Par Habib CHEKILI(*) Les forces du pouvoir religieux sont en train de monter encore d'un cran dans la voie de la théocratisation de notre pays et ce, malgré la volonté de notre nation d'avoir adopté une nouvelle constitution identifiée et réputée civile et non religieuse. Maintenant, c'est malheureusement au niveau du gouvernement tunisien que les reculades se dessinent, puisque le ministre des Affaires religieuses veut ouvrir les écoles, pendant les grandes vacances d'été, pour enseigner le Coran aux élèves. Il veut également instituer la zakat, apparemment, comme un nouvel impôt. La finance islamique est, dans la foulée, encouragée pour s'introduire officiellement dans notre système bancaire. Avant d'envisager des initiatives aussi lourdes et aventureuses, avons-nous réfléchi à leurs conséquences? Pour l'ouverture des écoles en été, avons-nous estimé ses coûts et tout le travail de mise en place et d'organisation d'un tel chantier, avec réquisition des enseignants et tout le personnel éducatif, qui ont plutôt besoin de se reposer et préparer les programmes des prochaines rentrées scolaires? Et les élèves? N'ont-ils pas besoin, eux aussi, de se reposer et de pratiquer leurs activités préférés sportives, artistiques, culturelles ou autres? Et l'apprentissage du Coran? N'est-il pas déjà prévu dans les programmes scolaires de culture musulmane? Que voulons-nous faire de nos enfants? Des érudits qui récitent par cœur de Coran? Pourquoi autant d'efforts et de temps? N'avons-nous pas des livres de Coran, par milliers, à des prix très abordables? Et le Coran est clair et facile à lire. Par contre, nos enfants ont urgemment besoin d'améliorer leur niveau scolaire, qui est malheureusement très bas. Ils ont besoin de tous les efforts des responsables politiques, scolaires et universitaires, pour examiner les problèmes de notre enseignement. Dommage que le ministre de l'Education nationale n'ait pas opposé son refus à cette initiative inattendue et qui n'a jamais existé auparavant, et qui risque de perturber et déséquilibrer l'enseignement dans notre pays. Quant à la zakat, elle a toujours fait l'objet d'une pratique privée et facultative, l'impôt, lui, étant général et obligatoire comme dans tous les pays du monde, pour assurer une gestion rationnelle et moderne des finances publiques. Pour ce qui est des finances islamiques, ce système, qui émane d'une confusion populaire ancienne entre usure et intérêt, devrait rester dans l'ordre des libertés de chacun d'opter pour la voie qui conviendrait à ses opinions et convictions. En fait, les intérêts sur prêt sont une rémunération normale et légale du capital, qui est réglementée par les autorités financières souveraines et qui est soumise à la loi du marché, de l'offre et de la demande. Les intérêts sont actuellement dans le monde, très modérés, de l'ordre de zéro à 10%, moyennant et majoritairement inférieurs à 5% du capital. Ils constituent maintenant et depuis la nuit des temps l'outil universel de l'investissement et le moteur de l'économie dans le monde. Par contre, l'usure, qui est une rémunération exagérée et excessive de l'ordre de 30% et plus, est une pratique frauduleuse, ancienne condamnée par la morale et les religions. C'est donc l'usure qui est coupable de tragédies sociales historiques et actuelles et, donc, condamnable et illégale. A ce titre, je suis surpris par l'attitude de la gouvernance de la Banque centrale de notre pays, qui semble permissive à l'introduction de la finance islamique dans le système bancaire tunisien, avec tous les risques de confusions entre les rémunérations bancaires classiques et les combinaisons de «mourabahat» et autres artifices destinés à éviter l'usage des rémunérations usuelles des banques, qui sont les intérêts. Alors, où sont les principes et les règles d'orthodoxie bancaire dont la charge incombe au gouverneur? En conclusion, c'est triste d'assister à l'effilochement et à la dégradation de nos principes et valeurs, courageusement défendus par notre heureuse révolution du 14 janvier 2011, qui a débuté, intelligente, culturelle, civile, progressiste universaliste et qui a été, malheureusement, détournée par des courants théocratiques qui veulent la faire retourner à des pratiques moyenâgeuses. C'est dommage de voir nos partis progressistes et civils sombrer dans les querelles et les mésententes, qui les fragilisent et les marginalisent par incapacité de s'unir pour défendre les principes républicains contre l'obscurantisme. C'est malheureux d'assister à notre ultime salut de sauvetage de notre démocratie et de notre pays, que nous voyons s'effondrer sous les coups du népotisme et de la mauvaise gestion. Je souhaiterais tellement une ultime prise de conscience de nos partis, pour inverser cette tendance pessimiste et nous donner un espoir de sauver notre pays de l'intégrisme religieux.