Lancement d'une plateforme numérique dédiée au suivi de l'avancement de la réalisation des projets publics    Boycott maintenu : les jeunes médecins s'étonnent du communiqué du ministère    Sonia Dahmani, sa codétenue harceleuse transférée… mais pas avant le vol de ses affaires    Le chef de la diplomatie turque accuse l'entité sioniste d'entraîner la région vers un « désastre total »    Foot – Coupe du monde des clubs (3e J-Gr:D)- ES Tunis : Belaïli absent contre Chelsea    Les Houthis menacent d'attaquer les navires américains en mer Rouge si les Etats-Unis frappent l'Iran    L'homme de culture Mohamed Hichem Bougamra s'est éteint à l'âge de 84 ans    Ce qu'on écrase, ce qui tient debout    Baccalauréat 2025 : Répartition complète des résultats de la session principale par section    Beach hand – Championnat du monde U17 : la Tunisie éliminée en quarts de finale par la Hongrie    Promouvoir l'emploi des jeunes en Tunisie: lancement du projet « Tunisie professionnelle »    19.95: la meilleure moyenne nationale obtenue au baccalauréat par le matheux Mohamed Nasraoui    Alerte rouge sur les côtes de Monastir : des poissons morts détectés !    Baccalauréat 2025 : un taux de réussite global de 37,08%    Appel à retirer la confiance à Fatma Mseddi : Wael Naouar annonce l'initiative    La poétesse tunisienne Hanen Marouani au Marché de la Poésie 2025    « J'aimerais voir l'obscurité » : la nuit confisquée de Khayam Turki    Le ministre du Tourisme : La formation dans les métiers du tourisme attire de plus en plus de jeunes    Hôpitaux : plus de 900 opérations de la cataracte réalisées aujourd'hui au profit des démunis    L'huile d'olive bio de Zarzis conquiert les marchés américain et français    Ispahan sous les bombes : Israël frappe encore le site nucléaire iranien    Classement QS mondial des universités 2026 : l'Université de Tunis El Manar progresse de 40 places    Accès gratuit aux musées militaires ce dimanche    La Ministre des Finances : « Nous veillons à ce que le projet de loi de finances 2026 soit en harmonie avec le plan de développement 2026-2030 »    69e anniversaire de la création de l'armée nationale : Une occasion pour rapprocher l'institution militaire du citoyen    Le ministère des Affaires étrangères confirme le décès du jeune Tunisien Abdelmajid Hajri en Suède    L'églantine: Une petite rose, beaucoup de bienfaits et une véritable richesse pour la région de Zaghouan    Nafti, à Istanbul, pour participer à une réunion extraordinaire des ministres arabes des Affaires étrangères    Un séisme de magnitude 5,1 secoue le nord de l'Iran    Face au chaos du monde : quel rôle pour les intellectuels ?    Festival arabe de la radio et de la télévision 2025 du 23 au 25 juin, entre Tunis et Hammamet    Ons Jabeur battue au tournoi de Berlin en single, demeure l'espoir d'une finale en double    Carrefour Tunisie lance le paiement mobile dans l'ensemble de ses magasins    Caravane Soumoud de retour à Tunis : accueil triomphal et appels à soutenir la résistance palestinienne    WTA Berlin Quart de finale : Ons Jabeur s'incline face à Markéta Vondroušová    CUPRA célèbre le lancement du Terramar en Tunisie : un SUV au caractère bien trempé, désormais disponible en deux versions    AMEN BANK, solidité et performance financières, réussit la certification MSI 20000    Grève des jeunes médecins : large mobilisation et risque d'escalade    Grève générale dans le secteur agricole tunisien prévue le 25 juin : la fédération lance un avertissement    Joséphine Frantzen : rapprocher la Tunisie et les Pays-Bas, un engagement de chaque instant    Kaïs Saïed, Ons Jabeur, Ennahdha et Hizb Ettahrir…Les 5 infos de la journée    Berlin Ons Jabeur en quarts de finale face à Markéta Vondroušová    Skylight Garage Studio : le concours qui met en valeur les talents émergents de l'industrie audiovisuelle    Festival Au Pays des Enfants à Tunis : une 2e édition exceptionnelle du 26 au 29 juin 2025 (programme)    Découvrez l'heure et les chaînes de diffusion du quart de finale en double d'Ons Jabeur    Le Palais de Justice de Tunis: Aux origines d'un monument et d'une institution    Tunisie : Fin officielle de la sous-traitance dans le secteur public et dissolution d'Itissalia Services    La Tunisie mobilise les soutiens en faveur de son candidat l'ambassadeur Sabri Bachtobji, à la tête de l'Organisation Internationale pour l'Interdiction des Armes Chimiques (OIAC)    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



«Banlieue Ville», poèmes de Aline Recoura et peintures de Marjan : Elle chante, elle chante la banlieue*!
Publié dans La Presse de Tunisie le 19 - 02 - 2022

Aller du côté de la «Banlieue Ville» faite d'encre et de papiers, de couleurs chaudes et vives, et que nous ouvre avec délicatesse la poètesse française Aline Recoura, c'est traverser avec bonheur un bel univers scripto-poétique, fait d'un tissu fin et soyeux de sensations, d'impressions, de bruits lointains ou en sourdine, de souvenirs épars, de rêves vagues qui flottent par-dessus les inquiétudes et grisailles du quotidien de la banlieue et de ces villes «de grandes solitudes» (Sardou).
Aller du côté de la «Banlieue Ville», c'est se laisser emporter par cette savoureuse émotion qui, continûment, jaillit de cet accord délicieux des sonorités et des mots ; des mots de tous les jours, jamais recherchés, qui nous rappellent quelque peu le vocabulaire simple, mais ordonné avec magie, qui a fait toute l'originalité et la beauté de la poésie de Jacques Prévert. Grand poète du «réalisme poétique» (Paroles) à qui nous ne pouvons, en effet, que penser en lisant, non sans beaucoup de plaisir, cette longue enfilade de 141 poèmes dont se compose ce beau recueil de Aline Recoura, merveilleusement illustré par le peintre de grand talent, Marjan : plus de 20 pages d'illustrations «mélancoliques et humanistes», selon la juste expression de Armel Louis ayant signé la quatrième de couverture, et qui, grâce à leur grande facture technique et artistique, se présentent comme des toiles à part entière, superbes et saisissantes au suprême, qui entrent aisément en interaction avec ces poèmes et qui, comme ces derniers, sont mues par le désir de faire découvrir la banlieue de l'intérieur, par-delà les préjugés et les fantasmes, et en transcendant un quotidien aux teintes souvent noires et grises ou fauves :
«Banlieue de Nice/ banlieue de Lyon/ banlieue de Paris/ banlieue de Marseille/ j'y habite/ j'y exprime/j'y grandis/ je m'y émancipe/ j'y voyage/ je prends le bus, le train pour/ Paris/ Bordeaux/ Toulouse/ Lille/ je prends des tramways des métros/ je rentre en gare/ je circule/ je sors de gare/ je roule/ je traverse/ je m'envole/ j'aime/ je déambule» (p. 5).
Outre ce poème inaugural, un autre poème éponyme, c'est-à-dire donnant son titre à tout le recueil «Banlieue Ville» (p. 7), assure l'ouverture de ce volume qui se répartit en deux grands volets réunissant, le premier ; les morceaux réservés à la «Banlieue», et le second, ceux évoquant la «Ville». Les infinitifs «Habiter», «S'exprimer», «Grandir», «S'émanciper» et «Voyager» traduisant, tel le mode verbal dont ils procèdent, l'atemporel ou l'omni-temporel, correspondent aux intitulés des différentes sections du premier volet et inscrivent la banlieue et les êtres qui la peuplent et y vaquent à leurs affaires journalières, dans la durée et la continuité que la totale absence des signes de ponctuation et l'effacement délibéré des conjonctions signifient aussi. Il en va de même pour les autres infinitifs qui nomment les sections relatives au deuxième volet : «Entrer en gare», «Circuler», «Sortir de gare», «Rouler», «Traverser», «S'envoler», «Aimer» et «Déambuler». Quelque chose de cyclique, de répétitif et de monocorde est discrètement connotée par ces titres à l'infinitif. Le retour insistant, partout dans ce recueil, des mêmes sonorités vocaliques et consonantiques (allitérations, assonances, paronomase et autres figures musicales) et des mêmes expressions et qui fonctionne comme un système de production des vers et des rythmes, comme une «poiêsis» (Grec : manipulation créatrice, fabrication), favorise l'impression de cet éternel retour du même, de cet incessant ordre cyclique et de cette monotonie qui seraient le propre de la vie quotidienne dans la banlieue qu'évoquent, racontent ou chantent ces poèmes fonctionnant, en effet, sur des procédés récurrents de va-et-vient, d'itérations et de variations.
En effet, on a dans ce recueil une organisation poétique qui privilégie sensiblement la répétition. Laquelle est le principe général qui gouverne le rythme, l'écoulement des vers, mais aussi la rhétorique d'insistance et du soulignement oratoire des mots. Tous les poèmes se développent à travers de multiples sonorités itératives marquantes et des vocables et syntagmes répétés ou repris sous formes d'anaphores, d'épiphores, d'anadiploses d'hypozeuxes (parallélismes) ou de refrains :
«Rester ici où les enfants/ ouvrent les yeux sur la lune/ Rester ici où les enfants/ mangent des cornflakes au déjeuner/ Rester ici où les enfants/ disent couleur pour toutes les couleurs/ Rester ici où les enfants/ mangent beignets frites coca à de nombreux repas/ Rester ici (...) Restez ici (...) Restez ici où les enfants/ sont grands avant d'être petits...» (p. 53). «Jardin du Luxembourg (...) j'y suis allée avec tous mes amoureux/ j'y suis allée avec mon fils/ j'y suis allée tous les dimanches matin...» (p. 265).
La répétition animant de manière constante cette poésie de Aline Recoura devient quelquefois lancinante, hypnotique comme une incantation. Ainsi donc se développe, par exemple, dans le texte intitulé «Femme La ville», l'anaphore rhétorique ou plutôt l'épanaphore (répétition initiale) reprise systématiquement en tête de 40 vers consécutifs et qui, en imprimant à ce morceau une cadence fortement itérative et cyclique, suggère le caractère machinal et abrutissant du rythme de la vie des femmes citadines :
«Femme La Ville dans le dos/ Femme La Ville dans le métro/ Femme La Ville sous les pieds/ Femme La Ville trop de loyers/ Femme La Ville maternité/ Femme La ville esseulée (...) Femme La Ville rêves déchus/(...) Femme La Ville des mirages...» (pp. 277-278).
La répétition insistante et structurante à la fois de plusieurs de ces poèmes est quelquefois finale qui marque la fin des vers tout au long, par exemple, de cette pièce de 45 vers placée sous le titre «Père» dans la section «Grandir» :
«Il cuisine du poulet au curry/ pour ces garçons de 17 ans/ Il étend les lessives/ pour ses garçons de 17 ans/ Il va chez l'avocat/ pour son garçon de 17 ans/ Il prépare cookies gâteaux au chocolat/ pour ses garçons de 17 ans...» (pp. 77-78).
Puissamment marqués par cette répétition qui, sans cesse, agit sur l'affect du lecteur, les poèmes de «Banlieue Ville» à la longueur inégale et aux vers à la volumétrie variable, mais souvent plutôt courts et légers, produisent continuellement des effets de brièveté, de célérité et d'incision qui viennent soutenir les brèves pensées éphémères, douloureuses ou jouissives, et les émotions diverses qu'éveille le spectacle de la banlieue des villes françaises avec l'humanité «pauvre ou riche» qui la peuple, avec «ses histoires, ses bagarres, ses misères, ses imprévus, ses rêves « (Armel Louis), avec aussi ses «enfants, femmes ou familles (qui) vivent au quotidien leur émerveillement ou leur détresse (...) leur solidarité, leur partage, leur élan loin des égoïsmes de la ville» (Ibid.).
D'une grâce aérienne, cette poésie d'Aline Recoura qui paraît toute simple, toute spontanée et coulant de source, telle la langue courante, s'avère, quand on la lit avec attention, être le fruit d'une laborieuse entreprise scripturaire en vertu de laquelle la poète a su peser chaque vers et donner à chaque poème une expressivité maximale. Les heureuses trouvailles syntaxiques (inversions, parallélismes, effacement des conjonctions de coordination, assouplissement des structures morphosyntaxiques, emphases, etc.) qu'elle a mises à contribution et les images métaphoriques ayant émaillé sa poésie et augmenté son coefficient de poéticité -(«J'entends courir les mots dans ma tête» (p. 110) ; «J'ai gardé pour moi/ les arbres secoués par ton souffle» (p. 112) ; «en périphérie on ne manque pas d'imagination/ pour tricoter un peu d'humanité malgré la promiscuité» (p. 275)), témoignent d'un talent poétique à la fécondité novatrice qui élève cette belle prose, savamment versifiée, à la dignité de la poésie.

*Pastiche du titre du film de Gérard Pirès «Elle court, elle court la banlieue» (1973), avec Jacques Higelin, Marthe Keller et Robert Castel.
Aline Recoura, «Banlieue Ville», Paris, éditions «La Lucarne des écrivains», Paris, 289 pages, grand format, 2020. Illustration de Marjan. Isbn : 978-2-37673-038-5.
-Aline Recoura a fait des études de Lettres modernes. Elle est professeure des écoles en France, poète et comédienne. Ses textes sont parus d'abord dans de nombreuses revues et anthologies. «Scènes d'école» est le titre de son recueil de nouvelles publié aux éditions «Le Lys bleu», en 2021. Elle a publié aussi aux éditions du «Petit Rameur» un autre livre de poésie intitulé «Cardio Poème». Elle a contribué à la création de deux spectacles pour le festival d'Avignon avec le collectif «Slam Ô féminin», dont elle était membre pendant dix ans. Actuellement, elle fait partie du collectif «Les déméninges».


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.