Khemaïs Laâbidi, les sportifs vous ont perdu de vue depuis un certain temps... Je rentre en fait de Côte d'Ivoire où je travaillait dans un Centre de formation du nom de Club Africain de la Côte d'Ivoire (CACI) mis sur pied par le Tunisien Mohamed Ali Hachicha sur une superficie de 18 hectares. Il a nécessité des dépenses de l'ordre de 4 millions de dinars, dont un million de dinars pour la seule enceinte blindée. En 2008, la société Soroubat a remporté ce marché. La Côte d'Ivoire reste un pays vierge où il reste de très belles opportunités économiques. Les autorités tunisiennes ne s'y sont pas trompées en décrétant un vol aérien quotidien pour Abidjan. Mohamed Ali Hachicha a six projets dans ce pays. Quelle était votre fonction dans ce centre ? J'étais directeur technique de la formation et de la préformation. Il faut savoir que ce centre possède un club qui évolue en division 1 ivoirienne: FC San Pedro, du nom de la troisième ville du pays où se trouve le plus grand port ivoirien. Que retenez-vous de votre expérience ivoirienne ? Surtout le travail qui se fait au niveau des jeunes. Il y a là-bas près de 350 centres de formation dont certains fonctionnent avec des moyens rudimentaires, sur terre battue. Grâce à cet investissement, ce pays est capable d'exporter chaque année 30 à 40 joueurs en Europe. Malgré les moyens limités avec lesquels ils sont formés, les joueurs parviennent à réaliser leur rêve: partir sur le Vieux continent. Vous n'avez pas hésité à rentrer en Tunisie... Oui, depuis un an et demi, j'étais en Côte d'Ivoire. J'ai des enfants qui poursuivent des études. Même du point de vue financier, ce n'était pas vraiment le genre d'offre pour lequel vous laisserez tout tomber. Néanmoins, si c'était un autre club qui m'avait sollicité, je n'aurais sans doute pas accepté. Il me fallait être reconnaissant à l'endroit du club où j'ai joué, qui m'a fait connaître et fait un nom. C'est grâce à la Chabiba que je suis devenu «flen flani». Pourtant, vous n'êtes pas sans savoir que le challenge est fort risqué ? Si j'étais au début de ma carrière, j'aurais peut-être eu peur et renoncé au challenge. Mais à présent, ma carrière est faite, je sais que ce ne sera pas dur pour moi. Il ne faut rien lâcher. Dans le foot, tout est possible. En tant qu'entraîneur, je dois donner l'exemple. Quelle évaluation avez-vous fait de la situation à la JSK après seulement une semaine de travail ? Je suis vite arrivé à la conclusion que la JSK ne mérite pas la relégation. Je crois qu'avec la conjugaison des efforts de tous, on peut renverser la situation. Il ne s'agit pas au vrai du seul bureau directeur qui doit s'impliquer à fond, mais tout le monde à Kairouan. Dans une ville comme Kairouan, il ne nous est resté que le football. Il n' y a plus rien d'autre comme occupation, ou symbole vivant. Pourquoi la Chabiba en est-elle arrivée là ? Les luttes intestines nous ont conduit au bord du précipice. Les joueurs ont de la qualité. Ils sont compétitifs, mais il faut les motiver en les payant régulièrement. Ils peuvent renverser la vapeur. Il s'agit d'un blocage psychologique davantage que technique. Il faut travailler sur cet aspect en élevant le moral des troupes. Et puis, à l'image de tous les autres clubs du pays, la JSK a manqué ces dernières années de continuité: chaque année, un ou deux nouveaux coaches. Il faut conserver l'effectif sur la durée. En 1982, l'Italie a confié sa sélection à Enzo Bearzot pour le Mondial espagnol. En six mois, il a réussi à mettre en place une équipe invincible. La recette est simple: il a constitué un noyau dur autour des joueurs de la Juventus (sept ou huit). La continuité et l'entente furent, de la sorte, garanties. Soit tout à fait à l'opposé de ce qui se fait dans notre football ? Malheureusement, chez nous, le professionnalisme, c'est cela: chaque année, onze nouveaux joueurs. Respecte-t-on toujours le cahier des charges du professionnalisme qui impose de posséder son propre centre de formation et de réserver aux jeunes un pourcentage de 20% sur le budget total du club ? Vous savez, la force du Barça, c'est de compter dans son effectif pas moins de six joueurs sortis de son centre de formation. Y compris la vedette planétaire Lionel Messi. Quel objectif vous a été assigné par vos dirigeants ? Le maintien, et rien d'autre. Il nous faut gagner les deux matches qui nous restent afin d'échapper à la relégation directe et pouvoir accéder au play-out. En cas de maintien, allez-vous rester à Kairouan ? Il est prématuré d'en parler. Ce sujet n'a pas été évoqué avec le bureau de Mourad Belakhal. Toujours est-il que cela dépend de l'environnement. Il y a des gens avec lesquels vous pouvez être d'accord, et d'autres non. Dans notre football, chaque nouvelle saison, onze nouveaux joueurs débarquent, on fait table rase du passé. Aucune stratégie à moyen terme. Le projet sportif est flou. Que manque-t-il à la JSK aujourd'hui ? Nous avons besoin de davantage d'agressivité devant les buts adverses. Nous manquons de rigueur et de réalisme. Mais avec le temps, on peut progresser car l'effectif est bon. A l'instar de presque la totalité des clubs, la Chabiba souffre cruellement d'un manque de moyens financiers. Croyez-vous que le professionnalisme est viable dans un tel contexte ? En fait, le régime professionnel a changé beaucoup de choses. Le contexte économique du pays ne tolère pas l'instauration d'un tel régime fort exigeant. Nous avons dû avancer et nous adapter tant bien que mal depuis le projet pro installé par Raouf Najjar, ancien président de la fédération. Aujourd'hui, seuls quatre clubs peuvent supporter les charges du professionnalisme. L'équation est simple: qui dit professionnalisme dit argent. Quand vous avez de l'argent, vous pouvez bâtir un club très fort. Regardez ce qu'a réussi à faire Silvio Berlusconi quand il avait pris en main le Milan AC, en 1986. En recrutant Gullit, Van Basten et Rijkaard, il a dominé l'Italie et l'Europe. Depuis son retrait, on n'entend plus parler de Milan. Pourquoi la JSK a-t-elle perdu sa vocation de club formateur ? Cela fait cinq ans que le centre de formation est fermé. Jadis, nous parvenions à vendre chaque saison deux ou trois grands joueurs: Dhaouadi, Yaâkoubi, Chermiti...Heureusement qu'il y a maintenant des gens passionnés qui sont très motivés pour permettre la réouverture du centre. Ils sont prêts à dépenser de leur propre argent afin de rétablir les traditions de la formation. Ils savent que Kairouan grouille de grands jeunes talents. La pépinière existe et la détection ne pose aucun problème. Il suffit de la réouverture du centre et de sa prise en charge rigoureuse, et les vertus de la formation seront rétablies. Rien ne remplace un centre de formation. Pas même les académies. La JSK en possède une, mais cela reste insuffisant. La préformation commence à l'âge de six ans, et ce volet est actuellement assuré uniquement par l'académie. Revenons à un moment-clé de votre carrière de joueur. Etes-vous d'accord avec tous ceux qui disent que le but inscrit par le Nigerian Odye contre son camp en déviant votre centrage a été le tournant des éliminatoires du Mondial 1978 ? Si le Nigeria l'avait emporté ce jour-là, il serait sans doute allé au Mondial à notre place, et il n'y aurait plus eu d'épopée argentine. Le stade Surulere de Lagos était plein à craquer depuis le matin avec 80 mille âmes. Il fallait le faire: battre le Nigeria chez lui, dans une ambiance propre aux grands stades de l'Afrique sub-saharienne. Nous étions partis là-bas sans Temime et Agrebi. Attouga a été héroique. Je crois qu'Odiye a été trompé par mon centre parce qu'il était enveloppé, avec beaucoup d'effet.Il a mal calculé la trajectoire du centre, pensant avoir affaire à un centre tendu. En plongeant, il a mis le ballon pleine lucarne. Un attaquant n'aurait pas réussi cette «prouesse». Enfin, votre message à l'adresse des supporters aghlabides ? Le club a besoin d'eux dans cette phase critique. Il faut passer outre les querelles et les divisions pour instaurer l'union sacrée afin d'éviter d'avoir des regrets par la suite. Il n'est pas encore trop tard, on peut remédier à la situation.