Passée l'ivresse de l'investiture, place au réalisme. Un gouvernement d'union nationale dit-on. Soit. Encore faut-il que les protagonistes privilégient l'intérêt national plutôt que les intérêts des partis, coteries ou factions. Or, jusqu'ici, on a assisté aux pressions concentriques de divers partis en vue de s'assurer une place au soleil dans le nouveau gouvernement. Chacun y va de ses calculs de boutiquier Passée l'ivresse de l'investiture, place au réalisme. Le gouvernement de Youssef Chahed n'a guère le beau rôle. Comme dans le roman de Lewis Carrol, «Alice au pays des merveilles», il doit courir deux fois plus vite pour rester toujours à la même place. Parce que les défis sont immenses. Et les lacunes démesurées. Tout le monde en convient. Les clignotants sont au rouge. L'année 2017 s'annonce parmi les plus rudes, économiquement et financièrement parlant. Les échéances plus difficiles, voire cruelles, les unes que les autres se juxtaposent. Deux choix se profilent : ça passe ou ça casse. Point d'autre alternative. Youssef Chahed et son gouvernement ont du pain sur la planche. Et un dur labeur à assumer. Et le plus tôt sera le mieux. Certes, le nouveau gouvernement dispose d'un document de base aux orientations généreuses mais généralistes, le fameux Document de Carthage. Cependant, il s'agit davantage de déclarations d'intention que de programme en bonne et due forme. Un programme, c'est des objectifs sectoriels clairement définis, un échéancier et des personnes-ressources. C'est aussi des réponses immédiates à des problèmes récurrents. La politique, ça se joue dans les premières foulées, dans les starting-blocks. Rien n'est plus pernicieux en la matière qu'un mauvais départ. Les exemples abondent, y compris et surtout sous nos cieux. Pour le gouvernement Youssef Chahed, l'espoir de réussite dépend de quatre relais initiaux. En premier lieu, l'adoption du nouveau Code des investissements. En deuxième lieu, l'approbation du Plan de développement économique et social 2016-2020. Viennent ensuite la réussite de la conférence internationale des donateurs, prévue fin novembre 2016, et la loi de finances 2017. Dans tous les cas de figure, la réussite dépendra, au-delà de l'institutionnel, de l'éradication de l'économie parallèle et de la maîtrise de l'endettement extérieur. L'économie parallèle englobe plus de la moitié du PIB, estimé à quelque cent milliards de dinars. La contrebande alimente également les circuits de la concurrence déloyale, l'évasion fiscale et le terrorisme. Prendre le taureau par les cornes s'impose. Autrement, ceux qui détiennent les leviers de l'économie parallèle et douteuse continueront à tenir les rênes du vrai pouvoir, sur fond de capitalisme débridé et mafieux. Nul n'ignore en effet que certains mafieux, dont la fortune est organiquement liée à l'économie parallèle, jouent les premiers violons dans le concert de la politique politicienne sous nos cieux. L'establishment s'en accommode, tout comme la paralysie de la magistrature n'en finit guère d'étonner à cet égard. Reste cet énorme endettement extérieur qui hypothèque sérieusement la souveraineté nationale. L'endettement atteint 62 % du PIB. C'est devenu tellement grave et contraignant que nous en sommes réduits à contracter des prêts extérieurs pour honorer le principal et le service de la dette de prêts extérieurs antérieurs. Un cercle infernal et vicieux en somme. Le gouvernement devrait peut-être commencer par négocier un rééchelonnement de la dette. Autrement, l'année 2017 sera synonyme du déboursement de près de sept milliards de dinars rien que pour la dette extérieure. Ce qui constitue en soi un ingrédient d'enlisement dans le marasme et la crise structurelle dans le droit fil du mauvais schéma grec. Un gouvernement d'union nationale dit-on. Soit. Encore faut-il que les protagonistes privilégient l'intérêt national plutôt que les intérêts des partis, coteries ou factions. Or, jusqu'ici, on a assisté aux pressions concentriques de divers partis en vue de s'assurer une place au soleil dans le nouveau gouvernement. Chacun y va de ses calculs de boutiquier. Youssef Chahed devrait engager son équipe sur le chemin des décisions audacieuses dès les premiers jours. Tout dépendra, dans l'immédiat, de sa promptitude à trouver des solutions aux blocages du bassin minier à Gafsa et des îles Kerkennah. Il n'a guère le beau rôle, dira-t-on. Mais celui qui a les avantages a aussi les charges. Nul ne l'a obligé à briguer la présidence du gouvernement. Dès qu'il s'y est retrouvé, il doit en assumer les conséquences, à ses risques et périls au besoin. Qui désespère d'emblée ne tentera rien d'extraordinaire.