Emna Belhaj Yahia n'évoque pas de grands messages, ni d'actes héroïques dans ce roman alors que son personnage principal, Frida, poursuit juste l'ambition de réussir sa vie de tous les jours, sans fausses amours, sans tiraillements... Et, aussi trivial que cela pourrait sembler l'être, c'est l'espoir de chacun d'entre nous, au fin fond du plus intime de notre être. Une femme libre, voilà ce qui vient tout de suite à l'esprit quand on finit de lire cet ouvrage. Car Frida affiche, tout le long, un refus farouche d'être l'otage de qui que ce soit, y compris sa propre mère. Des quatre relations que brode Emna Belhaj Yahia, c'est essentiellement ce refus qui transpire, bien sûr avec les nuances d'usage. Moi, Frida, j'apprends à braver Dans la relation mère-fille (Zoubeïda-Frida), il est question de devoir mais sans aller au bout d'une culpabilité qui montre parfois le bout du nez. Dans la relation mère-fils (Frida-Toufayl), la crise ne peut perdurer pour les mêmes raisons, à l'envers. Dans la relation mère-bru (Frida-Chokrane), l'amour du fils dans le creuset de l'éducation sauve grandement la situation. Reste la relation mère-compagnon (Frida-Zaydun) qui, par ricochet, rappelle l'échec de l'ex-relation mère-époux (l'ancien mari de Frida) pour postuler que le choix maturé marche dans ce cas particulier, puisque rien n'est absolument garanti entre filles et garçons, et ceci à tous les âges. A la première personne du singulier, Frida refait ses comptes. Parmi ce qu'elle retient, l'adage de la meilleure défense, c'est l'attaque. Une attitude qu'elle a héritée de sa mère qui redit dans la simplicité des mots justes et brefs un haut fait de bravoure dans l'enfance. Une mère adulée, donc, là où s'ajoute un point capital; sa mère a quitté le voile au moment où la volonté politique devançait l'émancipation des femmes avec l'école obligatoire, passerelle vers la maturité et l'indépendance. Encore sur les traces de sa mère, elle s'est toujours étonnée pourquoi, ayant enlevé le voile, elle garde pourtant la même ferveur religieuse. Seulement, sa mère est aujourd'hui comme ravagée par des «absences», peut-être un Alzheimer, et elle lui en fait voir de toutes les couleurs. Frida trouvera le moyen de faire face de manière nuancée. «Pourquoi on se déchire ?» Comme une ritournelle, l'interrogation vaut pour sa mère comme pour Toufayl. Elle fixe les limites avec son fils quand leurs relations se détériorent lorsqu'il choisit Chokrane pour promise car celle-ci porte le voile alors que Frida a les idées bien claires là-dessus. En vérité, ce n'est pas tant le voile que le statut de bru qui est en cause. Probablement un comportement naturel entre la mère et l'épouse du fils. Frida finit par y réfléchir, peut-être une question de culture comme il sied à une lettrée : «De quel droit jouerais-je au jeu du miroir avec mon fils et souhaiterais-je qu'il me ressemble ? L'enjeu véritable, c'est de garder avec lui la force d'un lien et non de retrouver en lui le reflet de ce que je suis, ou de ce que je crois être». Ils se réconcilient quand elle tombe malade et que cette fragilité soudaine dope le sens des sentiments authentiques mère-fils, occultant les ego qui faussent toutes les relations. Reste la quatrième relation, peut-être celle qui permet que Frida puisse avoir autant de ressources pour comprendre et faire face à ses autres relations. C'est avec son compagnon, Zaydun, pour lequel ce n'est pas de logique qu'il s'agit dès qu'il pense à elle. Disons qu'elle a eu de la chance dans cette rencontre, après d'innombrables mardis de suite à l'étalage de fruits du quartier. Emna Belhaj Yahia semble ainsi défendre la thèse de l'existence de l'âme-sœur. Pour étayer son propos, elle fait parler Zaydun sur le fond : «Avec Frida, nous éprouvons en général, en même temps et dans l'urgence, comme deux enfants dans le noir, le besoin de sentir l'intensité du lien qui nous unit. C'est juste ça notre amour, se donner l'un à l'autre de la force, alors même qu'aucun de nous n'en a». Cet amour se maintiendra, lucide jusqu'au bout ! Jeux de rubans, 211p., mouture française Par Emna Belhaj Yahia Editions Elyzad, 2011 Disponible à la librairie Al Kitab, Tunis.