parmi les plus grands poètes tunisiens. Certains le considèrent comme un véritable monument de la poésie. Une œuvre engagée marquée de militantisme patriotique qui n'est plus à présenter. Affaibli par sa lutte contre un cancer du poumon depuis plus d'une année, il a accepté de nous accorder cet entretien...
Il y a deux mois, la maison arabe du livre a édité vos textes et Nirvana vient de consacrer un beau livre à vos poèmes avec des calligraphies de Nja Mehdaoui en couverture...
Cette édition de «Edar Al arabia lilkiteb», parue il y a deux mois, rassemble mes poèmes sur une tranche de 25 ans autour de 320 pages. Ce sont des textes en prose que j'ai publiés dans les journaux entre autres sous le titre «Le livre des Tunisiens». La même maison a édité mes poèmes sous le titre de «Brouillon de patrie». Lorsque je suis tombé malade, plusieurs de mes amis entre autres traducteurs, peintres et calligraphes se sont joints à moi pour éditer ce beau livre sous le titre de «Ouled Ahmed : poèmes choisis» où le lecteur pourra trouver une vingtaine de mes poèmes traduits en français et en anglais ainsi que des dessins et des calligraphies qui servent de support à mes textes. C'est un beau livre publié par Nirvana édition et je remercie à l'occasion Hafedh Boujmil pour cette édition. Je trouve que c'est une expérience intéressante parce que je suis convaincu que la poésie doit être écrite sur des supports différents. Au marché de la poésie auquel j'ai assisté à Paris, j'ai remarqué que la poésie fait l'objet de cadeaux qui s'offrent sur du verre, du bois, du fer et même sur des tee-shirts... En ces temps où le monde arabe étouffe, on a besoin de voir la poésie affichée sur les vêtements des gens et sur leur poitrine dans les lieux publics. Surtout lorsqu'on constate que l'écrit chez certains groupuscules est une invitation au meurtre. La poésie et l'art, eux, invitent à la vie. Il y a un an, j'ai publié aux éditions Ouled Ahmed deux livres : «Etat de route» et «Commandement poétique de la révolution tunisienne». Le deuxième livre est le récit au jour le jour du 20 décembre 2010 jusqu'aux premières élections qui ont eu lieu en 2011. Il s'agit de textes datés qui pourront servir de documents historiques pour les générations futures.
Comment évaluez-vous aujourd'hui et avec le recul ce qui s'est passé pendant le 14 janvier ? Pour vous, était-ce vraiment une révolution ?
Personnellement, je crois qu'il y a eu une révolution... et je déteste les déceptions... L'Histoire n'est pas le temps ! Ce n'est pas un temps imparti pour tel ou tel événement. Il y a des révolutions qui ont nécessité un siècle pour voir leurs objectifs se réaliser. On a gagné un bien précieux qui est la liberté et c'est quelque chose d'irréversible. Et ce n'est pas rien ! Parce que le problème n'est pas dans le développement économique seulement. Les régimes autoritaires emploient des gens et font du développement mais ils restent toujours des régimes autoritaires. Je pense que la liberté est plus importante. Car la liberté est aussi capable de promouvoir le développement d'un pays, même si c'est sur le long terme.
Vous n'êtes pas déçu par cette révolution ?
Non, je ne suis pas déçu par la révolution et je considère qu'elle est encore en marche. Mais la seule question qui pose problème chez nous est la suivante : comment dater la révolution ? Je n'ai jamais vu une révolution qui commence du 17 décembre au 14 janvier par exemple. Pour moi, la révolution a commencé le 17 décembre et elle n'est pas encore finie d'autant plus que les facteurs qui l'ont déclenchée «emploi, dignité et liberté» sont encore très vifs. C'est très difficile d'évoluer rapidement dans nos sociétés arabes basées sur l'obscurantisme religieux et sur des mentalités figées au XIVe siècle! Quand je pense aux arabes, je dis que nous sommes devenus une tare pour le monde ! Nous sommes devenus une source de terreur pour le monde ! Même la religion de l'islam a été défigurée par des pilleurs et des bandes spécialisées dans l'escroquerie et le meurtre. D'un point de vue géopolitique, les grandes puissances visent à exploiter les richesses naturelles dans ces pays dont l'effritement arrange leurs intérêts.
Avez-vous peur que ces bandes de pilleurs aient un jour la mainmise sur le pays ?
Depuis une trentaine d'années, j'écris et je pointe le doigt contre l'utilisation de la religion en politique. Je suis pour un Etat civil d'autant plus que la démocratie n'a jamais été une affaire de religion. Et ce n'est une diffamation ni pour la démocratie ni pour la religion. Tiens ! Même la poésie n'est pas démocratique ! C'est facile de recruter des gens naïfs au nom de la religion et de la métaphysique. Cela dit, je dis que heureusement que les révolutions en Tunisie et en Egypte ont donné l'occasion aux islamistes de gouverner et on a vu les conséquences. Ce n'est pas par hasard que les califes, les penseurs il y a quatorze siècles, étaient la plupart du temps assassinés... Car gouverner par la religion n'empêche pas la lutte intestine pour le pouvoir. La religion n'est enfin qu'un alibi pour ceux qui font de la politique. Les islamistes n'ont pas de programme politique, ils ont un programme moral qui ne peut pas faire avancer les choses, ils ont aussi subtilisé l'argent public. Il ne faut pas oublier que ce programme islamiste à été lancé par les Etats-unis. L'exemple tunisien en est la preuve. En fait, je pense que depuis la troïka, la Tunisie est gouvernée par l'ambassadeur des Etats-unis en Tunisie. C'est normal, puisque pour sortir de ce piège, les Etats-Unis doivent trouver un modèle réussi de cet islam politique et c'est justement la Tunisie qui en constitue une sorte de laboratoire. Heureusement qu'on a des jeunes et des moins jeunes qui sont conscients de cela ! De toute façon, quelles que soient les conditions, nous ne devons pas reculer, ne serait-ce que d'une once, sur nos libertés.
Mais l'islam politique a des chances de percer en Tunisie...
Je ne pense pas ! Là, le problème n'est pas politique, il est plutôt social ! Avant on subissait la dictature de la politique et de l'Etat, aujourd'hui il y a pire à craindre, c'est la dictature du peuple. Un groupe de jeunes peut arrêter une exposition ou un spectacle.. Rappelez-vous la Ebdellia... il faut une différenciation sociale et cela demande du temps... Maintenant, le peuple tunisien a tranché pour un Etat moderne pendant les dernières élections. Mais c'est aussi au peuple d'assumer ses responsabilités... On ne va pas passer notre temps à se plaindre.
Selon vous, qu'est-ce qui a conduit le monde arabe vers ce gouffre...?
Toutes les grandes idéologies sont tombées. Il ne reste que la religion et la religion est quelque chose de facile. Elle ne demande pas un effort intellectuel pour les gens simples alors qu'au fond elle constitue une matière à penser ainsi qu'un besoin humain. Celui qui croit en quelque chose d'une manière stupide est malade mais celui qui réfléchit est sain d'esprit. Ce besoin humain de la religion qu'on éprouve lorsqu'on l'introduit dans la vie publique, il devient des interdits, de la censure et du «Takfir». C'est ce qui se passe quand on fait de la politique au nom de la morale et pas au nom de la législation. Les médias surtout audiovisuels ont une grande part de responsabilité dans ce déraillement. Ces médias ont permis à beaucoup de gens de dépasser leurs limites et de s'agresser mutuellement par le verbe. Plusieurs journalistes ont besoin d'une mise à niveau afin qu'ils ne soient pas un jeu entre les mains de leurs invités. Je ne sais pas non plus pourquoi les médias étrangers et tunisiens parlent toujours de terrorisme mais ils ne prononcent jamais le mot «Terrorisme religieux» car ce qui se passe aujourd'hui c'est un terrorisme religieux... Il faut bien nommer les choses, c'est le propre de la pensée... Et ajouter l'adjectif «religieux» sinon on va diluer le problème. Si on ne nomme pas le mal on ne peut pas le vaincre.
Une grande majorité de Tunisiens aujourd'hui pense que la révolution ne nous a rien apporté...
Aujourd'hui j'ai 60 ans ! Je suis content d'avoir vécu les périodes de Bourguiba, de Ben Ali, la période charnière de la révolution et celle d'après la révolution... J'aurais vraiment souhaité que dans ce mouvement des révolutions arabes, Mahmoud Darwich et Mohammed Abd El Jabri soient présents. Ils auraient compris que le citoyen tunisien et arabe en général est capable de bouger et de se lever pour demander ses droits et ses libertés. La révolution ne nous a rien apporté ? Mais est-ce qu'on s'attendait vraiment qu'elle réalise quelque chose ? A mon sens, la révolution n'est pas faite pour réaliser des objectifs immédiats. C'est déjà bien que le pays est resté soudé. Je pense que ce qui a évité à la Tunisie l'effritement c'est son ancrage historique berbère et carthaginois dans la Méditerranée...
Comment vivez-vous votre combat contre la maladie ?
Il y a un an j'étais invité à Rammallah au musée de Mahmoud Derwich puis je suis passé en Algérie pour un festival de poésie. J'ai commencé à éprouver des douleurs... J'ai pris cela pour une bronchite mais, lorsque j'ai consulté, j'ai appris qu'il s'agit d'un cancer du poumon. Je suis un grand fumeur mais ce n'est pas la seule cause. Je pense que les grandes déceptions politiques, d'avant et d'après la révolution et la pression que je me suis imposée par le travail sont à l'origine de mon cancer. J'ai travaillé avec acharnement tous les jours parce que je veux être témoin de mon époque. Je remercie tous ceux qui me soutiennent aussi bien les officiels de l'Etat que les gens qui aiment ma poésie. C'est un soutien pour l'art et pour la poésie qui est une délivrance comme, disait Nietzsche. Ce soutien me permet de faire face à la maladie.
Vos amis disent que c'est le cancer qui a été atteint par Ouled Ahmed et pas le contraire tellement vous résistez avec acharnement...
A Sidi Bouzid nous n'avons pas vécu notre enfance ! Là-bas, à l'âge de cinq ans, on est déjà adulte... On garde les troupeaux et on va faire le marché, etc., enfant déjà j'ai appris à combattre le pire...
Comment avez-vous vécu les intox qui sont sortis concernant votre décès ?
C'est de l'intox qui porte préjudice à ma famille et ça je n'apprécie pas du tout ! Je trouve que c'est méchant. Il y a des jeunes qui m'attaquent quotidiennement sur facebook avec des intox et des accusations... Mais je me suis habitué à tout cela, je ne leur réponds plus. Tout cela parce que je critique des personnalités politiques islamistes... comme si Dieu Lui-même s'incarnait en ces personnalités politiques. On ne sait pas encore faire la différence entre le sacré et le profane. Je rappelle que je n'ai rien contre l'islam, je dis simplement que la religion ne doit pas être politique et s'immiscer dans la vie publique.
Comment avez-vous vécu l'hommage qui vous a été rendu le 14 octobre ?
L'hommage du 14 octobre est aussi un hommage rendu à la poésie. La poésie est un besoin et je trouve que la révolution tunisienne a eu pour moteur la poésie essentiellement ! C'est justement la concrétisation du vers de Abou El Kacem Chebbi «Idha echaâbou yaouman arada al hayet». C'est la volonté de vivre qui a été à l'origine du mouvement et la poésie n'est qu'une expression de la volonté de vivre.


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