Le FMI ne cache plus ses réserves à l'égard de l'évolution tunisienne. Un communiqué publié mardi 7 février au soir ne fait plus dans la dentelle: les défis macroéconomiques sont qualifiés de «redoutables» Le FMI se départit progressivement de ses précautions de langage dans sa communication sur la situation économique tunisienne. Ses consultations dans le cadre de la surveillance de la stabilité économique des pays membres et dans le cadre du suivi de l'application de l'accord de mai 2016 viennent de donner lieu à un communiqué digne du plus grand intérêt. Pour dire les choses clairement, le FMI ne cache plus ses réserves à l'égard de l'évolution tunisienne. Un communiqué publié mardi 7 février au soir ne fait plus dans la dentelle : les défis macroéconomiques sont qualifiés de « redoutables », l'endettement de l'Etat galope pour dépasser 60% du PIB et « la masse salariale de la fonction publique en pourcentage du PIB est parmi les plus élevées au monde. » Lorsque le FMI écrit que « le déficit des transactions courantes reste considérable, » on est presque soulagé. Le qualificatif considérable est moins lourd que « redoutable ». Mais un répit de courte durée, le tableau brossé dans le reste de la communication est on ne peut plus alarmant. Et, comme un malheur ne vient jamais seul, l'agence Fitch Ratings vient de dégrader, vendredi dernier, la note souveraine de la Tunisie. Le plus surprenant dans tout cela, le silence radio des officiels. Aucune réaction, aucune communication de presse, orale, écrite, niet, et ce jusqu'à hier, l'heure du bouclage. Pendant ce temps, La Presse a interrogé les spécialistes pour décrypter pour nous l'impact de ces deux actualités économiques majeures. Dégradation de la note tunisienne de BB- à B+ L'économiste Hakim Ben Hammouda a été d'abord interrogé sur la baisse de la note souveraine, il nous livre ses impressions : «L'agence Fitch Ratings vient de dégrader la note tunisienne de BB- à B+. Cette dégradation vient rompre un répit qui a été entamé en 2014 après une descente aux enfers de la note souveraine depuis la révolution. Il enchaîne : « Cette dégradation soulève deux dangers : le premier est lié au risque de voir les deux autres agences suivre leur consœur Fitch, ce qui pourrait nous ramener à la dynamique baissière des années 2011-2013 ». Le second danger, analyse encore l'ancien ministre de l'Economie et des Finances, est que cette dégradation arrive au plus mauvais moment, soit quelques jours avant une sortie importante sur les marchés et aura par conséquent des effets négatifs non seulement sur le coût de cette opération mais aussi sur les volumes, prévient-il. Les raisons de cette descente aux enfers ? Quels sont d'après vous les raisons de cette dégradation, question de La Presse : « Je tiens à souligner que ce rapport est assez dur et ne prend pas assez en considération les progrès que nous avons réalisés depuis quelques mois, dont notamment les réussites dans la lutte contre le terrorisme et la réussite de la conférence 2020, regrette Hakim Ben Hamouda. Même si le rapport de Fitch, estime-t-il, reconnaît quelques améliorations avec notamment l'adoption du Code des investissements ou la loi bancaire et la loi sur la Banque centrale. « Le rapport souligne également les difficultés du secteur touristique et notre difficulté à rendre la destination Tunisie plus alléchante ». Mais, argumente-t-il, le rapport de Fitch met l'accent sur la détérioration de la situation économique pour expliquer la dégradation de notre note et la montée des risques. L'économiste considère encore que ce rapport souligne particulièrement le creusement des grands déficits, la faiblesse de la croissance et la crise grave des finances publiques, et met en exergue aussi la faiblesse de l'investissement et les difficultés de sa reprise. Il développe : « Cette situation économique, la panne de notre transition économique et notre incapacité à retrouver un nouveau chemin de croissance forte sont au cœur de la dégradation de notre note et des frustrations et de l'impatience grandissante de nos partenaires. » La masse salariale dans le budget, cheval de bataille du FMI Et qu'en est-il du communiqué du FMI, le ton employé et le contenu ? Je crois que la tonalité du rapport du FMI a été plutôt modérée et même positive. Mais, la modération du ton s'est accompagnée d'une fermeté dans l'analyse et l'appréciation de la situation économique, estime M. Ben Hamouda. Une modération qui reste toutefois de façade, et voilà pourquoi : « La modération du ton s'est accompagné d'une fermeté dans l'analyse. De plus, pour ce qui est de la masse salariale dans le budget qui constitue le cheval de bataille du FMI depuis quelques années, le dernier rapport met l'accent sur les mêmes difficultés mentionnées par le rapport Fitch. La première concerne la crise profonde des finances publiques et qui demande des réponses et un accroissement rapide des recettes et une gestion plus serrée des dépenses. Le second défi est celui de la reprise de la croissance et de l'investissement. » Dans une approche comparative, l'économiste considère que ce serait l'une des premières fois dans l'histoire de la Tunisie indépendante où la croissance est aussi faible sur deux années consécutives 2015 et 2016, et il prévient qu'on ne peut pas se permettre une nouvelle année avec une croissance aussi « fragile et faible ». Nous avons besoin de croissance, martèle l'économiste, car elle génère de l'emploi. Nous avons besoin de croissance car elle restaure l'espoir et la confiance dans l'avenir. Et il ajoute : « Le retour de la croissance exige une reprise franche des investissements nationaux comme des investissements étrangers. En dépit de l'amélioration dans l'environnement des affaires, de l'adoption du nouveau code, l'investissement reste fragile et les investisseurs font encore preuve d'attentisme », conclut l'expert. Une nécessaire solidarité Radhi Meddeb, tout en relevant lui aussi le champ lexical de la déclaration du FMI, estime que de la visite de la délégation du FMI découle « d'abord que la revue du programme, suspendue en novembre dernier, reste ouverte, ensuite qu'il ne découlera de cette visite ni rapport au Conseil d'administration du FMI ni encore moins déblocage de la deuxième tranche en faveur de la Tunisie ». Dans une formule elliptique, détaille l'expert, le FMI énonce les urgences de l'heure : « protéger la santé des finances publiques, améliorer la mobilisation des recettes fiscales de manière juste et efficiente, rationaliser la masse salariale du secteur public et mettre en place le mécanisme de révision des prix des carburants ». Quant aux reproches à peine voilés, ils portent sur « le mécanisme de révision des prix des carburants, l'appel à une fiscalité juste et efficiente qui laisse entendre que les réaménagements fiscaux de la dernière loi de finances ne vont pas assez dans cette direction. Les mesures adoptées dans la loi de finances 2017 sont insuffisantes. Elles ne réduiront que de manière modeste le déficit budgétaire ». Selon le spécialiste, il est urgent que l'ensemble de la classe politique, des partenaires sociaux, de la société civile et plus généralement toutes les parties prenantes prennent conscience de la sévère dégradation de la situation économique et financière, de la nécessaire solidarité pour y faire face dans l'effort, l'inclusion, la justice et l'équité. « Nos partenaires de tous bords ont réaffirmé récemment, en marge de la conférence internationale Tunisia 2020, rappelle-t-il, leur disponibilité à nous accompagner dans notre transition économique. Il ne dépend que de nous pour que ces vœux ne restent pas pieux et se transforment, au plus vite, en projets et réalisations visibles qui changent le quotidien des populations et impulsent l'espoir d'un avenir meilleur», conclut M. Meddeb L'endettement dépasse 60% du PIB A l'issue de la précédente mission fin novembre et début décembre, le FMI avait refusé de décaisser ce qu'il avait promis comme crédits, car la Tunisie n'a pas tenu les promesses qu'elle a faites dans le cadre de l'accord de mai 2016. Il s'agissait d'un accord stand by, autrement dit un accord conditionné au respect d'un planning d'engagements. La Tunisie est clairement en retard dans son plan de réformes et d'assainissement des finances publiques. Le FMI donne régulièrement son avis sur la stabilité économique des 189 pays membres. Dans le cas des économies fragiles comme la Tunisie, un signal négatif du FMI signifie une difficulté accrue à emprunter sur le marché international. Dans le meilleur des cas, si on trouve des prêteurs, le taux d'intérêt sera extrêmement élevé. Comme l'ont fait remarquer les deux spécialistes, la Tunisie subit des dérapages budgétaires qui s'aggravent d'année en année. Le déficit budgétaire est équivalent à 6% du PIB. Ce qui signifie qu'il faut emprunter 6% de la richesse intérieure pour le combler, sans compter le paiement des intérêts des précédents emprunts. L'endettement dépasse désormais 60% du PIB, ce qui est un signal d'alarme. Le communiqué du Fonds monétaire signifie que la Tunisie doit rééquilibrer ses finances publiques pour ne plus s'endetter. Elle le fera selon des pistes indiquées implicitement : une baisse de la masse salariale dans le secteur public, une baisse des subventions sur les carburants, une baisse en gros des dépenses de l'Etat, une hausse des recettes fiscales... Le FMI insiste également sur la réforme de la sécurité sociale, « pour en garantir la viabilité », on ne saurait être plus clair, une hausse des cotisations et une baisse des prestations sont prévisibles.