Tantôt instrumentalisées à des fins électoralistes, tantôt déçues par les choix de Rached Ghannouchi qui prennent à contrepied les positions et les principes du parti, la base d'Ennahdha finit par se révolter contre la direction du parti. Nul ne peut remettre en cause ce constat, celui d'une érosion sans précédent du potentiel électoral du parti. Au cœur de la tourmente, Ennahdha traverse l'une des phases les plus sombres de son histoire. Et pour cause, une exclusion de la scène politique et parlementaire où elle puisait sa force, suite au coup de passage en force de Kaïs Saïed, des démissions interminables de ses dirigeants de première ligne mais surtout une tension qui remonte à la surface avec ses bases électorales. Pour ce dernier constat, ce sont notamment les agissements et les choix politiques de Rached Ghannouchi qui sont placés sur le banc des accusés, même par les leaders les plus proches du leader historique du parti islamiste. En tout cas, la récente affaire Sami Essifi rouvre le débat autour de la relation entre Ennahdha et notamment son leader Rached Ghannouchi, d'une part, et ses bases et sympathisants, d'autre part. Ce militant du parti qui a choisi de s'immoler par le feu dans le siège du parti dans un geste symbolique révélateur et qui en dit long sur la dégradation des relations entre Ennahdha et ses bases. Tantôt instrumentalisées à des fins électoralistes, tantôt déçues par les choix de Rached Ghannouchi qui prennent à contrepied les positions et les principes du parti, ces bases finissent en effet par se révolter contre la direction du parti. D'ores et déjà, le réservoir du parti islamiste ne cesse de s'effriter tout au long des dernières années. Nul ne peut remettre en cause ce constat, celui d'une érosion sans précédent du potentiel électoral d'Ennahdha. Il suffit de rappeler que le réservoir électoral du mouvement était de 1.5 million d'électeurs en 2011, contre un peu plus de 434 mille à la présidentielle 2019. Un indicateur objectif qui pourrait renvoyer à une sorte de colère mais aussi à un vote sanction exercé par les électeurs d'Ennahdha contre la direction de leur parti et notamment contre Rached Ghannouchi, dont les décisions ne font plus l'unanimité. Comment peut-on expliquer ce constat ? Pourquoi le parti, auparavant tant uni et solidaire, tombe dans la division et continue de décevoir ses bases ? Peut-on parler réellement d'une rupture entre Rached Ghannouchi et les bases d'Ennahdha ? Il faut agir ! Préférant garder son anonymat «au vu des circonstances que connaît le parti», un leader ayant récemment présenté sa démission du parti reconnaît que la relation entre Ennahdha et ses bases n'est plus, depuis un moment, au beau fixe. Pour lui, il s'agit d'un cumul qui ne cesse d'affaiblir la confiance qu'accordent les bases d'Ennahdha au parti et à son leader historique. «Cela avait commencé en 2014 lorsque Ennahdha a changé de position et s'est allié à Nida Tounès», rappelle-t-il. «Au fait, pour sauver le parti, il faut agir au plus vite, le récent incident survenu au siège d'Ennahdha doit nous rappeler tous de la délicatesse de la situation et des problèmes à résoudre», note-t-il. Le parti qui, dès le départ, s'est construit une image d'un défenseur de la religion et des principes de l'Islam, ne cesse de multiplier les faux pas, commis notamment par son leader Rached Ghannouchi, comme l'affirment même des dirigeants nahdhaouis. Il faut rappeler que le 10e congrès d'Ennahdha, parti aux racines islamiques, qui s'est déroulé en 2016 avait accouché d'une réforme majeure proposée surtout par Rached Ghannouchi: la séparation du politique et du religieux. Sauf que cette décision passait très mal dans les milieux islamistes, là où le temple de Montplaisir puise sa légitimité. Si ce résultat reflétait davantage une discipline de vote au sein du parti, forgée par des années de clandestinité, le consensus de la base faisait défaut. Pour elle, le parti n'est plus en mesure de la représenter puisque son identité, bâtie principalement autour de l'islamisme, s'est diluée dans ce que certains préfèrent appeler un pseudo-modernisme. Même avant, en 2014, Rached Ghannouchi qui a pris à contrepied le vote de ses bases, était à l'origine de nombreuses mauvaises décisions. Si l'alliance contre nature entre Ennahdha et Nida, ou principalement entre Rached Ghannouchi et feu Béji Caïd Essebsi, a détruit le parti fondé par l'ancien président de la République, elle a coûté aussi cher au parti islamiste. Et Rached Ghannouchi n'a pas retenu les leçons nécessaires d'une telle décision ayant mis à mal sa relation avec les bases d'Ennahdha, la même erreur s'est reproduite lorsque le leader historique du mouvement islmaiste est allé jusqu'à s'allier avec Qalb Tounès et son président Nabil Karoui, qu'il avait pourtant diabolisé tout au long de la campagne électorale de 2019. De fausses promesses relatives surtout à la question des dédommagements à l'exploitation et l'instrumentalisation passant par la surenchère politique, le chef du parti Ennahdha n'a pas su entretenir de fortes relations avec les bases de son parti, pourtant ce sont elles qui font la puissance de cette structure politique. Autant dire qu'il préfère se lancer dans des jeux d'alliance et des manœuvres politiques aussi risqués qu'ils soient. Rached Ghannouchi et les salafistes Sauf que pour comprendre l'origine du mal, il faut remonter à l'année 2011 et même avant. Depuis le 14 Janvier 2011, Ennahdha était devant l'épreuve de la rue face à une opposition mobilisée et une société civile hostile aux valeurs véhiculées par ce parti conservateur. Afin d'y faire face, le parti a joué la carte du soutien salafiste en donnant à toutes ses causes politiques une dimension religieuse et en mobilisant les gens même dans les mosquées. Une fois cette mission faite, Rached Ghannouchi a rapidement tourné le dos à cette branche et s'est concentré sur la construction d'une nouvelle image d'un parti présenté comme étant moderniste. D'ailleurs, à l'époque, tous les protagonistes politiques fustigeaient le double discours d'Ennahdha, car le parti ne trouvait plus ses repères. En 2012, après des semaines de mobilisation, Ennahdha avait décidé de renoncer à l'inscription de la Chariaâ dans la Constitution, causant ainsi une première rupture avec ses alliés. Quelques mois après, quatre salafistes sont tués par les forces de sécurité suite à une manifestation violente devant l'ambassade des Etats-Unis à Tunis le 4 septembre 2012, ce fut la véritable rupture entre Ennahdha et les milieux islamistes et notamment les salafistes. En tout cas, dès le départ, Rached Ghannouchi était confronté à un choix périlleux. Préserver ses relations avec ses bases composées essentiellement des milieux islamistes et les familles conservatrices ou se forger une nouvelle identité d'un parti moderniste. Mais le parti, qui paye actuellement les mauvais choix de sa direction historique, a, semble-t-il, perdu les deux combats.