Par Hmida Ben Romdhane Que le Liban tienne bon, préserve sa sécurité et s'oppose résolument et avec succès au réveil de ses propres démons de la guerre civile, alors que les démons de la guerre et du terrorisme mettent toute la région à feu et à sang, cela relève du miracle. Voyons les choses d'un peu plus près. La charpente politique libanaise repose sur un équilibre précaire et sur un partage laborieux du pouvoir entre musulmans sunnites, musulmans chiites, chrétiens et druzes. Cet équilibre a été rompu brutalement en 1975, ce qui a engendré une guerre civile atroce qui a duré 15 ans. Ce n'est qu'en 1990, avec les accords de Taef, que l'équilibre rompu a été rétabli, équilibre qui, miraculeusement, cinq ans après le déclenchement de la guerre en Syrie, tient toujours. Les relations qui lient la Syrie et le Liban depuis leur indépendance en 1945 sont si intimes, si particulières et si complexes que quand la première éternue, le second s'enrhume. En 2011, quand la guerre s'est déclenchée en Syrie, la question que tout le monde se posait était non pas si, mais quand l'incendie franchirait la frontière pour brûler le Liban. Cinq ans après, on ne peut que constater avec soulagement que le petit Liban avec sa petite armée et sa mosaïque démographique et confessionnelle a brillamment tiré son épingle du jeu de massacre qui ensanglante la région. Cet exploit libanais est d'autant plus remarquable que le pays a réussi à juguler la menace terroriste du couple infernal Daech/Annosra, et à accueillir sans problèmes majeurs plus d'un million de réfugiés syriens, ce qui n'était pas une mince affaire. Les organisations terroristes Daech /Annosra qui occupent des villes entières en Irak et en Syrie ont tenté et tentent toujours d'avoir un pied à terre au Liban. En vain. Elles ont commis deux ou trois attentats, mais elles ont été maintenues loin des frontières terrestres et maritimes libanaises. Plus remarquable encore est la gestion du problème des réfugiés. Proportionnellement à sa population, et sans compter les centaines de milliers de réfugiés palestiniens, le Liban a accueilli plus d'un million de réfugiés syriens, soit le quart des 4,1 millions d'habitants que compte le pays. Soit l'équivalent de 75 millions de réfugiés pour les Etats-Unis, 25 millions pour l'Allemagne ou encore 20 millions pour la France... Imaginons le Mexique et le Brésil dans la même situation que l'Irak et la Syrie et que 75 millions de réfugiés traversent le golfe du Mexique et s'entassent aux portes de la Floride et du Texas, que feront les Américains ? Si pour quelques centaines de « wetbacks » — dos mouillés — (appellation sarcastique des Mexicains qui traversent à la nage le Rio Grande vers le Texas), si donc pour quelques centaines de réfugiés ils n'ont pas hésité à construire une immense barrière et mobiliser dix fois plus de gardes-frontières que de candidats à l'immigration, que feront-ils si, comme c'est le cas au Liban, 75 millions d'étrangers défoncent les frontières et envahissent la Floride, le Texas et le Nouveau Mexique ? On n'ose pas imaginer la réaction de la première puissance militaire du monde. Cet exemple imaginaire met en lumière l'extrême générosité et la grande humanité du peuple libanais, car peu de peuples dans le monde acceptent d'accueillir un aussi grand nombre de réfugiés sur une aussi longue période. Pourtant, au lieu de remercier le Liban, au lieu de l'aider à supporter cette charge très disproportionnée par rapport à sa taille et à ses ressources, il y en a qui cherchent à le déstabiliser. La décision du Conseil des ministres arabes de l'Intérieur, sous la forte pression saoudienne, de classer le Hezbollah comme une organisation terroriste vise-telle autre chose que la déstabilisation du pays ? Le Hezbollah est l'un des principaux piliers sur lequel reposent la stabilité, la paix et la sécurité du Liban. Tenter de fragiliser ce principal pilier, c'est tenter de mettre en danger tout ce dispositif laborieusement mis en place par les différentes factions politiques et confessionnelles. C'est une loi de la nature qui s'applique aussi bien aux constructions politiques qu'aux constructions en briques et en béton. Inutile de rappeler ici les exploits du Hezbollah en 2000 quand il a expulsé les Israéliens du sud Liban après 18 ans d'occupation, et quand il a vaillamment résisté pendant plus d'un mois aux bombardements intensifs israéliens de l'été 2006. Ces exploits et d'autres encore sont connus des Arabes de l'Atlantique au Golfe. Cela dit, le Hezbollah n'est pas blanc comme neige, et nombreux sont les Arabes qui lui en veulent d'avoir « fêté » les mises à mort atroces de Saddam Hussein et de Mouammar Kadhafi. Mais le Hezbollah avec ses défauts et ses qualités est une composante politique, économique, sociale, religieuse et culturelle majeure du Liban. Vouloir réduire cette force multiforme intimement intégrée au tissu politico-social libanais à une vulgaire organisation terroriste, cela relève de l'irrationalité. A ce niveau, il n'est guère étonnant que cette irrationalité trouve sa source en Arabie saoudite. Ce pays se comporte à la manière de quelqu'un qui ne sait trop que faire à force d'accumuler les déconvenues et d'échouer dans tout ce qu'il entreprend. C'est un fait qu'après avoir échoué d'empêcher la réconciliation irano-américaine, après ses lamentables déboires en Syrie et au Yémen, le royaume wahhabite est au bord de la crise des nerfs et peine à se contrôler et à rationaliser un tant soit peu sa politique régionale et internationale. Mais le plus déconcertant est que, au lieu que les gouvernements arabes, à quelques exceptions près, convainquent l'Arabie saoudite de la futilité et de l'absurdité de sa décision, c'est elle qui les convainc de cautionner sa politique irrationnelle de fuite en avant.