Par Abdelhamid Gmati Il est un sujet dont on parle très peu et qui, pourtant, devrait concerner toute la population. Il s'agit des agressions sexuelles qui bénéficient d'une sorte d'omerta, une loi du silence. Et il touche plusieurs pays. En France, plus de 198 000 femmes sont victimes de viol ou de tentative de viol. 98% des femmes violées ne portent pas plainte. Aux Etats-Unis, une série policière est consacrée au phénomène du viol ; même un candidat à la présidentielle américaine a été, récemment, accusé de harcèlement sexuel par une douzaine de femmes. En Tunisie, on viole aussi, et les victimes se comptent parmi les femmes (jeunes ou moins jeunes), les enfants (filles ou garçons) et même les hommes. Selon une étude, on recense en moyenne trois viols par jour. Vendredi dernier, la police a arrêté, à Sousse, un homme qui est entré de force au domicile de son voisin et tenté de violer son épouse. Toujours, ce vendredi, une femme a porté plainte, contre une maternelle à Bir Bouregba (Nabeul). Elle a indiqué que sa fille de 3 ans a été violée au sein de l'établissement. Jeudi dernier, une plainte a été déposée contre un homme habitant Zeramdine (Monastir) ayant violé, au moins cinq fois, son voisin, un attardé mental de 24 ans. Malgré son handicap, le jeune homme a été embauché dans un café du quartier. Son voisin, un homme connu des services de police, l'a intercepté le mois dernier et l'a violé dans un sentier. Le violeur a récidivé quatre autres fois et menacé le jeune homme de le tuer, lui et sa famille, s'il en parlait. Ne pouvant plus supporter ce calvaire, la victime a informé son frère de sa mésaventure et ce dernier a saisi la justice. Il y a un mois, à Bir Farah, une localité rurale de la délégation de Bouhajla (gouvernorat de Kairouan), une jeune femme de 18 ans a accusé de viol un agent de nettoyage et un Muezzin travaillant tous les deux dans une mosquée du village. La fille en question a porté plainte, elle est actuellement au huitième mois de sa grossesse de l'un des violeurs, selon ses accusations. La police a procédé à l'arrestation des deux individus en attendant de finir l'enquête et d'obtenir les résultats de l'analyse ADN. Aux Jardins de Carthage de la délégation d'Aïn Zaghouan, les unités de la police judiciaire ont réussi à arrêter un dangereux criminel qui terrorisait et agressait les femmes. En effet, le criminel en question est accusé d'avoir agressé sexuellement pas moins de cinq femmes. Son mode opératoire est simple, il repérait ses victimes devant un centre commercial situé au Lac, les détournait et les violait sous la menace d'une arme. Et les agressions sexuelles envers les enfants ont augmenté, passant de 262 cas en 2013 à 630 en 2016. Selon la ministre de la Femme, de la Famille et de l'Enfance, Neziha Abidi, 47.6 % des femmes âgées de 18 à 64 ans, ont été victimes de violence au moins une fois dans leur vie. Les résultats de deux études nationales sur la violence faite aux femmes réalisées par le Credif en 2010 et 2016 font ressortir une montée en puissance de la violence contre les femmes qui est passée de 20% en 2010 à 75% en 2016. Il en va de même pour la violence conjugale qui a grimpé de 47% en 2010 à 60% en 2016. La violence touche les femmes dans les milieux rural et urbain et n'excepte pas les femmes instruites, comme elle concerne les femmes actives, les femmes au foyer et ne distingue pas entre les couches sociales. Dans 75% des cas, l'agresseur est connu de la victime. Pourtant, lorsque c'est un copain ou un membre de la famille, la gravité de l'agression a tendance à être minimisée. D'après des experts, les victimes gardent le silence. D'abord, les agressions sexuelles et les viols sont les délits dans lesquels la parole de la victime est la plus souvent remise en cause. Pourquoi portait-elle ces vêtements? Pourquoi a-t-elle bu? Pourquoi ne s'est-elle pas plus débattue? Une des premières questions qui se pose donc, c'est: «Est-ce que l'on va me croire?». Ensuite, il y a le traumatisme en lui-même. Après une telle agression, les victimes sont sous le choc. On ne pense plus rationnellement. Et les victimes de viol ont des difficultés à se définir justement comme... victimes. Personne ne veut se voir étiqueté comme tel. Il y a une honte à s'être laissé avoir. Comme s'il nous fallait voir des signes avant ou être plus méfiant. D'où les nombreuses dénégations personnelles et la réécriture de l'histoire. Enfin, les auteurs d'agressions sexuelles et de viols profitent souvent d'une autorité qui impressionne leur victime, que ce soit hiérarchique, financière ou liée à la célébrité. Dans beaucoup de cas, ce sont des personnes qu'elles connaissent et dont elles savent qu'il va être difficile de les mettre en cause. Ce qui les incite à garder le silence jusqu'à ce que d'autres voix commencent à s'exprimer. Il est évident que ces agressions sont inacceptables et doivent être dénoncées. Le problème est que les victimes ne portent pas plainte ; or le silence et le secret ne profitent qu'à l'agresseur. Par honte ou par peur d'une société machiste et patriarcale, les femmes n'osaient guère parler et dénoncer leur agresseur. Amnesty International explique : « Deux des principaux obstacles à la justice sont le manque de signalement des cas d'agression sexuelle et le faible taux de condamnation en cas de viol. En Tunisie, en cas de récit des faits, les « dires » de l'homme sont toujours ceux pris en compte. Amnesty International note que le « témoignage de la survivante est souvent insuffisant en lui-même ». Les opinons conservatrices « ont toujours été présentes dans le pays. Les lois contre le viol conjugal vont à l'encontre de l'idée selon laquelle la femme doit satisfaire et obéir à l'homme ». Ce mardi 25 octobre à Tunis, lors d'un atelier consacré à la présentation de la stratégie du ministère pour faire connaître le projet de loi organique, portant sur l'éradication de la violence contre la femme, Naziha Abidi a indiqué que son département avait œuvré à accélérer l'élaboration de ce texte, pour éradiquer la violence contre la femme, à travers une approche globale reposant sur la lutte contre ses différentes formes, à travers la prévention, la protection, l'encadrement et la dissuasion. Le nouveau texte prévoit des mécanismes de protection, dont une unité spécialisée auprès de la police judiciaire, relevant des forces de sécurité intérieure, chargée d'investiguer sur les crimes de violence infligés aux femmes, outre sa spécialisation dans les crimes ordinaires. Le projet de loi préparé par le ministère a été approuvé en Conseil des ministres, le mercredi 13 juillet 2016, et sera soumis prochainement à l'Assemblée des représentants du peuple (ARP). La stratégie de promotion et d'appui à ce texte est placée sous le signe : «La violence contre la femme : un fait national», étant donné que la violence à l'encontre des femmes concerne l'ensemble des intervenants dont les structures gouvernementales, les représentants de la société civile et les médias. Cela suffira-t-il à libérer ces «voix du silence» ?