La Direction de la pharmacie et du médicament (DPM) se trouve de nouveau engluée dans les ronces inextricables d'une affaire aux contours flous Tentative de viol de patientes, non-assistance à des personnes en danger, décès en série dans les blocs opératoires, stents périmés... Qui de nous n'a pas eu maille à partir avec les blouses blanches ou leurs auxiliaires? Mais fait nouveau, c'est sur la spéculation financière de quelques sociétés médicales que se focalisent maintenant les regards. En effet, quand on joue avec les dispositions internationalement reconnues rien que pour faciliter la soustraction d'une autorisation de mise sur le marché de quelques médicaments au profit d'un autre laboratoire, l'on ne peut que crier au loup! Car le virus de la spéculation quitte la sphère habituelle, pour se propager dans les laboratoires. L'affaire des laboratoires Saiph, qui est visiblement, victime d'une machination bien orchestrée, en dit long sur les trous d'air par lesquels passe le secteur de la santé en Tunisie. Dans une conférence de presse tenue hier à Tunis, M.Ramzi Sandi, DG de Saiph, a lancé un cri de détresse : Le laboratoire risque de couler avec ses six cents semployés. Et pour cause, le directeur général des laboratoires Saiph pointe du doigt le ministère de la Santé et plus particulièrement la Direction de la pharmacie et du médicament (DPM) qui vient de lui retirer en un temps record les AMM et le droit de vente de 4 produits fabriqués sous licence et qui se chiffrent à plusieurs millions de dinars de ventes annuelles, en lui laissant sur les bras un stock de matières et de produits finis, voués à la destruction. Prenant la parole, le Dr Mohamed Khalil, président du conseil d'administration de Saiph et directeur général d'Acdima, principal actionnaire dans l'entreprise et qui a fait spécialement le déplacement à Tunis, a exprimé son étonnement de voir le droit foulé aux pieds en Tunisie en accordant, dans l'indifférence totale, une autorisation de mise sur le marché du même produit à un concurrent. Il a rappelé à cet effet les efforts consentis par les actionnaires pour soutenir en période de crise la Saiph en 2014-2015, en l'occurrence un investissement de 30 millions de dinars pour doubler les installations industrielles de l'entreprise et une augmentation du capital de 51 millions de dinars. Entorse aux normes Mais là où le bât blesse, c'est que pour y parvenir, la DPM a rendu public son nouveau « Guide d'enregistrement des médicaments en Tunisie », après avoir supprimé deux dispositions clés, reconnues mondialement, mais qui pouvaient entraver les magouilles des laboratoires étrangers, à savoir que tout transfert d'AMM doit être conditionné par l'accord documenté de l'actuel titulaire et que le transfert d'AMM ne peut se faire qu'après l'épuisement des stocks des produits transférés. De ce fait, la DPM se fait « complice des manœuvres douteuses et illégales de la filiale tunisienne de Servier », et « porte atteinte aux intérêts d'une société nationale dans laquelle l'Etat tunisien détient 10% des capitaux, fait peser la menace sur 600 emplois directs et menace les moyens de subsistance de milliers de familles en comptant les emplois indirects », assure M.Ramzi Sandi. Pour sa part, M.Belgacem Ayari, S.G adjoint de l'Ugtt, a précisé que la Centrale syndicale est préoccupée par l'aspect social et la destinée des 600 employés si l'entreprise décide un plan social suite aux difficultés qui résulteront de la résiliation unilatérale du contrat qui lie Servier à Saiph et le recours à un autre partenaire. « Contrairement à ce qu'on véhicule sur l'Ugtt, la Centrale syndicale soutient le capital national et l'investisseur étranger quand ces derniers respectent les droits sociaux et économiques de leurs employés », a-t-il souligné. Toutefois, le S.G adjoint reconnaît que beaucoup de soupçons entachent cette transaction qu'il faut tirer au clair. Les deux avocats de Saiph, présents à la conférence de presse, à savoir Maître Mounir Baccouche et Maître Sami Frikha, ont détaillé les anomalies qui ont accompagné le retrait des autorisations de mise sur le marché des produits Servier à Saiph et leur attribution à un autre laboratoire. Et d'informer l'assistance que Saiph, qui a engagé des poursuites judiciaires contre la DPM, demande l'ouverture d'une enquête sur les pratiques frauduleuses qui ont créE « un précédent qui sera lourd de conséquenceS sur l'ensemble de l'industrie pharmaceutique tunisienne ». En effet, « en donnant la possibilité aux multinationales du médicament d'agir à leur guise en Tunisie pour retirer quand bon leur semble les autorisations de fabrication des médicaments sous licence convenues par contrats, en dépit du bon sens et des lois en vigueur en Tunisie et dans le monde, on balise la voie à un démantèlement systématique et rapide de l'industrie pharmaceutique nationale », a asséné M.Ramzi Sandi, DG de Saiph. Et de lancer un appel « aux autorités nationales au plus haut niveau de l'Etat et au ministère de la Santé d'ouvrir rapidement une enquête pour déterminer les responsabilités dans cette grave affaire aux retombées désastreuses pour la santé, l'emploi, l'économie, la crédibilité et l'indépendance de la Tunisie ». « Nous en appelons également au groupe Servier pour que l'une de ses valeurs clés, celle d'être « respectueux des autres », ne soit pas un simple slogan et de prendre les mesures qu'il jugera nécessaires pour dissuader ceux parmi ses employés qui prennent toujours les pays souverains pour des colonies », a-t-il conclu. Voilà une affaire qui continuera de faire des vagues et aura des relents politiques et même diplomatiques dans les jours à venir.