Leïla Sebbar se lance dans une antithèse systématique de l'Orient mystérieux et quasi spirituel d'antan pour lui opposer une nouvelle identité liée, non plus à la vie et à l'aventure, mais à la mort et au culte des extrémismes dévastateurs où ce sont les plus jeunes qui payent le plus clair du tribut. Un lourd tribut à payer à ce nouveau culte de la mort alors que Leïla Sebbar détaille une terrible antithèse à tous ces orientalistes qui, pendant des siècles, ont chanté les foisonnements d'un Orient plein de mystère, ouvert sur des aventures initiatiques étonnantes... Des voix leur chuchotent dans la tête, elles leur disent de se dépêcher, de prendre tout le monde de court... Des extrémistes dans un musée, à la recherche d'une toile à lacérer. Le tableau est de Delacroix ; les femmes d'Alger. C'est de là que commence l'argumentaire de l'auteur, basé sur des événements devenus planétairement médiatiques, avec des sujets devenus de vrais archétypes que tout le monde reconnaîtra. Elle s'enferme avec son ordinateur... Kahéna se voile de noir... Elle était bonne élève, vouée à devenir médecin. Soudain elle s'enferme en permanence avec son ordinateur. Fatalement, elle finit par partir en Syrie rejoindre Daesh. Plus tard, son mari fait partie des kamikazes du Bataclan. Il lui laisse un fils. La mère de Kahéna ne parvient pas à comprendre comment tout cela s'est goupillé sans qu'elle se rende compte du sérieux de la transformation de sa fille unique. Tous ses autres enfants sont des garçons et les aînés se sont déjà radicalisés sous ses yeux sans qu'elle puisse rien faire. Mais ce qui dévaste le plus la mère de Kahéna, c'est la perception de l'actualité par ses plus jeunes enfants quand elle découvre que, si jeunes, ils sont les admirateurs des suicidaires de Daesh. L'auteur nous expose d'une manière assez neutre, dépassionnée, comme quelqu'un qui lirait des infos à la radio ou à la télé, de sordides destins croisés qui finissent de la manière dont tombent les dernières nouvelles dans les médias. Ce n'est plus aussi incroyable que par le passé. Les effets de l'extrémisme se banalisent par leur multiplication, n'est-ce pas ? D'autres hommes viendront, tu devras obéir... Leïla Sebbar s'attarde un peu sur deux destins. Elle nous glisse entre les lignes que ces deux-là auraient pu vivre une histoire d'amour, même si leurs deux parcours sont aussi éloignés que peuvent l'être deux inconnus pris au hasard. Mais ce n'est que pour un moment, et l'auteur nous entraîne derrière eux alors qu'ils divergent vers des fins différentes à première vue, mais c'est la convergence de toute une génération vers le but de la mort en entraînant le plus possible de victimes. Lui, à Paris, il assassine des juifs, la police tire, il meurt là, tout de suite. Elle, elle mourra plus tard. Pour l'heure, elle est à Istanbul, la portière des grands passages vers les méandres syriens, elle présente son passeport français car les nationalités ne semblent plus vouloir rien dire dans cet embrigadement que subissent des jeunes (et des moins jeunes d'ailleurs) de toutes les nations, sur la voie d'une nouvelle doctrine pour laquelle la violence est la meilleure réponse aux chocs des civilisations. L'auteur ne lésine pas sur les images. Elle nous fait voir cette toute jeune fille qui n'a que quatorze ans, mais qui implore des interlocuteurs quasi vénérés : «Je veux aller en Syrie avec vous. Je veux me battre là-bas, sous vos ordres, pour le nouveau califat. Votre Dieu est mon Dieu, votre idéal est mon idéal. Vous êtes mon maître». Elle se réveille dans une chambre d'hôtel, sur un lit plein de taches de sang. Elle ne comprend pas. Un homme venu là, avec des yeux de désir, lui explique: «Personne ne viendra, l'hôtel est vide, tu es séquestrée pour longtemps, d'autres hommes viendront, tu devras obéir...». Encore une autre, pour la route. Encore une histoire de mirages, de paradis perdu. Elle a fugué. L'auteur ne dit pas de prénom, comme pour dire que c'est générique, que beaucoup ont fait le même parcours. Pendant des jours, elle attend, un ordinateur pour seul compagnon : «J'ai discuté sans la voix avec des fantômes, j'ai appris Dieu et notre prophète, je suis devenue une savante, j'ai compris que je devais me purifier pour aller là-bas à la rencontre du vrai Dieu et de l'époux idéal...». L'Orient est rouge, 138p., mouture française Par Leïla Sebbar Editions Elyzad, 2017 Disponible à la librairie Al Kitab, Tunis.