Entre l'investiture du nouveau gouvernement, il y a trois jours, et le premier Conseil des ministres tenu hier, la mort, la gabegie et la désolation ont frappé D'abord, la mort due aux terroristes, dans le jebel Semmama et à Kasserine. Lundi, les terroristes ont tendu une embuscade mortelle aux militaires qui assuraient la sécurisation d'unités du génie civil. Hier, un groupe de terroristes débusqués en pleine ville de Kasserine ont massivement utilisé leurs armes et tué un civil, un jeune homme âgé de seize ans. Et, comble de la tragédie, un accident de la circulation dans le gouvernorat de Kasserine s'est soldé par une vingtaine de morts et des dizaines de blessés graves. Entre-temps, la production du phosphate a été complètement paralysée dans le bassin minier de Gafsa. Des revendications sociales sont à l'origine de cette tension nouvelle qui en rajoute à celle paralysant, depuis bientôt six mois, la production de gaz aux îles Kerkennah. Auparavant, des déclarations de leaders de partis de la place, tel Rached Ghannouchi, ont contribué à jeter de l'huile sur le feu concernant le bassin minier de Gafsa. Sitôt investi, le gouvernement de Youssef Chahed subit son baptême du feu. Le pouvoir est, le plus souvent, une tension permanente. Par moments, c'est un équilibre précaire entre l'unanimisme de façade et les revendications débordantes dues à une réalité à bien des égards problématique. Youssef Chahed et son cabinet l'ont très vite constaté à leur corps défendant. C'est aussi en période de transition bloquée telle que celle que nous vivons, un perpétuel marchandage entre forces antagoniques. Et c'est d'autant plus alambiqué que des forces aux horizons contradictoires se retrouvent au sein d'un même gouvernement dit d'union nationale. Comme l'illustre on ne peut plus problématiquement le gouvernement de Youssef Chahed. Certes, la tâche n'est guère facile, l'héritage des gouvernements précédents n'étant point reluisant. Mais personne n'a obligé le gouvernement à passer aux commandes de l'Etat. Bien pis, on s'est pressé au portillon, on a joué des coudes et des hanches et on s'est étripé à loisir pour accéder aux hautes charges gouvernementales. Tous les observateurs en conviennent. Les clignotants économiques et sociaux sont au rouge. Et l'année 2017 s'annonce particulièrement difficile, voire périlleuse. Le gouvernement en est réduit à affronter des défis immenses, sous peine de subir de plein fouet les contrecoups de la grogne et des tensions sociales. Cependant, on est en droit de s'interroger sur la rapidité de la conjonction de plusieurs phénomènes tels que la subite flambée des revendications sociales, des surenchères verbales de certains leaders et des violences terroristes. C'est trop bien orchestré pour être mis sur le compte du seul hasard. Sous nos cieux, le hasard a bon dos mais les manigances et les manipulations sont effectives et patentes. Certaines évolutions semblent bien un coup de semonce et un sérieux message pour le gouvernement. Youssef Chahed affronte un sérieux dilemme : noyer le poisson et faire comme si de rien n'était, au risque de devenir l'otage de protagonistes désireux de faire chanter ou de tout chambouler; ou bien prendre le taureau par les cornes, relever les défis à bras-le-corps et annoncer la couleur d'emblée. Bien évidemment, le second terme de l'alternative est souhaitable. Toutefois, il y a risque que le gouvernement Youssef Chahed ne devienne obsédé par la recherche du consensus mou à tout prix. L'accord à la fois tacite et évident entre Nida Tounes et Ennahdha y est pour beaucoup. Et c'est d'autant plus pesant que ledit accord s'est élargi à d'autres partenaires associés au gouvernement. Dès lors, on évite volontiers les sujets qui fâchent. On ne dépasse pas certaines lignes rouges en matière de responsabilisation. On plaide l'harmonie à tout prix là où la responsabilité des uns et des autres devrait être de mise. Et, à ce train-là, on risque de s'enliser pour longtemps encore dans un système fondé sur la partitocratie à la manière de l'Italie d'après-guerre. Un changement de gouvernement tous les ans ou presque, la paralysie économique et sociale et la dérive mafieuse du pouvoir. M. Youssef Chahed est prévenu. Les messages sont clairs. Certains d'entre eux ont été signés par le sang des innocents. A lui de choisir. Sévir, appliquer la règle de droit à tous, réhabiliter la souveraineté des institutions. Ou bien faire montre de laxisme et assurer l'impunité de ceux dont l'intérêt majeur est de nous maintenir dans cet état intermédiaire entre la guerre froide et le semblant de paix chaude.