Les visites guidées, assorties d'activités ludiques à but pédagogique aux borjs, anciennes habitations estivales des Sfaxiens, dans les vergers (Jeneins), constituent la démarche idoine pour établir un lien solide entre les enfants et leur patrimoine architectural de façon à faire d'eux les dépositaires d'une mission noble, celle d'œuvrer à réhabiliter ce patrimoine et d'en devenir de fervents défenseurs. C'est dans cette optique que les élèves de deux écoles primaires, en l'occurrence El Bacha et Jawhara, ont participé dimanche dernier à une excursion, organisée par l'association des Amis des arts plastiques, à quatre borjs, lieux emblématiques de mémoire dans la ville. La visite s'inscrit dans le cadre de l'action «SOS Borjs en péril, Kids», réplique de celle menée à l'intention des adultes, dans le but de sauver ces demeures anciennes menacées d'extinction. Il faut dire que, naguère encore, ces habitations fortifiées remontant pour les plus anciennes au XVe siècle étaient vouées à l'oubli et à l'indifférence générale, perçues comme signes d'un archaïsme révolu. Il a fallu un élan de motivation sincère chez les volontaires de l'association des Amis des arts plastiques pour susciter l'intérêt de la société civile, interpeller les consciences et fédérer les volontés dans le but de leur épargner le sort de la destruction qui les guette. Après avoir été accueillis à Borj Kallel, par un orchestre d'une trentaine de percussionnistes, tous élèves au Conservatoire de Sfax, venus bénévolement saluer les excursionnistes, ces derniers, dont nous avons suivi le pas, ont commencé leur parcours par la visite de Borj Ayadi, une demeure que rien ne distingue extra-muros des maisons avoisinantes mais dont l'intérieur surprend par son aspect rutilant, avec des murs ornés de bandes de céramiques garnies d'ornements mauresques d'une facture admirable qui n'a d'égale que son élégance sublime. Pour compléter le décor et faire authentique, des « mergoums » couvraient le parterre de marbre. Rien de tel, en effet, comme cadre pour tremper dans l'ambiance du passé et n'eussent été les habits des présents, la transposition mentale aurait été parfaite. C'est que la création de l'illusion était préméditée dans un souci pédagogique évident. Aïda Zahaf, présidente de l'association, souligne à ce propos : « Notre objectif est éminemment pédagogique. Mais hors des contraintes propres à la salle de classe. Les enfants viennent apprendre dans la gaieté et la décontraction. Tout en s'amusant, ils s'approprient, inconsciemment, tout un éventail de vocabulaire lié au thème du borj et à ses composantes architecturales ainsi qu'aux traditions culinaires, vestimentaires et autres.» Raja Charfi, présidente du comité du patrimoine au sein de l'association, confirme : « Les jeux éducatifs, le conte, la manipulation de certains objets constituent autant de démarches ludiques tout aussi divertissantes qu'instructives. Ils sont de nature à favoriser l'immersion recherchée dans l'ambiance et la culture des ancêtres. Notre dessein, celui de faciliter le retour aux sources, a pour finalité d'établir un lien solide entre les enfants et leur patrimoine culturel en général et architectural en particulier » Comme premier support ludico-didactique, les enfants ont suivi avec l'attention juvénile propre à leur âge la prestation du marionnettiste Mohamed Ali Ben Hammouda. L'artiste, professeur de théâtre de son état, leur a joué une scène instructive dont la moralité est d'inciter l'humanité à la préservation des éléments naturels vitaux pour ne pas courir à sa perte, un message admirablement décodé par les charmants petits bouts de chou qui ont eu droit par la suite à une explication technique au sujet des marionnettes, poupées qu'ils ont pris beaucoup de plaisir à faire danser, jouant à leur tour aux marionnettistes, sous l'œil bienveillant des quelques adultes présents. Prenant place en face de son public studieux qui l'écouta tout oreilles dans un silence religieux, Raouya, la conteuse, en tenue traditionnelle, lui a raconté, dans un dialecte à l'ancienne, une histoire truffée de vocables désignant les différentes parties d'un borj ou renvoyant au mode de vie traditionnel des Sfaxiens. Captivant, le récit plongeait les auditeurs dans une ambiance insolite avec des protagonistes aux mœurs un peu trop étranges pour ces enfants éduqués à l'égalité des sexes et imbus du respect dû à la femme. Il n'en demeure pas moins que l'objectif pédagogique et didactique était atteint grâce au talent de la conteuse. L'activité d'enrichissement lexical va également se poursuivre au Borj de Mohamed Ben Saïd Kammoun où une variante d'un jeu de piste était destinée à faciliter le repérage et l'identification des composantes de la bâtisse imposante comptant pas moins de seize pièces. Le jeu, inventé par Nahed Beirouti, était déjà imprimé en couleur dans un livret distribué aux écoliers, guidés, au cours de leur découverte, par toute une troupe d'hôtesses bénévoles, dont une majorité d'adolescentes, en tenue distinctive. Fruit de la prise de conscience impulsée par l'action « SOS borjs en péril », le borj de Mohamed Ben Saïd Kammoun, reçu en héritage par son petit-fils, Abdelmajid, médecin de son état, est en passe de retrouver son aspect majestueux, affecté pour le moment par les signes évidents de vétusté, grâce aux travaux de rénovation, en cours, de son premier étage, en attendant celle du rez-de-chaussée. Les excursionnistes ont eu l'occasion, en fin de parcours, de s'extasier sur la beauté du troisième borj, celui des Kammoun. Un vrai chef-d'œuvre de restauration. En maîtresse de maison comblée de son œuvre de réhabilitation, Radhia Kammoun, faisant à ses hôtes les honneurs du logis, raconte l'aventure exaltante de la restauration de ce patrimoine trouvé dans un état piteux de délabrement qui le destinait à la ruine. Il faut dire qu'il fallait être profondément attaché à ses racines et vouer une infinie passion aux borjs pour quitter sa villa moderne, acquérir « une ruine », comme se plaît Sami, un des enfants de la famille, installé en France, à le qualifier, et «courir un aussi gros risque stratégique et financier ». Mais le résultat est là, réjouissant à souhait : entièrement rénovée, voire métamorphosée, la demeure, dont un pavillon date de quatre cents ans, a pris un bain de jouvence salutaire. Mieux, rehaussée par une décoration d'un goût si raffiné avec le souci constant de conserver les attributs de l'authenticité en plus d'une légère touche de modernité, juste ce qu'il faut pour ne pas altérer son cachet traditionnel, la bâtisse est d'un superbe, d'une magnificence et d'une somptuosité remarquables. «SOS borj en péril, Kids» aura ainsi commencé sous d'heureux auspices, tant l'initiative est marquante pour l'esprit des enfants, réceptifs de nature aux messages communiqués à travers ce bain culturel. De surprise en surprise, les écoliers excursionnistes en visite aux borjs de Sfax n'ont pas eu le temps, en effet, de se rendre compte que dans leurs cœurs vient de germer un attachement nouveau au patrimoine architectural de la ville. Dans le sillage de leurs aînés pris d'engouement pour les borjs, ces écoliers ne manqueront pas de raconter leur agréable aventure et leur immersion instructive dans le passé, à leurs proches et à leurs camarades à l'école, jouant inconsciemment un rôle bénéfique de relais. Ainsi, de proche en proche, l'action pédagogique d'imprégnation, de sensibilisation et d'initiation finira par semer la graine de la passion chez les enfants et donner les fruits escomptés. En effet, la découverte et la familiarisation avec les composantes du patrimoine architectural par les nouvelles générations conduiront nécessairement à son appropriation mentale. De quoi espérer voir ces futurs adultes devenir des défenseurs inconditionnels de sa sauvegarde.