La faiblesse de l'autorité de l'Etat figure parmi les causes principales de l'augmentation du volume de l'informel qui est actuellement égal au volume du secteur formel de l'économie tunisienne en termes de revenus et de postes d'emploi... Le commerce illicite des produits pétroliers et du tabac sont à la tête des produits commercialisés dans les circuits informels, avec une valeur de 1 milliard de dinars pour chacun des deux produits et des bénéfices illicites nets de 750 millions de dinars pour les produits pétroliers, et de 300 millions de dinars pour le tabac. Ce sont là des constatations et des chiffres parmi d'autres qui ont été présentés, hier, lors d'une conférence-débat co-organisée par la centrale patronale, l'Utica, et le Centre des jeunes dirigeants d'entreprise (CJD), par le fondateur du think tank Joussour, Khayam Turki. Le rendez-vous, ayant pour thème «L'économie informelle: état des lieux et mesures d'urgence», se veut une énième sonnette d'alarme pour remettre la situation économique et sociale critique au premier plan et engager des réformes urgentes, alors que le secteur informel ne cesse de gagner du terrain sur le formel... Outre les responsables de la centrale patronale et à leur tête la présidente de l'Utica, Wided Bouchamaoui, les chercheurs et experts en économie, finance et autres, le débat a connu la participation du ministre du Commerce, Mohsen Hassan, et le directeur général de la Douane, Adel Ben Hassen, ainsi que la présidente nationale du CJD, Wafa Laâmiri. Bouchamaoui s'est alarmée de la facture très salée que coûte à l'Etat l'économie informelle. «Elle représente plus de 50% de l'économie, a-t-elle précisé, tout en insistant sur l'importance de la lutte contre l'économie informelle et la contrebande, ces fléaux qui rongent le tissu socio-économique du pays, défavorisant l'investissement et handicapant l'action gouvernementale et celle du secteur privé. «C'est une question vitale et on ne fait rien, tout le monde se mettra à l'économie informelle! Il n'y aura plus d'investissement et, par conséquent, plus d'emplois», a lancé Wided Bouchamaou. Mohsen Hassan, le ministre du Commerce, a déclaré qu'au vu de la situation économique actuelle, il n'y aura pas d'augmentation de prix, notamment des produits subventionnés. Il a annoncé que des mesures seront prises pour lutter graduellement contre le trafic de ces produits. Ainsi, on procédera à l'utilisation de bouteilles en plastique pour les huiles végétales subventionnées et au packaging du sucre subventionné au lieu de le vendre en vrac. Hassan a affirmé qu'on va accélérer la mise en œuvre des procédures de réformes fiscales pour réduire le commerce parallèle et simplifier les procédures douanières à même d'attirer le plus de gens vers le circuit fiscal ordinaire au lieu d'opter pour la contrebande... De même, son département compte encadrer et stimuler les circuits de distribution dans les différents marchés en Tunisie, notamment à Sidi Bouzid, qui représente le premier producteur tunisien de produits frais, le marché des dattes à Kébili et Tozeur, le marché des agrumes de Menzel Bouzalfa et celui des pommes à Kasserine. «La réhabilitation de ces marchés joue un rôle primordial dans la lutte contre la contrebande et le commerce anarchique. Aussi, nous allons développer le marché de gros de Bir Al Kassaâ. Cet investissement se chiffre à 40 millions de dinars qui seront financés par le biais de la bourse des valeurs financières. Pour les marchés municipaux, nous allons également les développer. Toutes ces mesures ont un seul objectif : lutter contre le commerce parallèle», a-t-il précisé. Lutte graduelle Le directeur général de la Douane, Adel Ben Hassen, a pour sa part affirmé que l'amélioration du rendement de la douane est corrélée à une amélioration des moyens et des instruments de travail. Dans ce sens, il a déclaré qu'on est en train de mettre en œuvre le plan d'action de 2016 avec la publication des deux tiers des appels d'offres nécessaires pour la modernisation de la douane. Un programme qui comporte aussi des formations, outre l'acquisition des moyens de poursuite des contrebandiers. «D'ici octobre, on aura de bonnes nouvelles et des résultats concrets. Et nous avons l'intention de doter la douane d'une unité aérienne. Le financement de ce plan 2016-2020 se chiffre à quelque 500 millions de dinars. C'est un budget sans précédent et il y aura des résultats qui seront inattendus aussi», a déclaré le directeur général de la Douane. D'après lui, on tend à convertir l'Ecole de la douane en une académie internationale de la douane, ce qui va permettre un sursaut de qualité dans l'action douanière dans la lutte contre entre autres le trafic illicite des marchandises. Il a affirmé, par ailleurs, que les écarts de conduite des agents de la douane sont lourdement réprimés, tout en indiquant que la situation est difficile avec ce qui se passe en Libye en matière de sécurité et entre la Tunisie et l'Algérie en termes de trafic illicite. Selon Béchir Boujday, membre du bureau exécutif de l'Utica, il est impératif d'avoir une meilleure implication des pouvoirs publics avec une déclaration solennelle engageante dénonçant ce fléau à tous les niveaux et lui déclarant la guerre. D'après lui, l'approche de la centrale patronale se veut systémique et participative avec un traitement par filière de produit pour maîtriser la situation graduellement. «Il faut réfléchir globalement mais agir localement pour prendre en considération les spécificités des localités et des gens qui sont impliqués et de leur entourage afin d'atteindre les objectifs en termes d'attraction à l'intégration du circuit fiscal en payant ses impôts mais aussi pour lutter contre les persistants. Et cela passe par un axe gouvernance en restaurant la discipline administrative et en responsabilisant les décideurs par rapport à la délicatesse du travail des agents engagés, de la douane et autres», a-t-il ajouté. Chiffres alarmants «Le secteur informel, employant un million de personnes en Tunisie, est une aubaine pour les pays en voie de développement puisqu'il amorti le choc du chômage, souligne pour sa part Wafa Laâmiri, présidente nationale du CJD. Sauf que c'est une soupape qui peut exploser à n'importe quel moment. Ce sont des gens qui travaillent sans aucune couverture sociale. Et en termes de productivité, comme l'a démontré l'étude de Joussour, en les intégrant dans le secteur formel, ces gens auront une productivité 7 fois plus grande qu'au secteur informel». Le secteur informel représente 35% du PIB alors qu'il contribue à hauteur de 3% seulement de recettes fiscales. Une dualité de 50% entre le formel et l'informel, qui selon elle impacte le cadre réglementaire des secteurs économiques, le climat d'affaires. Plus le poids de l'informel augmente, moins le climat des affaires est attrayant. Une situation qui nécessite la prise de mesures urgentes dont la sensibilisation et l'information en continu et dès maintenant pour attirer plus de gens vers le formel... Dans sa présentation de l'étude de Joussour, Khayam Turki, son fondateur, a précisé que l'informel emploie 50% de la population active avec quelque 1700 mille emplois! La part du secteur informel dans le PIB est de 38%. D'après lui, deux milliards de dinars vont dans les poches des contrebandiers... Et plusieurs causes sont à l'origine de l'augmentation de ce fléau et notamment la concurrence déloyale, les taxes cumulées, la bureaucratie, et bien d'autres. Ces statistiques font l'objet d'objection de certains chercheurs dont Nidhal Ben Cheikh, directeur des études de développement social au Centre de recherches et d'études sociales. En fait, il a relevé les difficultés à étudier et surtout à quantifier les différents volets du secteur informel. Ce qui est sûr, de toutes les façons, le poids du secteur informel est très pesante et il est plus qu'urgent de mettre en application des mesures d'attraction pour adhérer aux efforts nationaux et pour réprimer les fraudeurs, chose qui a été réclamée par tous les participants au débat du CJD...