Par Mourad LOUSSAIEF* En démocratie, fût-elle juvénile, il est donné à toute personne de donner son avis sur tout sujet et il est permis à toute personne d'apporter la contradiction. En lisant l'ouvrage commenté, on ne peut s'empêcher de penser que, faute d'être un pamphlet contre le Prophète et l'Islam (car il n'est pas assez court pour le genre), c'est au moins un ouvrage qui a instruit à charge tout le long de ses 252 pages, avec le but inavoué ou plutôt à peine voilé de discréditer au maximum le personnage dont les « méfaits » sont attaqués sous toutes les coutures. La grande conspiration Parmi les histoires incroyables qui tendent à discréditer le Prophète, il faut d'abord citer celle de la « grande conspiration » qui aurait vu ses compagnons les plus fidèles tenter de l'assassiner dans le col de la Harcha entre Al-Jahfa et Abwa pour la bonne raison qu'il aurait dès lors désigné Ali comme son successeur. Pour preuve de ce qu'elle avance, l'auteur nous apprend que Razi, dans son exégèse du verset 69 de la Sourate « El Maïda », rapporte comment Omar félicite Ali de son prochain imamat. On a beau chercher dans les lignes de ce Tafssir et entre elles, sans en trouver une seule trace. Le verset en question traite des gens du Livre et des croyants qui font le bien et ne semble pas appeler un tel commentaire. De plus, les notes de bas de page (16 et 19) de l'auteur se contredisent en citant les mêmes ouvrages comme tour à tour attestant de cette histoire puis comme y faisant juste une vague allusion. Plus généralement, comment peut-on croire que les amis les plus fidèles du Prophète aient voulu l'assassiner ? Pas moins que quatorze, nous révèle l'auteur et pas des moindres! Si le but est de faire barrage à Ali, pourquoi tuerait-on à sa place le Prophète ? A moins qu'elle n'explique cela par des pouvoirs réellement prophétiques, ce qui ne manquerait pas de piquant, pourquoi et comment cette armada a-t-elle lamentablement échoué contre une victime désarmée et totalement prise au dépourvu sur un chemin escarpé? Pour quelle raison, le Prophète aurait-il passé sous silence cette effroyable entreprise alors même qu'il décimera à droite et à gauche dans sa vie selon l'auteur ? Comment le Prophète a-t-il pu continuer à donner sa confiance, à confier des responsabilités civiles et militaires à ses bourreaux ? Comment en particulier ce « Thani ithnayn » aurait-il pu trahir son ami de la sorte, lui dont le Prophète dit, je cite page 87 : « Je n'ai pas eu de compagnon plus fidèle que toi ». Fidélité meurtrière s'il en est. Autant de questions auxquelles l'auteur n'apporte aucun élément de réponse. Par contre, elle veut bien croire à cette tentative d'assassinat qui fait bien dans le décor. On a lors le sentiment que le but est de montrer que le Prophète est détesté de ses compagnons et qu'à la moindre occasion comme dans les méandres d'un sentier abrupt, ils n'hésiteraient pas à le liquider. Sur cette question, elle juge cependant les sources sunnites comme ambiguës et évasives. Le contraire nous aurait étonné... En plus, il faut admettre que dès qu'il est question d'Ali comme partie de l'explication (puisque toute cette tuerie repose sur le prochain imamat supposé de Ali), les doutes les plus sérieux sont émis car les chiites ont tendance à enjoliver et déformer l'histoire de leur héros (comme si ce n'était pas le nôtre aussi) et verraient d'un très bon œil le fait qu'il soit désigné comme seul successeur légitime et le fait d'impliquer « les deux traîtres » Abu Bakr et Omar dans la liste des commanditaires d'un tel crime. Sur le plan politique et puisque l'auteur reconnaît au personnage « une intelligence politique qui domine de très haut son époque » (p.75), désigner un successeur eût été une faute lourde car cela aurait divisé les musulmans, monté les compagnons les uns contre les autres et ruiné l'islam ! Il n'avait aucune raison de préférer un tel à un autre, fût-il son cousin. Cet épisode du « Ghadir » ne résiste donc pas à la critique objective et nous semble relever d'une pure gageure de l'auteur basée sur une lecture naïve et simplette des sources chiites. Une tempête dans un verre d'eau Le deuxième sujet essentiel du livre est le testament que le Prophète aurait voulu faire et dont il aurait été savamment empêché par un entourage aux aguets et hors d'haleine. Or, quand on se réfère à la vie du Prophète et à ses 23 ans de prédication, on est frappé de voir qu'aucune trace écrite n'est présente. Le seul écrit auquel tenait le Prophète était indiscutablement le Coran. A cette fin, il a recruté des scribes et c'est lui qui faisait la dictée des versets. En dehors de cela, aucun écrit. En particulier, jamais il n'a demandé qu'on retranscrive par écrit ses paroles ou ses actes. Donc en mourant, il n'avait pas plus de raison de coucher ses volontés par écrit. Pour lui, il a laissé le Coran en testament comme il l'a d'ailleurs dit au cours du dernier pèlerinage. Il faut aussi remarquer que l'institution du testament n'est pas très présente dans les mœurs musulmanes jusqu'à nos jours et que la tendance générale à cette époque était fondamentalement marquée par l'oralité. Si l'auteur se fonde sur les troubles de la conscience auxquels il fut sujet pendant son agonie pour accroire qu'il a pu être manipulé, il faut lui objecter que ces troubles étaient intermittents et qu'au bout de quelques jours comme elle l'admet elle-même, il s'est senti mieux, est sorti de chez lui, a gagné la mosquée et a harangué la foule. Même s'il était faible, il avait tout loisir alors de dire ses dernières volontés puisqu'il était en mesure de parler. En conséquence, on ne voit pas trop où est le mal, ni quel serait l'affreux enjeu de cette histoire. Si on fouillait dans les annales chiites, on trouverait certainement une part importante réservée à ce prétendu testament. Encore une fois, on a empêché le Prophète de désigner ce pauvre Ali... L'entourage Disons d'emblée que dans cet ouvrage, tous les emblèmes se cassent la gueule. Voyons d'abord ce qui en est des « traîtres obèses » (p.92) : Abu Bakr est émotif. N'empêche que aidé de Omar, ils forment avec le Prophète « une sorte de trinité dirigeant un pan de l'humanité » (p.225). Il n'est donc pas si émotif que ça. Par ailleurs, cet Abu Bakr a imposé son autorité de calife dans un bain de sang (p.139) même s'il ne doit pas à lui-même son accession au pouvoir car « jamais sans sa fille » il n'y aurait goûté. De même « tous les enfants du pieux Abu Bakr sont de véritables libertins » (p.123). Le pauvre a lamentablement échoué dans leur éducation. C'est également un spoliateur qui a déshérité la descendance du Prophète de son héritage et commis l'impair d'attribuer ses biens à la communauté et son or aux nécessiteux (p.91) alors que c'est une décision juste en ce sens que les biens reçus en butin sont les biens de l'Islam, le Prophète n'ayant été qu'un moyen. De même donner son or aux nécessiteux est une preuve de très grande générosité. En page 92, Omar, lui, est obnubilé par l'argent, les transactions, l'encaissement des taxes, qui le déconcentrent carrément de la prière. En page 95, il aurait épousé la fille de Ali pour l'avoir violée auparavant (histoire de la dédommager en nature). Il a par ailleurs « l'habitude de forcer les femmes » et a déjà violé Atika fille de Zeid. D'ailleurs, il a des vues sur les femmes du Prophète et devient le « gardien bénévole et autoproclamé de son harem ». Il ne faut pas oublier son « cabotinage de comédien » et sa « parade d'histrion » (p.191) lors de la mort du Prophète puisqu'il est volontiers capable d'attitude surjouée et de réactions impétueuses. Un sadique et un bouffon à la fois. Déserteur sur les bords (p.67). Alors je veux bien concevoir que Omar ait des défauts comme tout le monde, il semble néanmoins que l'auteur a vraiment raté le coche car connu pour sa grande austérité, pour manger grossièrement et s'habiller pauvrement (austérité que ne conteste pas l'auteur à d'autres endroits de l'ouvrage), on ne voit vraiment pas comment il aurait pu être avide d'argent, lui qui a continué à vivre dans sa modeste demeure tout le long de son califat décennal et tenait en horreur l'institution de portier, lui dont les femmes se plaignaient de l'état de quasi-indigence dans lequel il mettait sa famille de peur de piocher dans le trésor, le tout bien qu'il eût soumis des contrées et des peuples et qu'il fût comparable à un César ou à Pharaon en termes de puissance. Les transactions dont il s'occupait étaient celle du jeune Etat musulman et il le faisait avec une probité qui fait défaut aujourd'hui. Pour ses prouesses de violeur, on est pareillement consterné. Comment Ali aurait-il pu donner sa fille à un violeur et comment un fervent croyant aurait-il pu commettre un tel péché et plusieurs fois ? Curieusement, l'auteur ne situe pas plus que ça l'heure du crime... on ne sait même pas si c'est anté-islamique ou pas. Othman est quant à lui celui qui a essuyé le moins de critiques dans ce livre alors que son népotisme l'a perdu. L'auteur note quand même, pour qu'il ne soit pas en reste, qu'il s'est converti uniquement pour demander la main de Rouqaya la fille du Prophète (p.112). N'eût-été Rouqaya, il serait resté païen. Sa croyance ne tenait qu'à un fil. L'auteur ne dit pas si à la mort de son épouse, il a apostasié. Ali, généralement décrit comme un valeureux guerrier pour une fois par les deux camps rarement d'accord, est ici décrit en page 112 comme très laid, court sur pattes, doté d'un énorme embonpoint, yeux chassieux, nez écrasé, chauve, difforme « le physique grotesque faisant de lui la risée des musulmans ». L'éditeur français n'y pas vu un délit de faciès... En page 114, il est paresseux, mou, indolent, très gros dormeur (sans rire) et même dispensé par le Prophète en personne de la prière du soir (toujours sans rire)... Ce gros dormeur a pourtant gagné contre l'armée de Mouawya (avant la ruse) et dans la bataille de Siffin. Puisse tout gros dormeur y réussir. Voilà comment sont traités les quatre califes par-dessus la jambe, alors qu'il faut être aveugle pour ne pas voir qu'au contraire, ils (au moins eux) ont continué sur la voie du Prophète et qu'ils furent tout le contraire de potentats avides d'argent et de gloire. Les quatre ont vécu chez eux, n'ont pas construit de palais, n'ont pas cherché à pactiser avec des souverains étrangers en épousant leurs filles, n'ont pas eu de harem, n'avaient pas de tenue d'apparat, de trône, de couronne quelconque...Leur régime politique s'apparentait à une démocratie directe où les décisions étaient prises de manière collégiale et où la loi —fût-elle religieuse— était suivie et appliquée par chacun de la même manière. De ce point de vue et sans les sanctifier, à la place de l'indignation et du mépris, on mettrait volontiers de la fierté et à la place « des compagnons avides et plutôt vénaux » (p.91), on dirait des compagnons désintéressés et plutôt ascètes. Quant à Aïcha « la fringante rougeaude », « la venimeuse » (p.46) « intelligente et rancunière » (p.65) l' « inénarrable » (p.120), « la veuve joyeuse » (p.123) c'est la comploteuse numéro 1. Comment pourrait-il en être autrement de l'épouse du Prophète et de la fille du prochain calife ? Elle doit magouiller. « Toujours disposée à l'espionnage » (p.56), cette cauteleuse aurait même avoué avoir connu d'autres hommes après le Prophète et l'auteur d'en attester par cinq références différentes ! Sans devoir se déplacer en personne à Saqifat Banou Saïda, c'est grâce à ses manigances derrière le rideau que son père a pu s'imposer. Jamais sans ma fille, nous dirait-il. Cette thèse qui méconnaît un tantinet les forces contraires en présence, longuement soutenue par l'auteur, est ensuite contredite par elle-même puisqu'elle n'hésite pas à consacrer des pages entières pétries de redondances assénant que Aïcha préconise Omar, trouvant son père trop émotif pour le poste ! On ne sait plus sur quel pied danser. Finalement, on est passé outre l'avis de Aïcha... Le must En passant le chapitre des compagnons avides et plutôt vénaux et de la fringante rougeaude, on arrive au must. D'un Prophète sautant tout nu de son lit pour accueillir son ami et Aïcha disant alors le voir nu pour la première fois (p.68), à un Prophète prenant pour qibla le lit de sa jeune épouse (p.124), à un épicurien patenté (p.164) extrêmement jaloux (p.44) entrant dans des colères noires (p.67), au glouton n'hésitant pas à dévorer une moitié d'agneau à lui tout seul et d'ailleurs tellement lourd qu'on a du mal à le laver (p.164), à un phobique accompli un peu de tout dont le vent, le tonnerre et le son des flûtes du berger dont il détale à grands pas comme dirait l'autre en se bouchant les oreilles (p.26), à quelqu'un de « particulièrement jaloux pour son prestige » (p.45), embrassant l'argent (p.26), quêtant les retours sur investissement (p.29), promettant des blondes en butin (p.28), multipliant les mariages dès l'âge adulte (p.101) alors que jusqu'à quarante ans, il n'eut qu'une seule épouse, faisant d'un verset deux coups (p.43), utilisant le Coran à des fins personnelles de sorte que quand il a décidé de quelque chose, il tire du néant un nouveau verset conforme à ses plans ...N'a-t-il pas d'ailleurs retranché du Coran le verset de la lapidation (p.127) ? Il aime les femmes, les parfums et ...la nourriture ! Nourriture vite rétractée en note de bas de page (n°3 p.324) où on découvre le vrai hadith et où la nourriture est remplacée par la prière ! Bref, des défauts qui donnent le tournis au brave lecteur mais pas à l'auteur qui traite la question sans ambages et parle de « Prophète-Roi » (p.76), puissant et richissime (p.89) doté d'une fortune colossale et d'immenses possessions (p.90)! Le faux le dispute au ridicule. Naturellement, un tel personnage ne pourrait pas mourir de mort naturelle et il faut soutenir la thèse de l'empoisonnement ; empoisonnement au sujet duquel la tradition serait unanime bien sûr (p.167) ! Suivent des développements impertinents sur le vrai prénom du Prophète, le caractère illégitime ou pas de sa naissance puisque l'auteur a des raisons sérieuses de penser vraisemblable que le père soit mort deux à quatre ans avant la naissance de son fils...sans doute y a-t-il une trace de cette histoire dans quelque ouvrage sunnite ou chiite. De si nombreuses phrases traitent du Prophète de façon si prosaïque, parfois si licencieuse qu'on en est amené à y voir le trait majeur du livre. Une longue diatribe destinée sans doute à faire sortir le lecteur musulman de sa torpeur « bien musulmane » qui lui fait croire bon et sincère son Prophète. Quant au lecteur non musulman et francophone (au hasard un français), il pourra sans doute trouver le contenu plaisant et le caressant dans le sens du poil. Loin de nous l'idée de supposer cette intention coupable chez l'éditeur français de ce livre... Naturellement, il serait superflu de préciser qu'aucun bienfait du Prophète n'est cité ou rappelé à aucun moment. Pas une once de gentillesse, de mansuétude, de tolérance notamment vis-à-vis de ses ennemis originels, de perspicacité, de douceur, de courage, rien de rien. Que de la boue et du sang. Un ignoble sanguinaire, machiavélique et vorace, détesté et empoisonné puis mystérieusement enterré ; voilà le sentiment général avec lequel on doit sortir à la lecture de cette satire. Pour ce qui est des preuves avancées par l'auteur pour corroborer ses vues souvent fantasques, les notes de bas de page placées à la fin du livre pour plus de labeur pour le lecteur, donnent elles aussi le tournis. Tout semble documenté : le Prophète sautant nu de son lit ou Aïcha ayant connu des hommes après lui ou Ali dispensé de la prière du soir, tout cela trouve une quelconque référence. Cela nous défend d'imputer ces allégations à l'auteur. Elle ne fait que piocher ici et là... Alors si le but est de démontrer que n'importe quelle idée si farfelue soit-elle, trouve toujours son chemin dans quelque ouvrage sunnite ou surtout chiite, je veux bien l'admettre, mais où est votre sens critique Madame ? Etes-vous vraiment outillée pour savoir si le Prophète peut dispenser un musulman d'une prière ? S'il y a du mérite à mettre en évidence des contradictions entre les sources amenant parfois à une confusion certaine, il y a moins de mérite à en faire usage. En effet, l'auteur ne déduit pas des contradictions « des traditionnistes » -pour reprendre son néologisme- le discrédit de leurs versions, mais tend plutôt à s'appuyer sur certaines bribes d'entre elles pour finalement élaborer la sienne propre. Elle n'est donc pas exempte du reproche qu'elle leur fait. Notre propos n'est donc pas de dire que les sources sont sacrées. Nous savons toutes les contradictions qu'elles recèlent et le caractère parfois voire souvent mystificateur qu'elles renferment, notamment en matière de chiffres. Tabari affectionnait par exemple le chiffre 70 ou ses multiples et mettait cela à toutes les sauces...Il faut donc les lire avec un certain recul. Ce n'est pas ce que fait l'auteur qui, tout en observant quantités d'invraisemblances, base son récit sur nombre d'entre elles. « L'atrocité » de l'agonie du Prophète est aussi un thème récurrent et même un leitmotiv du livre. Aïcha en est décrite comme témoin unique (p.65) alors qu'en même temps toute la smala est là pour l'empêcher de testamenter et pour profiter de ses évanouissements pour ce faire. Les proches sont donc présents à cette agonie prétendument atroce. Ils sont uniques avec Aïcha... Cette atrocité est pure chimère. Le Prophète est mort comme tout le monde ou mieux que tout le monde si on compare à aujourd'hui, au milieu de ses proches. Son agonie a duré une dizaine de jours tout au plus et a été annoncée par une fièvre tenace qui était le signe majeur d'une mort proche à cette époque. Donc fièvre et syncopes ont naturellement jaloné cette mort plutôt douce, sans qu'aucun ouvrage n'ait décrit une mort violente ou des douleurs atroces. La description de l'auteur relève donc de la dramaturgie et trahit un parti pris, celui de voir le Prophète vivre et mourir atrocement. Le style et l'auteur Madame Hela Ouardi n'est pas (ou au moins initialement) islamologue. Elle est professeur de lettres françaises. Son DEA, sa thèse et ses travaux pour l'obtention de l'habilitation ont tous été consacrés à la littérature française et plus particulièrement à Raymond Queneau. Ce n'est qu'en 2008, date de sa nomination au grade de Chevalier de l'Ordre français des Palmes académiques, qu'elle commence à publier sur les thèmes de l'islam et de l'orientalisme. D'aucuns y verraient un lien... Toujours est-il que cette décoration n'est décernée qu'à toute personne contribuant activement à l'expansion de la culture française dans le monde. Il y a donc peut-être conflit d'intérêts à publier sur l'islam, la culture française étant entre autres judéo-chrétienne. En tout cas, un ouvrage élogieux sur le Prophète et l'islam n'aiderait pas à l'expansion de la culture française dans le monde... Cette décoration couplée au contenu du livre jette donc une ombre sur l'ouvrage. Pour ce qui est du style du livre, il est écrit dans un très bon français, digne du prix présidentiel décerné. Les coquilles sont rares (par ex : versions ambiguë p.142), mais c'est le contenu qui le rend déplaisant à lire. L'auteur y utilise volontiers des vocables « positivement chargés ». Ainsi pour le calendrier musulman, il est question non pas d'intercalation, mais « d'embolisme » (p.52), terme utilisé pour le calendrier athénien... Les musulmans priant à Médine sont appelés « orants », terme singulier qui renvoie aux païens de Mésopotamie levant les bras au hasard vers le dieu Shamash ou autres Marduk et Assur. En page 154, le takbir annonce le commencement de « l'oraison », terme pareillement singulier renvoyant plutôt à la liturgie chrétienne. En page 225, Abu Bakr, Omar et le Prophète ne forment pas un trio ou un triumvirat mais « une trinité », terme dont on n'a pas besoin de démontrer le caractère déplacé... Ces termes ravalent sans doute l'islam au rang des religions polythéistes. Pour ce qui est de la narration, elle nous a semblé saccadée, voire décousue. Ainsi est-il question d'une mort imminente dès les premières lignes mais en même temps, on a l'impression que le Prophète n'arrête pas de se mourir, car les trop fréquentes digressions, tantôt lui soutirent le dernier soupir en décrivant un homme en proie à une agonie atroce, tantôt lui rendent la vie pour pouvoir dépeindre un guerrier redoutable avide de sang et de gloire. Du coup, on ne sait plus à quoi s'en tenir en se demandant si le but est vraiment d'être fidèle au titre de l'ouvrage ou de parler de l'entière vie du Prophète ? En fin d'analyse, le livre confine au dénigrement systématique sans enjeu réel. L'auteur a dit sans broncher dans une interview que son livre donne « une image humanisée de Muhammad qui ne le sacralise pas mais ne l'amoindrit pas non plus ». On se demande comment on aurait pu tomber plus bas dans le profane et l'amoindrissement. Quoi qu'il en soit, même s'ils avaient été réels, conspiration et testament n'eurent rien changé à l'idée qu'on se fait du Prophète. Un homme désintéressé, simple et honnête dont la vie est enseignement. C'est tout. Par conséquent et en guise de conclusion, on ne résiste pas au plaisir de citer l'auteur qui attribue elle-même à ses inspirateurs Henri Lammens et consorts ce qui suit: (p.249) « islamophobie érudite, férocité savante et malin plaisir à pointer du doigt les anachronismes dont regorgent les livres de la tradition ». Apparemment, le courant est bien passé. M.L. *Avocat