Roland Jahn est commissaire fédéral pour les archives du ministère de la Sûreté d'Etat de l'ex-République démocratique allemande. Il effectue ces jours-ci une visite en Tunisie pour partager l'expérience de traitement de la mémoire acquise par l'Allemagne à travers sa Commission fédérale. Il était hier au siège de l'IVD pour une longue séance d'échange, qui a abouti à une conférence de presse « J'ai été élu par le Parlement allemand à la tête de la Commission fédérale pour les archives qui existe depuis 25 ans. Celui qui m'a précédé dans ce poste est l'actuel président de la République de l'Etat fédéral », c'est en ces termes que Roland Jahn s'est présenté aux journalistes. Le traitement du passé a pour objectifs majeurs, selon Roland Jahn : « La création d'une conscience pour la démocratie et la mise en place d'une pédagogie fondée sur les principes des droits de l'Homme ». L'expérience de préservation de la mémoire nationale acquise par l'Allemagne, en particulier à travers sa Commission fédérale pour les archives du ministère de la Sûreté d'Etat de l'ex-RDA (la Stasi), a démontré que l'accès du public, des journalistes et des artistes aux documents de la police politique avait contribué significativement à révéler la vérité, à l'analyser et à la communiquer aux citoyens. « Ces archives sont à la disposition du peuple. Ils sont une partie intégrante de sa mémoire », souligne Roland Jahn. « Mieux on comprend une dictature, mieux on peut vivre une démocratie », assure-t-il. 15.000 sacs d'archives en miettes La Commission fédérale détient 111 kilomètres de dossiers provenant des tiroirs de la police secrète. Bien qu'en vingt-cinq ans de labeur non-stop tout n'ait pas été totalement traité, les documents permettent de déterminer les responsabilités des criminels et des bourreaux et de valider les témoignages des victimes pour pouvoir leur rendre justice. « Certes, des membres de la police politique ont détruit des dossiers au moment de la chute du mur de Berlin et nous avons d'ailleurs en notre possession 15.000 sacs d'archives en miettes. Cela n'empêche pas que nos archives soient amplement crédibles et suffisantes pour déterminer la vérité sur l'ancienne dictature. Elles représentent une base pour nos recherches scientifiques afin d'éclaircir les zones d'ombre du passé. Car ces documents conçus pour être secrets étaient des outils de travail fiables de la police politique », analyse l'expert. Aujourd'hui, des ateliers publics sont organisés pour expliquer aux jeunes notamment comment procédait la police politique « afin de prémunir les gens du retour des anciennes pratiques et consolider la culture des droits de l'Homme », note Roland Jahn. Des citoyens ont sauvé des documents d'une perte certaine Sihem Ben Sedrine, la présidente de l'Instance vérité et dignité, a par la suite présenté l'état des lieux de l'accès de son instance aux archives de la police politique tunisienne. Ce processus fait partie des difficultés auxquelles fait face l'IVD pour recouper les témoignages des victimes, reconnaît Sihem Ben Sedrine, qui ajoute : « Lorsque des postes de police ont été incendiés au moment de la révolution, des citoyens ont réussi à sauver des quantités de dossiers de la police. Ils nous les ont remis. Résultat : pour certaines régions, nous disposons de toutes les archives de la police politique, y compris des cahiers de renseignement. Ainsi que de tous les détails sur un système basé sur la peur, l'intimidation, le harcèlement et surtout la ‘‘mouchardise'' organisée ». Rappelons que l'IVD, dès son installation en juin 2014, a mis en place une commission spécifique « de préservation de la mémoire nationale » chargée d'élaborer une stratégie et un plan d'action de préservation de la mémoire nationale. Au terme de son mandat, l'Instance devra recommander la prise de toutes les mesures qu'elle jugera nécessaires pour préserver la mémoire nationale au sujet des victimes de violations graves des droits de l'Homme. « Aux historiens de continuer le travail... », a conclu Sihem Ben Sedrine.