Par Abdelhamid Gmati Le gouvernement Essid est donc démissionnaire depuis samedi dernier. Ceux qui ont voulu se débarrasser de Habib Essid ont eu gain de cause. Cela était prévisible depuis quelque temps déjà. Alors, se demande-t-on, pourquoi tout cet « opéra bouffe » que l'on joue depuis des semaines avec, comme apothéose, cette séance marathon à l'Assemblée des représentants du peuple ? L'éviction de Habib Essid de son poste de chef de gouvernement était acquise dès l'annonce de l'initiative présidentielle concernant un gouvernement d'union nationale, car il ne s'agissait pas, en réalité, de l'échec du gouvernement Essid, mais de satisfaire les adversaires du chef du gouvernement, en particulier ceux appartenant à un certain clan de Nida Tounès. Habib Essid, pas dupe, l'a dit lui-même. Il dira d'abord aux députés qu'il n'est pas venu pour solliciter les 109 voix nécessaires pour mériter la confiance de l'Assemblée, mais pour rappeler son programme, les réalisations et les difficultés de son gouvernement et aussi pour souligner les pressions qui se sont exercées pour l'inciter à démissionner. On lui reprochera, et certains opposants l'ont fait, de n'avoir pas dit toute la vérité au peuple tunisien, et dénoncer les auteurs de ces « manœuvres » et leurs objectifs « peu nationaux ». A quoi a donc servi cette séance au Parlement ? Pour les observateurs et tous ceux qui ont suivi le débat parlementaire, elle a été bénéfique à plus d'un titre. En somme, elle a mis à nu l'origine de cette gangrène qui mine la vie et la situation générale du pays. Alors qu'on attendait un débat enrichissant, expliquant les raisons de « l'échec présumé » du gouvernement Essid, nos députés se sont enfoncés dans des diatribes partisanes, sans consistance, et sans perspective. D'abord, pour une séance parlementaire, aussi importante pour l'avenir du pays, seuls 186 députés sur 217 étaient présents. Où sont passés les 21 autres ? N'étaient-ils pas concernés ? L'absentéisme reste la règle, même aux moments cruciaux. Ensuite, lors du vote final concernant la confiance au gouvernement, 148 se sont exprimés (118 non, 3 pour et 27 abstentions). Les députés du Front populaire et d'autres partis ont décidé de ne pas voter. Alors, que font ils à l'Assemblée ? Ne sont-ils pas là pour représenter leurs électeurs, c'est-à-dire d'être les porte-parole d'une partie du peuple tunisien ? Sont-ils là juste pour percevoir des salaires et des indemnités et, à l'occasion, de palabrer ? C'est là un manque grave à leurs devoirs et à leurs responsabilités. Si tout le processus leur a paru peu fiable, ils devaient le dire par leurs votes. L'abstention est aussi un vote qui exprime un désaccord. Et on en tient compte. Pourtant les interventions de certains de leurs députés étaient pertinentes, certains identifiant clairement les véritables raisons et les objectifs de tout ce processus visant à démettre Habib Essid. N'est-ce pas un député du Front populaire qui a été à l'origine de la campagne « Garde ton fils chez toi ! » ? On retiendra aussi les contradictions et l'hypocrisie qui ont foisonné durant cette interminable séance. Il y a eu près de cent interventions des députés durant cette séance. La plupart d'entre eux n'ont pas été avares d'éloges pour Habib Essid. Le chef du gouvernement « démissionné » a même eu droit à trois ovations et aux applaudissements nourris des députés. Cela ne les a pas empêchés de lui retirer leur confiance. Qu'est-ce à dire ? Simplement que les députés se sont exprimés spontanément, disant leur sympathie personnelle à Habib Essid mais ont voté contre lui par obéissance aux ordres de leurs partis. D'où la réflexion qui s'impose : s'agit-il d'une Assemblée des représentants du peuple ou d'une assemblée des représentants des partis ? Heureusement, dans ce magma, il est des députés qui ont le courage de leurs opinions : trois députés ont voté «oui», c'est à dire pour la confiance au gouvernement. Il s'agit, pour l'histoire de Khemaies Ksila (Nida Tounès), Nadhir Ben Ammou (Ennahdha) et Riadh Jaidane (Afek Tounès). D'autres se sont abstenus dont certains appartenant aux partis ayant voté « non », exprimant ainsi leur désaccord à tout le processus. En fin de compte, Habib Essid, même « démissionné », bénéficie aujourd'hui de beaucoup de sympathie auprès de politiciens et de l'opinion publique. Et on n'est pas sûr que le prochain gouvernement n'aura pas affaire à cette même gangrène. Et le peuple dans tout cela ? Tout le monde parle en son nom mais personne ne se soucie de lui et de ses problèmes.