Trois films de Sophie Ferchiou, doyenne des anthropologues et des cinéastes tunisiens, viennent d'être restaurés par la Cinémathèque. Deux de ces documentaires venaient d'être projetés dans le cadre du séminaire : «Films et Sciences sociales», organisé avec l'Institut de recherche sur le Maghreb contemporain (Irmc). Très belle initiative qu'est celle récente nouant des liens autour de l'image entre la Cinémathèque tunisienne et l'Institut de recherche sur le Maghreb contemporain (Irmc). Il s'agit d'un séminaire commun intitulé : «Films et Sciences sociales». La première séance du cycle 2018/2019, modérée par les deux chercheurs Kmar Bendana et Amin Allal, a été consacrée jeudi dernier à l'anthropologue et cinéaste tunisienne Sophie Ferchiou, aujourd'hui âgée de 87 ans. De plus, avec cette séance, la Cinémathèque tunisienne inaugure un programme de sauvegarde et de restauration de l'ensemble de l'œuvre cinématographique de Sophie Ferchiou qui compte une douzaine de films. Elle entame également un volet important de ses prérogatives, la sauvegarde d'œuvres cinématographiques tunisiennes en péril. «Or, un budget alloué à de telles opérations manque encore. Notre plan de restauration n'a pas vraiment commencé. L'initiative de sauvetage de trois films de Sophie Ferchiou incarne pour nous un appel aux décideurs pour les alerter sur l'urgence d'entamer ce travail», comme le fait remarquer Hichem Ben Ammar, le directeur de la Cinémathèque. «Une discipline scientifique» Après des études de sociologie à la Sorbonne, Sophie Ferchiou soutient sa thèse de troisième cycle en 1968 sur la fabrication de la chéchia. La soutenance est accompagnée d'un film documentaire d'environ trente minutes. «A la Sorbonne, ce jour-là, la projection de mon film a créé un tel remue-ménage. Je crois que c'était la première fois qu'un thésard arrivait avec un documentaire», se souvient Sophie Ferchiou. L'anthropologue présente ainsi son travail : «Le film montre la jonction entre le technique, le social et le symbolique dans le processus de production de la chéchia. Le film anthropologique ne fait pas partie d'un genre cinématographique. C'est plutôt une discipline scientifique : nous voulons connaître le réel humain au plus près de sa vérité mouvante». Or, le film sur la chéchia offre à voir plusieurs codes du cinéma : cadrage, ambiances, scénario, esthétique des gestes et des décors…Une vraie pépite au texte juste et précis, rendant compte d'une gestuelle ancestrale, celle des divers métiers qui fabriquent le fameux bonnet rouge tunisien d'origine andalouse et qui s'exportait dans de multiples pays de la Méditerranée. Une chaîne de savoir-faire, qui passe par la dextérité des mains des femmes chez elles, en traversant des étapes exécutées dans le monde rural, pour revenir aux souks des chaouachis dans la médina de Tunis, afin de finaliser les dernières retouches de cet objet. « Je me faisais oublier » « J'utilisais des équipes réduites pour mes tournages. Il faut déranger le moins possible les gens qu'on filme, jusqu'au point de se faire oublier. D'ailleurs je ne commence le tournage qu'une fois bien familiarisée avec le milieu. D'autre part, si l'enquête dure longtemps, le tournage doit durer très peu de jours, pour préserver ce côté spontané des gens. Ils ne doivent surtout pas se mettre à jouer », commente Sophie Ferchiou. Le second documentaire de l'anthropologue, également restauré par la Cinémathèque, s'intitule Guellala. Il a été produit dix ans après «Chéchia». Le film est une immersion dans le village berbère de Djerba avec un focus sur les relations de travail. Il revient également sur la dichotomie entre la pauvreté des habitants de Guellala et le luxe du monde du tourisme, les oppositions entre l'univers des femmes et celui des hommes, les écarts qui se creusent entre un artisanat ancestral et l'industrialisation... Des thématiques qui restent tellement d'actualité et que la cinéaste a su bien capter et rendre dans un film qui fait partie aujourd'hui d'un patrimoine iconographique à préserver sans la moindre hésitation. «Les négatifs étant introuvables, nous avons effectué la restauration de trois films de Sophie Ferchioui à partir d'éléments récupérés suite au crash du disque dur de la réalisatrice. Le risque de disparition de toute son œuvre était grand. Les copies numériques ainsi sauvées ont fait l'objet d'une amélioration de l'image portée à la résolution 2 K. Cette opération a été élaborée en Belgique». 25 documentaires, longs et courts métrages en péril produits dans les années 60 et 70 ont été identifiés par la Cinémathèque, dont : «Matanza», de Hassan Daldoul, «La Noce», du Nouveau Théâtre, «Une si simple histoire», de Abdellatif Ben Ammar », «Sous la pluie de l'automne», d'Ahmed Khechine… Dans les archives de la Satpec à Gammarth dorment également depuis bien longtemps toutes ces Actualités nationales, un trésor d'images, d'informations et de vérités sur ces années 60 et 70 croupissent dans le noir et l'oubli. Quand sonnera le temps de la mémoire restituée ?