Chercheuse, doctorante, universitaire et écrivaine, déjà auteure de «Ulysse et les délices de Djerba» et «Elissa Didon reine de Carthage» (entre autres), Alia Bournaz Baccar vient de publier chez Arabesque «Sophonisbe, princesse carthaginoise et reine de Numidie». À cette occasion elle nous a accordé cet entretien. Pourquoi écrire sur «Sophonisbe» aujourd'hui et en quoi cette princesse est-elle actuelle? L'idée d'écrire sur Sophonisbe m'est venue lorsque j'ai constaté la chape de plomb qui recouvre cette princesse carthaginoise ! C'est une héroïne historique qui est très peu connue dans son propre pays. En dehors des spécialistes, son nom est toujours suivi par un silence interrogatif lorsque vous le prononcez. En Tunisie, seuls quelques rares ouvrages lui ont été dédiés alors qu'à l'étranger elle a inspiré autant de romanciers, dramaturges, poètes que d'artistes peintres, musiciens, cinéastes....J'ai pensé qu'aujourd'hui où je sens que notre jeunesse est désorientée, il serait bon de lui rappeler ses racines et les héros qui ont marqué l'Histoire trois fois millénaire de son pays. C'est un encrage, à mon avis, des plus bénéfiques pour notre jeunesse, d'autant plus qu'on retrouve en cette princesse les critères de la tunisianité, à savoir le lien avec un passé grandiose, l'amour de la patrie, le courage, le don de soi, le sens de l'éthique et de l'honneur, la finesse d'esprit, bref ce qui fait la spécificité de la personnalité tunisienne, du moins en partie. Dans chacun de vos livres, la femme tunisienne semble avoir un rôle majeur dans l'Histoire de ce pays Oui, en effet, c'est un sujet qui me tient à cœur et une étude complète sur les femmes illustres de Tunisie de l'Antiquité à l'époque contemporaine doit être envisagée. Nos héroïnes sont les grandes oubliées de notre Histoire. De nos jours, on parle peu de celles qui appartiennent à un passé lointain ou même proche et qui se sont estompées dans la mémoire collective. Pourtant, ces femmes ont marqué leur époque soit en prenant les armes, soit en léguant une œuvre. Bien d'autres aussi sont restées dans l'ombre. C'est le cas des militantes qui ont sacrifié leur vie pour libérer leur pays ou encore des pionnières dans le domaine médical et pédagogique. Leurs faits et gestes n'ont jamais été intégrés dans les cours scolaires d'Histoire. Elles peuvent servir de modèles bénéfiques et donner à réfléchir à notre jeunesse qui gagnera plus d'assurance et d'espoir. Il y a vraiment l'embarras du choix et de la matière pour réaliser des volumes. J'ai modestement contribué, pour ma part, à cet aspect en publiant sur Elissa-Didon, Sophonisbe, Maherzia Bornaz, Zobeïda Amira, Mongia Mabrouk, pionnières dans l'éducation et l'émancipation de la Tunisienne, sur la militante Rafiâ Bornaz, j'ai préfacé le livre de Najet Fakhfakh «La Liberté en héritage»... mais il reste encore tant à faire ! D'aucuns pensent que, malgré le rôle très important que les figures féminines emblématiques ont joué dans l'Histoire, la femme tunisienne actuelle reste toujours fragile face aux différents courants qui risquent de lui faire perde tous ses acquis. Qu'en pensez- vous ? Oui, c'est vrai, c'est un constat qu'il faut, hélas, avouer. Je suis préoccupée et inquiète face à la maltraitance que subit la gent féminine au lendemain de notre révolution. En ce début du XXIe siècle où la technologie de pointe progresse à une allure vertigineuse, à l'ère des sciences où les découvertes se bousculent pour le bien de l'humanité, la matière grise de ces messieurs est phagocytée par une idée fixe : ramener la femme à sa condition moyenâgeuse ! Toute leur énergie est bloquée pour pourchasser la femme qui est menacée, prise à partie, oppressée, brimée. Bref, nous assistons à la mise à mort de la femme libre, cultivée, équilibrée, épanouie. Elle dérange et on fait tout pour lui couper les ailes. Même la petite fille dérange. Pourquoi lui vole-t-on son enfance à l'heure où elle doit sauter à la corde et jouer à la poupée ? On exploite sa naïveté et on l'affuble du hijab. C'est une véritable gangrène qui ronge le pays. Mais j'ai confiance en la Tunisienne. Depuis l'antiquité la plus lointaine, combative, elle a toujours montré ses multiples capacités et marqué l'Histoire de la Tunisie. Pour obtenir l'indépendance de leur pays, les femmes ont sacrifié leur vie et leur famille tout en restant dans l'ombre. Elles se sont ensuite investies dans le combat pour leur émancipation et ont su prouver leurs compétences, leur sérieux, leur sagesse, leur sens des responsabilités et des gestions, tout en ne négligeant pas leurs rôles de mères et d'épouses. Elles ont porté haut le nom de leur pays dans tous les domaines : savoir, arts et culture, sports... En ces jours où on veut l'ensevelir sous un linceul noir, la fresque féminine qu'offre la Tunisie devrait être enseignée dans les manuels scolaires pour que nul n'oublie. D'où ma modeste contribution par ce conte sur Sophonisbe. Quelle place peut avoir le conte aujourd'hui auprès de nos jeunes, confrontés aux diktats de l'image et de l'internet ? Là aussi, il faut reconnaître le recul de la lecture face à la recrudescence de l'audiovisuel, comme d'ailleurs partout dans le monde. C'est une forme d'éducation qui inculquerait à l'enfant l'amour de la lecture, en créant des moments de complicité où l'un des parents lui lirait des passages chaque soir avant de dormir ou à d'autres moments perdus. La lecture deviendrait alors une habitude incontournable et une évasion. Les contes doivent plaire et instruire car ils enrichissent les connaissances du jeune lecteur en lui faisant découvrir d'autres cieux, d'autres époques, d'autres héros, en élargissant ses horizons et en développant ses facultés. C'est, du moins, ce que je recherche en écrivant mes contes pour la jeunesse. Les deux volets précédents «Ulysse et les délices de Djerba» et «Elissa Didon reine de Carthage» vulgarisent une Tunisie antique pour les jeunes. Reconstruire tout un univers historique ne doit pas être de tout repos... Je me suis mise à vulgariser ces deux contes qui ont eu un succès fulgurant, avant de me focaliser sur «Sophonisbe». Et ces textes me demandent énormément de travail: une recherche très approfondie et de la documentation acharnée. Quand on se fixe le but de faire revivre des personnages historiques qui ont réellement existé, on se doit d'être très exigeant quant aux informations récoltées qu'on s'apprête à re-véhiculer. On se déplace sur des sites historiques, on se renseigne sur l'architecture d'antan... Ce genre de «contes» raconte des personnages et une époque historique très lointaine, qu'on essaye de vulgariser et d'interpréter. Et c'est là que réside la difficulté. Il ne s'agit pas d'un roman où on laisse notre imaginaire planer. Quand on a une espèce de «balise» que forment l'histoire, l'époque et les personnages, il faut que cela soit net et vrai. Je tiens absolument à ce que les jeunes s'instruisent sur leur passé. Qu'on les éclaire sur 3000 ans d'histoire ! D'où l'emploi de ces illustrations attrayantes de Zohra Larguèche pour une immersion assurée ... Bien sûr ! Tout comme mes autres livres, je tenais à ce que cela soit illustré. Et pour se faire, j'avais absolument envie de faire participer les jeunes. D'où ma rencontre, initialement, avec trois étudiants à la faculté des arts que j'ai chargés de me fournir les illustrations historiques, mais peine perdue, ils n'ont rien pu faire. Ils n'ont cessé d'esquisser des illustrations qui n'ont rien à voir avec l'Antiquité. Leur travail a montré, hélas, que de nos jours, la jeunesse souffre d'une carence culturelle très profonde. Finalement, je me suis tournée vers Zohra Larguèche, artiste peintre confirmée de ma génération et également enseignante, qui s'est chargée de tout faire au bout d'un mois. Mon éditeur, qui prend en compte l'avis de l'auteur, a tout finalisé après et le résultat est à la hauteur de mes attentes et devrait plaire.