Conscients de la nécessité de déplacer les archives de la Satpec dans un lieu garantissant leur stockage dans des conditions décentes, les techniciens du film s'interrogent sur le bien-fondé des modalités de déménagement de ces pellicules argentiques. Deux cinéastes expriment leurs espoirs et leurs inquiétudes à propos de ce sauvetage. Le 2 décembre dernier la ministre des Affaires culturelles, Hayet Guettat, inspectait les archives de la Satpec, Société anonyme tunisienne de production et d'expansion cinématographique, un établissement public créé en 1957 et doté d'un complexe industriel, inauguré, en 1967, sur les collines de Gammarth. Après la dissolution de la Satpec, en 1992, les archives de ces laboratoires sont restées sur place. Le 7 décembre, cinq jours après cette visite, Hayet Guettat se réunissait avec des cadres de son ministère, du ministère de la Défense et des Domaines de l'Etat, ainsi que des représentants des Archives nationales pour examiner un projet de sauvetage et de numérisation des fonds audiovisuels des laboratoires de la Satpec qui renferment un si important, mais si fragile patrimoine. Les documents stockés depuis des années, dans des lieux démunis des conditions nécessaires pour leur préservation, comportent des images remontant aux années 50, au temps des Actualités tunisiennes. Une part de notre mémoire nationale s'y trouve à la merci de la dégradation naturelle et irréversible des émulsions chimiques. Le projet gouvernemental, qui prévoit de déplacer, dans un premier temps, les négatifs et tous les éléments à la Bibliothèque nationale, envisage d'effectuer, dans un deuxième temps, des réparations du local endommagé et enfin de remettre, dans un troisième temps, les films à leur place initiale. Ce projet de déménagements à répétition suscite des questionnements parmi les techniciens du film et anciens responsables des laboratoires de Gammarth. «Un patrimoine ballotté d'un lieu à l'autre» Pour Hichem Ben Ammar, réalisateur de documentaires et ancien directeur artistique de la Cinémathèque, l'approche pressentie est plus que discutable. Le cinéaste y voit deux inconvénients, voire deux risques majeurs : la déperdition du patrimoine ballotté d'un lieu à l'autre, et ce, en l'absence d'un inventaire antérieur au déménagement et la mise en place d'un investissements onéreux pour réhabiliter le local de la Satpec, situé en bord de mer et qui n'offre pas les conditions requises de sécurité. Il s'interroge : «Ne serait-il pas plus judicieux d'améliorer les conditions d'entreposage à la Bibliothèque nationale ou aux Archives nationales, lieux de mémoire, qui présentent des conditions aux normes et d'utiliser des montants importants prévus pour la réparation d'un bâtiment peu fonctionnel, pour financer d'autres rubriques du projet global de sauvegarde, comme la numérisation ? ». L'ancien directeur de la Cinémathèque, qui a œuvré, lors de son mandat, pour un projet de restauration de longs métrages tunisiens (voir encadré), met le doigt sur l'absence de vision des prédécesseurs de Mme Guettat : «Y a-t-il aujourd'hui en Tunisie de véritables compétences permettant de diriger et de superviser un chantier aussi monumental et aussi délicat ? La précipitation due à l'urgence de la situation ne peut qu'engendrer l'improvisation, prévient-il. Avons-nous songé à former des jeunes dans ce domaine si spécifique pour qu'ils soient opérationnels aujourd'hui ». Urgent : la mise à jour des répertoires Ancien directeur général adjoint de la Satpec de 1973 à 1980, réalisateur de films et producteur, Hassan Daldoul a été aussi rédacteur en chef adjoint des Actualités tunisiennes, 52 numéros en tout, diffusées dans les salles de cinéma avant la projection des longs métrages. Même si la propagande prévaut dans ces magazines d'actualité précédant l'avènement de la Télévision tunisienne, elles incarnent aujourd'hui un corpus d'images foisonnant de références pour les chercheurs et les historiens. Hassan Daldoul fait la liste des archives de Gammarth. Il s'agit, insiste-t-il, des différents éléments ayant permis l'élaboration de chaque film, à savoir des rushes, des négatifs, des copies de travail, des négatifs originaux, des internégatifs, des copies d'exploitation sans compter une matière sonore comportant des versions arabe, française et internationale. L'ancien responsable de la Satpec, aujourd'hui âgé de 80 ans, distingue également parmi les fonds du laboratoire entre les films déposés à Gammarth par des producteurs privés et qui ne tomberont dans le domaine public que 70 ans après leur première exploitation commerciale et ceux qui appartiennent à l'Etat. La mise à jour des répertoires est de ce fait indispensable. Un riche gisement d'images «La manipulation de la pellicule suppose la connaissance d'un process peu à peu tombé dans l'oubli. La technologie argentique exige beaucoup de dextérité et de minutie. La restauration d'un film représente une entreprise patrimoniale à plus d'un titre. Il y a l'aspect purement technique qui consiste à passer d'un support obsolète à un autre plus actuel, mais aussi un aspect documentaire qui consiste à identifier les contenus. Dans les Actualités tunisiennes, le fait de reconnaître les personnalités qui ont marqué les années 60 et 70 demande l'intervention d'historiens afin que les archivistes qui travaillent sur des personnalités politiques, telles que Klibi, Messaâdi, Masmoudi, Ben Salah ou autres, sachent où trouver des images les concernant». Tout le monde semble conscient que la décision de s'attaquer, enfin, à ce projet d'envergure, doit être accompagnée d'une méthodologie conséquente, sur la base d'une véritable étude technique et selon des protocoles internationalement approuvés. Quitte à faire venir des experts de l'étranger, il est capital de contrôler ce déménagement de manière scientifique, en établissant un diagnostic et une feuille de route correspondant aux normes de la Fédération internationale des archives du film fiaf. Ce serait pour les professionnels consultés la solution idoine contre le risque de déperdition des bobines et de déclassement des si précieux éléments de tirage.