Journée mondiale de la presse : l'ARP adresse ses vœux !    Trafic de drogue à Gammarth : un suspect arrêté avec cocaïne et marijuana    À partir du 6 mai : coupure d'eau potable dans ces zones de la capitale    Le ministre du Transport appelle à l'achèvement des travaux de climatisation à l'aéroport de Tunis-Carthage    Tunisie – Les jeunes médecins décident une série de mesures d'escalade dont une grève de 5 jours    Trump se montre en pape sur son compte numérique    Tunisie – METEO : Passages nuageux et températures nocturnes grimpant à 27°    Les imams appellent à la censure du film « Dabouss El Ghoul » !    Des changements à la direction générale de BH Assurance    L'Espérance de Tunis s'impose 1-0 face au CS Sfaxien    À l'occasion de sa journée nationale, retour sur les racines de la diplomatie tunisienne [Vidéo]    Confusion de noms : un prisonnier dangereux relâché par erreur    France : un Prince qatari se baladait à Cannes avec une montre à 600 000 €, ça a failli mal tourner    Le chanteur libanais Rayan annonce sa guérison et rend hommage à la Tunisie    Algérie : Les autorités ne badinent pas avec les dérapages racistes sur les Subsahariens, une chaîne TV lourdement sanctionnée    La composition officielle de l'Espérance Sportive de Tunis    Le lundi 5 mai, 144 mille élèves passent le bac blanc    Moins de plis, moins de fers : pourquoi les Français délaissent le repassage ?    ST : Inverser la tendance    Guerre en Ukraine : Trump voit les choses "un peu différemment", selon Zelensky    Projets ferroviaires : Sarra Zaafrani ordonne le lancement immédiat, les saboteurs risquent gros    Des investisseurs qataris intéressés par Tabarka : la Tunisie séduit à nouveau...    Tunisie : La BNA distribue un dividende de 1 dinar par action au titre de l'exercice 2024    Décès du producteur Walid Mostafa, époux de la chanteuse Carole Samaha    Affaire du gouverneur de Tunis : Enquête sur un cadre sécuritaire de haut niveau    La Télévision algérienne s'en prend aux Emirats Arabes Unis suite à un passage télévisé !    Alerte scientifique : le "monstre sous-marin" du Pacifique prêt à entrer en éruption à tout moment    Des plages sales, des routes dégradées : l'état alarmant des villes de Tabarka et Ain Drahem avant l'été    Sihem Ben Sedrine en aurait trop fait, Fatma Mseddi saisit Leila Jaffel    Tunisie : coupure d'électricité et perturbation de l'eau ce week-end à Sidi Bouzid    Guerre Commerciale : La Chine réduit massivement ses avoirs en bons du Trésor américain et mise sur l'or    Le Canal de Panama: Champ de bataille de la rivalité sino-américaine    USA – La CIA annonce la suppression de 1.200 postes, la NSA le prochain ?    Le ministère de l'Agriculture recommande une série de mesures sanitaires aux éleveurs à l'approche de l'Aïd al-Adha    Tunisie : Découverte archéologique majeure à Sbiba (Photos)    Entreprises délaissées – Saïed : « Fini les comités, place à l'action »    La STB Bank plombée par son lourd historique, les petits porteurs à bout !    Gymnastique rythmique : la Tunisie en lice au Championnat d'Afrique au Caire    Drame en Inde : une influenceuse de 24 ans se suicide après une perte de followers    BCT - Le TMM recule à 7,50% en avril 2025    La Liga: Le Rwanda désormais un sponsor de l'Atlético de Madrid    Nouveau communiqué du comité de l'ESS    Foire internationale du livre de Tunis 2025 : hommages, oeuvres et auteurs primés au Kram    L'Open de Monastir disparait du calendrier WTA 2025 : fin de l'aventure tunisienne ?    Psychanalyse de la Tunisie : quatre visages pour une même âme    Ce 1er mai, accès gratuit aux monuments historiques    Par Jawhar Chatty : Salon du livre, le livre à l'honneur    Décès de la doyenne de l'humanité, la Brésilienne Inah Canabarro Lucas à 116 ans    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



«Libellule», recueil de poèmes de Moëz Majed: Ecrire la beauté de l'éphémère
Publié dans La Presse de Tunisie le 17 - 12 - 2022

Dans ce nouveau recueil de Moëz Majed, il y a d'abord le titre «Libellule» qui produit tout de suite un magique effet d'accroche sur le lecteur, l'interpellant et l'intriguant, et qui mérite d'être interrogé.
Substantif sans déterminant (ni «la», ni «une», ni «cette», ni «ma», ni «ta», ni «notre», etc.), renvoyant à un référent non-identifié, sans actualisation et sans ancrage énonciatif, il voltige, avec sa fine blancheur, sur le violet de la couverture où ses quatre «L» s'allongent, liquides, continus et glissants par-delà les voyelles aiguës, le «i» et le «u», pointue et sombre, attachées aux cris, et par delà la voyelle claire «e» favorisant la légèreté et la rapidité, et la consonne occlusive et sonore «b» suggérant le bruit ainsi que le mouvement — jusqu'à la limite supérieure de la page comme pour signifier les quatre ailes longues et étroites de la libellule et inviter au vol au-dessus de la mélancolie, de la solitude et des sombres souvenirs que pourrait signifier, selon notre approche se voulant délibérément fantaisiste ou même quelque peu «farfelue», ce violet de la couverture. Un violet sur lequel apparaît, très fragile et éphémère comme «le ruissellement des jours» (p.54), comme le temps dont le poète tente ici de suspendre le vol, comme la mystérieuse beauté cultivée magiquement par le poème, cette «créature du vent» qu'est la libellule qui se métamorphose, se renouvelle, tend à la lumière, porte les couleurs de la vie, s'agite dans tous les sens, plane et vole à grande vitesse, avant de se cogner contre le plafond, puis tomber du haut de ses rêves d'affranchissement et mourir. Ainsi serait peut-être le destin du poète !
«Prince des signifiants» tel l'a baptisé Barthes, le titre, ou plutôt ce titre précisément, nous ouvre, dans un flou savamment entretenu et puissamment expressif, la porte de l'univers poétique de Moëz Majed où ce sont des villes chères, une «meute chasseresse» (p.8) de «désirs immobiles» (Ibid.) «pendus aux fenêtres» (p.10), des amours, des émotions, des songes déchus (P. 27) des mélancolies et des douleurs, des attentes, des nuits et des jours, «des moments de quiétude» bercés par des corps ivres (p. 48) qui, comme la libellule égarée (p. 55), se laissent se transformer en une flopée de souvenirs enchevêtrés, épars, qu'emportent «les vents des steppes sourdes» (p. 52) enfonçant le poète dans son insurmontable nostalgie qui devient ce «poème inachevé» (p.28) de «toute une vie» (Ibid.), à la fois léger et grave, aux vers libres à volumétrie variable, qui s'étendent un peu ou se ramassent au gré de la fantaisie du poète ou selon le mouvement de son âme, de sa rêverie. Mais des vers souvent courts, et même très courts, se réduisant quelquefois à un seul vocable, sans nul souci de symétrie métrique et formelle, usant d'un petit espace de la page, nageant dans beaucoup de blanc typographique qui serait silence contemplatif des interprètes du mystère et de l'indicible, recueillement, prière muette pour «celui-là qu'on enterre/ sous une pluie d'automne» (p. 38), chuchotement intérieur sans bruit, une autre voix qui dit au lecteur ce que le poète ne dit pas par pudeur ou par peur de l'exubérance indécente, par retenue poétique et dont il relègue le sens à l'imagination du lecteur charmé au suprême et devenant complice.
Il y a en effet dans cette poésie tout aussi raffinée qu'élégante de Moëz Majed une exquise sobriété des vers et des strophes qui profite à une écriture lapidaire, elliptique, allusive et évasive, aérienne, procédant d'une «poétique du rare», sensiblement marquée par l'anaphore insistante, «musicalisante», la savoureuse inversion, l'atemporelle phrase infinitive, l'interrogation rhétorique et les ruptures de syntaxe, produisant tous ensemble une poéticité à régime optimal, tendre comme la soie du songe :
«Changent les temps/ changent les jours/ Changent les visages et/ changent les cœurs./ Mais qui sait donc ce qui transforme les orages en pleurs» (p. 29).
«Pleurer ce qui fut haine tenace/ toucher de sa lèvre humide l'éclair/ enterrer son orgueil un soir de grande douleur/ passer sans livrer bataille» (p. 43).
«Je suis venu aux portes de ta peau/ écouter le timbre de ton corps/ derrière tes lèvres/ closes» (p. 30).
«Est-il vraiment mort,/ celui-là qu'en enterre/ sous une pluie d'automne ? Avoir encore l'audace de pleurer» (p. 38).
Dans ce saisissant recueil de Moëz Majed, la grammaire ne risque pas du tout de passer inaperçue. Volontairement décousue par endroits, brisée quelquefois, elle s'impose aux yeux du lecteur qui y apercevrait la perturbatrice fonction de l'émotion, la volonté manifeste du poète de casser de temps à autre l'habituel ordre syntaxique plat et uniforme et de lui substituer un ordre nouveau qui s'émancipe un peu de la ligne sémantico-syntaxique logique et que commande non pas vraiment le sens, demeurant flottant ou incomplet, mais l'effet, c'est-à-dire cette émotion qui circule entre les mots et les syntagmes et qui trouble leur ordonnance ; ordonnance dans laquelle on souligne des «sauts» et des «trous», des ellipses, des anacoluthes, qui perturbent un peu la lisibilité sémantique, mais qui augmentent le coefficient de la poéticité et de l'enchantement :
« Ici, au pied du puissant ficus,/ respire une ombre éternelle/ et le vent.../ De ses amants, le plus farouche/ (p.7)
«Au ciel d'été,/ silencieuse et rosée/ la lune est ronde/ cœur abîmé» (p. 13)
Intéressant de noter aussi, qu'au niveau de l'énonciation poétique, le «Je» du poète se raréfie, se démantèle et se cache souvent en traversant les 4 sections qui se succèdent dans ce recueil («Là», «s'établir», «partir» et «se souvenir»). Dans plusieurs poèmes, s'il se dissimule, s'il n'a plus de présence scripturaire, c'est pour transparaître au travers d'un autre élément verbal lui servant de substitut et donnant une dimension universelle à l'idée, au souvenir, aux sentiments éprouvés par le poète lui-même. Ainsi, sans se dire explicitement, l'ombre du «Je» énonciatif se profile-t-elle, par exemple à la page 14, autour de la troisième personne du pluriel correspondant au sujet des trois vers de cette strophe interrogative : «Comment peuvent-ils mourir/ ceux qui s'endorment chaque soir/ sous un jasmin à Sidi Bou ?» (Vers qui, soit dit en passant, interfèrent à distance avec ce merveilleux distique de Georges Shéhadé figurant dans «Les Poésies» : «-Comment mourir/ Quand on peut encore rêver» (Gallimard, Nrf, 2001, p. 125).
Pour finir, remarquons que le surprenant texte en prose poétique dédié à la poète tunisienne Emna Louzyr ou, peut-être, composé par elle-même «Je pose ma main sur la poignée de la porte» et que Moëz Majed a jugé poétiquement productif de mettre à l'annexe de sa «Libellule» (pp. 59-61), loin de rompre l'enchantement que ce recueil produit sur nous, l'augmente et le prolonge. Ecoutons : «J'aurais tant voulu garder mes mains sur tes hanches et danser encore et encore avec toi sur cette rengaine amoureuse. J'avais tant voulu plonger mes doigts dans ta longue chevelure noire et dense et y retenir le soir avant que l'obscurité ne s'en prenne à moi, à nous ...» (p. 60).
Entre tous remarquable, ce recueil de Moëz Majed est à goûter avec plaisir au lever du jour, à l'accueil de la vie. Bravo, poète !
Moez Majed, «Libellule», poèmes en français, Dijon, éditions «Les presses du réel», collection «Al Dante», 2022, format de poche 12,0 cm × 17,0 cm × , 56 pages et annexe. ISBN 978-2-37896-330-9, EAN 9782378963309.
Notice — Né à Tunis en 1973 et diplômé de «L'Ecole Centrale» de Lille, Moëz Majed, qui est le fils du l'éminent poète tunisien feu Jaâffar Majed, est poète francophone et auteur de divers recueils de poèmes dont «L'Ombre...la lumière», «Les rêveries d'un cerisier en fleurs», «Chants de l'autre rive». Il est également éditeur, traducteur et essayiste. Il a publié avec Emna Louzyr, en 2021, «Tout un poème». Il est aussi le fondateur et le directeur du Festival International de la Poésie de Sidi Bou Saîd qui a atteint cette année sa huitième édition.


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.