Ceux qui oublient le passé sont condamnés à le répéter dit-on. Et l'histoire se répète une fois sous forme de tragédie, une autre fois sous forme de comédie. Ou en tragi-comédie, sinon en comédie tragique. Les développements sur notre place, ces derniers jours, en témoignent. Dans la crispation, l'indignation et le désarroi. Le verdict, en début de semaine, concernant l'affaire de l'assassinat, en 2012, de feu Lotfi Nagdh, ravive les passions. Le brasier rougeoyant sous les cendres molles a attisé son feu tenace. Les protagonistes du lourd affrontement des années 2012 et 2013 ont réinvesti la place. Bien pis, on se dit que, malgré les années, on fait du surplace. Le décor a peut-être changé, mais les vieux dispositifs demeurent. L'escadron de la mort a repris du service intensif. Les forces de sécurité arrêtent à tour de bras des groupuscules de cellules terroristes dormantes, armées jusqu'aux dents, au seuil du passage à l'acte. Elles ont fait allégeance à Daech, sont entretenues par l'internationale terroriste et avouent être désireuses d'en découdre avec des hommes politiques de la place, des journalistes et des grandes surfaces pleines à craquer de citoyens paisibles. Les ligues dites de protection de la révolution, qu'on croyait dissoutes, ont rappliqué, elles aussi. Elles ont bruyamment manifesté, notamment à Sousse, autour de l'enceinte du tribunal ayant statué dans l'affaire de l'assassinat de Lotfi Nagdh. Avec bannières et figures de proue tristement célèbres de surcroît. Au vu et au su de tous, et en toute impunité. Les médias ont donné lieu à de véritables passes d'armes entre deux camps antagonistes et qui s'assument comme tels. Quant à l'Internet, les réseaux sociaux et la blogosphère, les échanges y sont des plus cruels et même triviaux. D'un côté, les démocrates et modernistes, de l'autre, la sphère des conservateurs drapés d'un argumentaire religieux, voire bigot. Aux dernières nouvelles, l'entente idyllique Nida Tounes-Ennahdha, en vogue depuis les élections législatives et présidentielle de 2014, s'essouffle, si elle ne s'effrite à vue d'œil. Le tout sur fond de l'élaboration d'une loi de finances qui ne fédère guère. Les syndicats ouvriers bougonnent, les professions libérales rechignent, le patronat se dit exaspéré, les principaux partis de la coalition gouvernementale font barrière au projet gouvernemental au Parlement. Les déclarations à l'emporte-pièce sont légion. En même temps, on assiste au retour en force de l'esprit de faction, des chapelles, corporatismes, régionalismes et particularismes sur fond d'esprit de clocher. Les vieux démons des scissions, rejets et ostracismes reprennent du service. La justice est dans le collimateur de tous, ou presque. Le traitement mou et timoré des affaires de milliers de terroristes et des procès emblématiques des assassinats de Lotfi Nagdh, Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, notamment, remet sur la sellette la question cruciale de l'indépendance plus ou moins effective de la justice. Et le débat n'est pas près de s'épuiser entre les tenants du pour et ceux du contre. Pourtant, cela refait irruption au moment même où les premières auditions publiques de la justice transitionnelle se tiennent dans nos murs. Et à la veille d'une cruciale conférence internationale des investisseurs que Tunis abritera fin novembre. Il faut se fier à l'évidence. Le climat de confiance fait défaut. L'atmosphère générale est plutôt crispée et frileuse. Le jeu d'alliances et de contre-alliances est très pernicieux. Il y a comme une espèce de dépression généralisée. Le Tunisien lambda étouffe. Il n'en peut plus guère. Et pourtant, les officiels se taisent. Hormis les partis, leurs communiqués récurrents et les déclarations de leurs principaux ténors, les autorités se murent dans un mutisme somme toute mal à propos et contreproductif. Le vaisseau Tunisie va mal. On croyait volontiers à la nef de la liberté. Le spectre de la nef des fous se profile.