Par Mohamed Ridha BOUGUERRA Pour la clarté du débat et afin d'éviter de malencontreux malentendus, il est, d'abord, impératif de rappeler quelques évidences. Dont celles-ci : à savoir que tout Tunisien qui lève son arme contre sa patrie, agit contre son intégrité et met en danger la sécurité de ses habitants est un traître qui doit être combattu avec force et détermination et dont le juste châtiment est la mort. De même, l'étranger qui transgresse les lois de notre pays se comporte d'une manière hostile sur notre sol et fait usage de la force armée contre nos compatriotes ne peut être considéré et traité que comme un ennemi qu'il est légitime de poursuivre et d'abattre sans hésitation aucune. Ce sont là les dures et implacables lois sans merci de la guerre que nous impose le terrorisme lâche et imprévisible. Mais, la guerre permet-elle ou autorise-t-elle tout ? Voilà la question à laquelle nous sommes douloureusement et urgemment confrontés aujourd'hui, si nous tenons à ne pas perdre notre âme au cours des affrontements que l'on ne cesse de nous annoncer avec la certitude de la fatalité. Il ne s'agit nullement de faire de cadeaux aux traîtres et aux ennemis ou de les assurer d'avance d'une quelconque impunité. Il s'agit, avant tout, de préserver nos valeurs, celles, en particulier, de dignité et d'humanité. Il s'agit, surtout, de ne pas nous abaisser au rang de l'ennemi jusqu'à imiter les pratiques barbares des tueurs et égorgeurs de Daech postés à nos frontières et aux aguets dans nos montagnes. Aussi, est-il impératif de rappeler ici le conseil que, dans Antigone de Sophocle, donne le devin Tirésias au roi Créon : « Respecte un corps sans vie, ne frappe pas un mort. Assassiner les morts, le bel exploit ! » C'est là un rappel qui s'impose d'autant plus qu'après la lâche attaque de Ben Guerdane, le 7 mars, qui nous a coûté douze martyrs entre civils et sécuritaires, certains parmi nous se sont, d'une manière très irresponsable, ‘'lâchés'' en quelque sorte, tant en paroles qu'en actes, oubliant en la circonstance une nécessaire et indispensable mesure. Passe encore, à l'extrême limite, que des selfies fassent le tour de la Toile avec de jeunes recrues du service militaire posant, enjouées, devant des cadavres de terroristes. Mais qu'un ministre du gouvernement, de l'Education de surcroît, censé donc inculquer à nos jeunes élèves les valeurs universelles de décence et de dignité, ne trouve rien à redire à cela ! Pire encore, que cet officiel investi d'une parcelle de l'autorité de l'Etat annonce urbi et orbi, sur le plateau d'une chaîne de télévision, qu'il a l'intention d'acheter le tee-shirt sur lequel cette condamnable photo a été imprimée, voilà qui dépasse la mesure et nous interpelle tous. Car, que l'on sache, ce comportement, qui surfe sur les bas instincts de vengeance, frise un populisme de mauvais aloi et s'apparente à la préparation d'un plan de carrière politique, ce comportement, disais-je, n'est pas vraiment représentatif de tous nos compatriotes attachés, dans leur immense majorité, au respect dû à un mort, fût-il notre pire ennemi. « Je ne suis pas née pour partager la haine, je suis née pour partager l'amour », clame l'antique Antigone condamnée à la peine capitale pour avoir enfreint l'ordre du roi et tenté de rendre à son frère, traître à sa patrie et tué au combat, les devoirs dus aux morts et que nous imposent, depuis la nuit des temps, des lois universelles et non écrites. Oui, contrairement à nos ennemis ensauvagés, nous sommes amoureux de la vie et nous n'idolâtrons pas la mort. Oui, contrairement à nos ennemis ensauvagés, nous ne mutilons pas les cadavres de ceux que notre devoir patriotique nous a amenés à tuer. Oui, contrairement à nos ennemis ensauvagés, nous respectons en tout mort notre part commune d'humaine condition. C'est là notre indéniable grandeur et nous sommes tous appelés à la préserver au cours des combats à venir.