Un spectacle bouleversant longuement et fortement applaudi par le public du Festival international de Hammamet. «May B» ou le corps-matériau, un corps peignant l'absurde de l'existence humaine, un corps qui, entre violence, tristesse et euphorie, a bouleversé un public venu nombreux assister à la fameuse pièce dansée de la chorégraphe française, Maguy Marin, au théâtre de plein air de Hammamet. Le spectacle, un bout d'humanité créé par la chorégraphe française en 1981, a été joué plus de 600 fois dans le monde entier. Il est aujourd'hui considéré comme une œuvre phare de la danse-théâtre. C'est la lecture des œuvres de Samuel Beckett qui a fait germer l'idée de ce spectacle tragique et burlesque chez la chorégraphe. Une passion de lectrice qui donne naissance à un grand projet de scène. Elle rencontre le dramaturge irlandais (il avait alors 75 ans) qui la soulage de l'obligation d'utiliser des textes et lui conseille de prendre toutes les libertés avec son œuvre «May Be» qu'il avait écrite adolescent et dont le titre est le prénom de sa mère et la première lettre de son nom. Maguy Marin enlève, alors, le e du Be comme pour évoquer la notion de l'inachevé et donne corps sur scène à ces loqueteux sans âges aspirés par la vie, ces spectres à l'allure défaite qui ont pour langue des souffles, des hoquets et autres borborygmes. 10 interprètes sur scène (dont le jeune danseur tunisien Kaïs Chouibi), la mythique réplique becketienne «Fini, c'est fini, ça va finir, ça va peut-être finir» ,lancée déjà dès le début et la musique de Shubert pour annoncer les premiers mouvements de ces pantins immobiles. On commence par la fin (ou est-ce vraiment le début ?) comme pour renvoyer au cercle de la vie, tout est recommencement, rien ne se crée tout se transforme... La lumière éclaire 10 clowns enfarinés aux visages blafards, des simulacres d'êtres essoufflés évoluant, sur scène, comme des automates en traînant des traces blanches sur le sol. Ils sont difformes, ternes, sans couleur (noir et blanc) et errent, chacun de son côté, pendant un bon moment en traînant ces marques blanches qui finissent par couvrir toute la scène. Ils finissent par se mettre en groupe, l'unité est retrouvée (la soumission au groupe...). Les corps peuvent alors se rapprocher formant une masse mouvante qui nous plonge dans l'absurdité de la comédie de la vie. Les corps se heurtent, se cognent, s'agglutinent (oppression du groupe et difficulté d'imposer son individualité...). Les mouvements deviennent de plus en plus saccadés aux rythmes de la musique. Séduction, euphorie et frénésie s'ensuivent, l'homme animal et ses instincts sont suggérés entre autres par des mouvements aux allusions sexuelles. Tout de suite après, l'ambiance devient plus triste (voire tragique), oppression sociale et autres frustrations ne tardent pas à pointer le nez... Les corps se dispersent, se partagent les parts d'un gâteau et rebelote, l'on finit par se rapprocher, s'aimer, se cogner. On tourne en rond ne sachant où la vie va nous mener... On se croise, se rapproche et les mouvements évoluent au gré de la musique de Franz Schubert, Gilles de Binche, Gavin Bryars. Entre euphorie, rires moqueurs, grossières grimaces et autre pleurs, les interprètes dessinent, sur scène, les contours de la condition humaine, nous plaquent un miroir comme pour nous rappeler l'absurdité de l'existence humaine, sa grandeur et sa misère, sa beauté et sa fragilité. Un spectacle bouleversant longuement et fortement applaudi par le public de Hammamet.