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Un puissant levier pour le potentiel scientifique humain du pays La Presse Femme : Participation de la femme dans le domaine scientifique et technologique
• Un entretien avec le Pr Oum Kalthoum Ben Hassine, universitaire de renom et présidente de l'association «Femme et sciences» Femme et science, deux entités fécondes, longtemps distantes l'une de l'autre. Afin de mieux cerner leur rapprochement qui, rappelons-le, ne date pas d'aujourd'hui, nous avons interviewé Mme Oum Kalthoum Ben Hassine, professeur de biologie à la faculté des Sciences de Tunis, directrice de l'Unité de recherche «Biologie, écologie et parasitologie des organismes aquatiques» (docteur d'Etat ès sciences en 1983 à l'Université de Montpellier). Cofondatrice et présidente de l'association «Femme et sciences», Mme Ben Hassine est aussi membre du comité directeur de l'Ecole doctorale «biologie-géologie» de la faculté des Sciences de Tunis. Membre de plusieurs sociétés savantes internationales, elle a assuré l'encadrement de 32 thèses de doctorat et de dizaines de DEA et de mastères. Elle est par ailleurs membre du Haut comité des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Interview. En quoi l'accès des femmes aux sciences peut-il participer, d'après vous, à l'essor de la recherche scientifique? La science et la technologie sont devenues des dimensions majeures de notre époque où la production de richesses, indispensable au développement, est liée à la production scientifique et aux applications de la science, ce qui nécessite la parité, entre les hommes et les femmes, dans l'accès à l'éducation scientifique, à la recherche scientifique et aux plus hauts niveaux universitaires dans les domaines scientifiques afin d'utiliser toutes les créativités. En effet, de par leur rôle dans la société (éducation, soins des autres, transmission de la culture, maintien d'un milieu sain), les femmes sont souvent des porteuses de paix et de préservation de l'environnement. Dans ce cas, leur pleine participation dans le domaine scientifique et technologique permet non seulement l'augmentation du potentiel scientifique humain des pays, ce qui n'est pas sans avoir d'importantes répercussions sur le développement économique, mais aussi une plus grande diversité dans l'élaboration du savoir scientifique et la formulation de nouvelles normes éthiques sur la science et les technologies. L'intégration des femmes dans les sciences et leur contribution à l'élaboration du savoir scientifique sont donc essentielles pour parvenir à un développement humain durable et égalitaire. Aujourd'hui, ce développement durable, c'est-à-dire un développement qui assure un bien- être à l'ensemble de la population, qui tient compte de l'équilibre fragile de l'environnement et qui conduit à une vision plus créatrice de la vie, est, plus que jamais, conditionné par l'équité dans les sciences. En effet, à l'ère où l'or gris a remplacé l'or noir, les pays ont besoin de la contribution et de la pleine participation des hommes et des femmes pour assurer leur avenir. Quelles sont, d'après vous, les mesures à prendre pour une meilleure présence de la femme dans la recherche scientifique en Tunisie? D'abord, assurer l'intégration au monde du travail des charges familiales de la femme chercheur par la création de garderies et de cantines sur les lieux de travail. Ensuite œuvrer pour l'amélioration de la représentation des femmes dans les postes de décision. L'équilibre des sexes dans les jurys de recrutement et les commissions et conseils scientifiques est un autre côté vivement recommandé. Il faut aussi veiller au développement de recherches dans le but d'approfondir la connaissance des enjeux «femmes et sciences», afin de continuer à progresser vers la production de l'égalité selon le genre dans le monde de la recherche scientifique. Enfin, il faut penser à récompenser les efforts des femmes chercheurs qui ont véritablement contribué au développement d'une recherche scientifique nationale de haut niveau. Pourquoi enregistre-t-on une présence féminine timide dans les carrières techniques et d'ingénieur? C'est vrai, les orientations des filles, qui sont en plus grande proportion dans les différents cycles de l'enseignement et qui, de plus, obtiennent de meilleurs résultats que les garçons, ne traduisent pas leurs capacités car la majorité des filles s'orientent vers les lettres et les sciences humaines et celles qui s'engagent en sciences se retrouvent dans les filières des sciences de la vie et de la santé, jugées très convenables pour elles, et délaissent des formations qui donnent un meilleur accès au marché du travail comme les formations techniques, l'informatique ou l'ingénierie. Ainsi, les femmes semblent aspirer à aider, soigner, s'occuper des autres ou encore enseigner, informer et communiquer. Bref, des considérations qui se déclinent au féminin. On voit ici clairement le rôle des stéréotypes sociaux qui déterminent les carrières féminines et masculines en structurant les perceptions vis-à-vis des habilités des filles et des garçons, découragent les filles à considérer une carrière dans les disciplines scientifiques et techniques. A l'école, ces préjugés et stéréotypes empêchent le fait de percevoir les filles comme des scientifiques potentielles et marquent ainsi très tôt l'itinéraire des femmes, à un moment où l'estime de soi est fragile. Ils les découragent à suivre certaines filières scientifiques qu'elles jugent «pas faites pour elles», ce qui, nous amène d'ailleurs à nous interroger sur les résultats du système éducatif en matière de formation des femmes qui, normalement, doit développer les capacités et le talent de chacun au plus haut degré et dans tous les domaines indépendamment de son sexe. Comment alors y remédier? Par une sensibilisation de tous les acteurs qui se trouvent très influencés par le poids des préjugés (les parents, les éducateurs, les orienteurs, les jeunes filles elles-mêmes), ceci étant entre autres le rôle des ONG; Par une transmission par l'enseignement d'un héritage de valeurs culturelles incluant des modèles féminins d'identification pour les filles ; Grâce à une stratégie de lutte contre les fausses représentations des rôles sociaux qui aboutissent à des partages devenus traditionnels et à une division sexuée des savoirs, prélude à celle des métiers; Par le changement d'une certaine image du masculin et du féminin qui continue à être véhiculée dans et par l'école ; Par l'amélioration de l'information des filles dans le but de leur orientation vers les études supérieures scientifiques ; Et par l'incitation des chercheurs à se rendre dans les classes d'enseignement secondaire pour y informer les élèves sur la recherche et les carrières scientifiques. En quoi la recherche scientifique peut-elle aider à améliorer la situation de la femme arabe en général et de la femme tunisienne en particulier? La production de richesses, indispensable au développement socioéconomique, est liée à la production scientifique, elle-même en étroite relation avec le développement de la recherche scientifique dont les découvertes visent à préserver la santé humaine, la santé animale, l'environnement et les ressources naturelles, mais aussi à améliorer les productions agricole et industrielles. La recherche scientifique est donc génératrice de prospérité et de bien-être pour toutes les composantes des sociétés humaines y compris les femmes. Ceci est de la plus haute importance pour beaucoup de femmes qui continuent, dans certains pays arabes, à souffrir, en étant les plus pauvres des pauvres, des maladies, de la sous-alimentation, etc. Pour les femmes tunisiennes, les découvertes de la recherche scientifique contribueront à améliorer leur qualité de vie. Cependant, dans tous les cas, cette recherche doit être réalisée de manière équitable par les hommes et les femmes car, en recherche scientifique, l'apport, par les femmes, de nouvelles idées et de façons différentes, complémentaires de celles de l'homme, de solutionner les problèmes représente un atout majeur pour l'avenir de l'humanité. Un dernier mot ? L'équité dans les sciences ne sera instaurée que dans le cadre d'un quotidien de recherche scientifique qui met à profit les talents conjugués des hommes et des femmes. Association “Femme & Sciences” L'Association “Femme & Sciences” est née à l'initiative de femmes scientifiques conscientes de la nécessité de renforcer la position des femmes dans leurs secteurs et de familiariser les jeunes filles avec les sciences et les technologies. Elle a pour principaux objectifs : - Rendre visible la participation de la femme à l'édification du savoir scientifique et technologique. - Encourager les compétences féminines de participer au progrès scientifique et technologique et au développement de la recherche scientifique. - Contribuer à l'amélioration de l'intégration des filles dans les filières scientifiques et techniques où elles sont sous-représentées et dans tous les domaines de la recherche scientifique. - Contribuer à la diffusion scientifique et technologique et à la vulgarisation des sciences. Pour répondre à ses objectifs de nombreuses activités ont été réalisées dont il convient de citer: «les assises scientifiques de Femme et Sciences» qui sont des rencontres périodiques sur des thèmes d'actualité qui rassemblent diverses générations de scientifiques et de chercheurs et au cours desquelles les meilleures contributions des jeunes doctorantes sont récompensées par des prix, L'attribution de prix aux meilleures étudiantes, notamment dans les filières où elles sont sous-représentées, La participation à des réseaux de recherche régionaux et internationaux, L'organisation de rencontres internationales, le dernier en date étant «International Grace Workshop on ICT for women empowerment». Ainsi, en un laps de temps relativement court (une dizaine d'années), l'Association Femme et Sciences a réussi à dépasser le cadre local pour s'imposer sur la scène internationale.