Les agriculteurs redoutent une faillite dans certains secteurs Surproduction laitière, élevage en souffrance et grandes cultures en balançoire pérenne : tel est le constat d'échec qui semble gagner le secteur agricole ces derniers temps, entraînant à la fois un dépit et un marasme chez tous les agriculteurs. C'est qu'en fait l'agriculture tunisienne, considérée comme l'un des joyaux de l'indépendancce et la principale réussite de l'économie du pays, est, aujourd'hui, confrontée à de graves défaillances structurelles qui, malheureusement, risquent de mettre en péril plusieurs secteurs sur lesquels l'Etat a pourtant parié pour assurer son indépendance alimentaire, en garantissant l'autosuffisance dans la plupart des secteurs vitaux comme la céréaliculture, les viandes, les laitages, les fruits et légumes. Aujourd'hui, les agriculteurs se disent dans leur majorité victimes d'un système qui a du mal à suivre les mutations sociales du pays et à mettre en place des mécanismes d'organisation, de régulation et de commercialisation de l'excès de production, en se contentant quelque peu des marchés traditionnels, européens en premier lieu. Abderraouf Chebbi, président du Syndicat régional des agriculteurs du Kef, parle d'un avenir sombre pour l'agriculture tunisienne, estimant que les contraintes auxquelles sont confrontés les agriculteurs, ces derniers années, sont loin d'arranger les choses. Bien au contraire, estime-t-il, elles ne font qu'enfoncer le clou, d'autant plus que l'Etat ne semble pas trop vouloir prendre les choses au sérieux et chercher des solutions aux problèmes de la surproduction. Il s'étonne même de voir d'importantes quantités de lait, près de cent mille litres par jour, selon plusieurs responsables des centres de collecte de lait frais, jetés dans la nature ou dans les canaux des eaux usées, engendrant ainsi pour les éleveurs des régions du Nord-Ouest un déficit financier non négligeable qui aurait pu couvrir une partie des charges ou des dettes des producteurs. Les solutions prises par l'Etat pour la création d'une centrale d'assèchement du lait n'ont pas encore répondu aux attentes des éleveurs qui ont été cette semaine contraints de déverser une dizaine de milliers de litres dans les égouts, une crise qui pourrait encore s'aggraver car l'on n'a pas encore atteint la période de forte lactation, annoncée sous peu. Autre bémol, les producteurs de pommes de terre n'ont pas échappé au marasme du secteur. Ils ont failli tout perdre cette année, à Jendouba essentiellement, où ils ont poussé un cri d'alarme pour faire en sorte que l'Etat absorbe le surplus de production de saison, à travers le stockage. Pour le secteur des solanacées, c'est encore pire, car pour beaucoup de producteurs, le secteur est menacé par les surcoûts et par les prix bas à la vente en gros. La production de tomate et de piment vert d'été serait en passe d'être abandonnée à en croire certains habitants de la zone de Abida, qui évoque des pertes sur l'oignon et les plantes à feuilles, vendues ces dernières semaines à prix bradés ne couvrant pas les charges réelles et effectives de la production. Les éleveurs de bovins et d'ovins ne sont pas en reste. Ils ont beau crier leur détresse et demandé à l'Etat d'arrêter l'importation de la viande congelée, invoquant un surplus de la production nationale en matière de viandes rouges, auxquelles s'ajouteraient les complaintes des aviculteurs qui, à leur tour, se plaignent d'un surplus de production ayant atteint des niveaux records alors que la demande n'a,semble-t-il, pas progressé. Au contraire, elle a chuté d'une manière vertigineuse. Pour certains agriculteurs, tous secteurs confondus, la Tunisie est actuellement à la croisée des chemins et elle se doit de préserver les réussites accomplies dans le secteur agricole, surtout que d'autres pays n'ont toujours pas atteint les mêmes niveaux que les nôtres et continuent encore de dépendre dans leur survie de l'importation. On ne manquera pas au passage de signaler aussi la grogne des producteurs de dattes qui ont vu, cette saison, leur production sombrer dans un engrenage à même de les mettre en péril. Heureusement que certaines solutions ponctuelles ou de replâtrage ont été effectuées à la va-vite et ont calmé un tant soit peu la grogne des producteurs. Les agriculteurs proposent une révision des systèmes de production, même s'ils reconnaissent que la baisse de la consommation est due en partie à la débandade du secteur touristique qui, à titre d'exemple, absorbait près de trois mille tonnes de poulet en chair, contre un millier seulement actuellement, soit une baisse de plus de 66%. Dans cette perspective d'inquiétude généralisée, les céréaliculteurs semblent résignés à la fatalité et scrutent le ciel en quête de pluie car le déficit pluviométrique de février a atteint dans certaines régions plus de 80%. Certains parlent déjà d'un début de perte de la récolte ou au moins d'une partie, à cause de la sécheresse et de la rétention des chutes pluviales. Pour un secteur trop endetté, la céréaliculture semble de plus en plus confrontée à un avenir peu prometteur, d'autant que le gouvernement n'a fait qu'un rafistolage dans le secteur à travers la prise de mesures jugées maigres et gringalettes alors que les professionnels s'attendaient à des décisions fortes à même de les faires sortir du tableau noir. Si l'on a trop présumé sur la volonté du gouvernement quant à la nécessité d'intervenir d'une manière énergique pour soutenir les céréaliculteurs, il va falloir cependant réviser les bonnes intentions et se rendre à l'évidence que l'Etat a, probablement, les mains liées. Mieux vaut alors soutenir des secteurs en plein boom que de les laisser prendre la dérive, car une chute serait fatale pour tout le pays, pas seulement pour les professionnels. Une urgence s'impose : intervenir tôt avant qu'il ne soit trop tard, l'histoire se souviendra du courage des hommes.