Bien qu'elle soit une des priorités du gouvernement d'union nationale, la guerre anticorruption ne sera pas gagnée sans un plan d'urgence. «Si l'Etat lui consacre, chaque année, une enveloppe de 100 millions de dinars pour des financements nécessaires, l'on pourra en venir à bout. A ces fonds devrait tencore s'ajouter une répartition judicieuse au niveau de la fonction publique dont la charge budgétaire est alourdie par 700 mille fonctionnaires, avec autant d'emplois de trop, voire contre- productifs.», ainsi déclare Me Chawki Tabib, ex-bâtonnier des avocats tunisiens et président de l'Instance nationale de lutte contre la corruption (Inlucc), lors d'une conférence-débat sur ce fléau qui ronge la société et l'économie. Tenue, hier, au siège du Centre d'études sur l'islam et la démocratie (Csid), à Tunis, la manifestation s'y est bien focalisée, abordant ce phénomène sous un angle précis : « l'impunité, ses causes et ses conséquences ». Certes, l'argent est le nerf de la guerre, mais il faut, à son avis, avoir du courage et la volonté d'agir en connaissance de cause. Sur le plan législatif, le gouvernement a, quand même, marqué un point : « la toute récente adoption de la loi relative à la dénonciation de la corruption et la protection de ses dénonciateurs est un important acte de bon augure » . Un véritable coup de sirène pour crier haro sur le baudet. La chasse à « l'Etat mafieux », comme le qualifie ainsi Me Tabib, semble commencer. Aussi, la loi sur le droit d'accès à l'information est-elle un premier pas sur la bonne voie. Toutefois, l'arsenal juridique demeure encore tronqué, en attendant que les autres projets de lois tels que la déclaration sur le patrimoine et la lutte contre l'enrichissement illicite finissent par être votés, sous peu. «Que le gouvernement agisse au plus urgent.. », plaide-t-il en faveur de leur examen à un rythme accéléré pour être soumis, le plus rapidement possible, à l'ARP. A l'en croire, ce qui a été réalisé au niveau de l'opinion publique, de la société civile et des médias ne peut que rassurer sur une certaine mobilisation massive contre les lobbies corrompus. Ce sont là des forces occultes qui tirent les ficelles. Et le président de l'Inlucc de conclure en lançant un appel au gouvernement, afin de changer de tactique de guerre : « Il est temps de passer à l'action, en affûtant nos armes pour mieux nous préparer à l'offensive». Or, cela demande, selon lui, un grand chantier de modernisation touchant tous les rouages de l'administration tunisienne (douane et autres), tout en intensifiant le système de contrôle. Difficile d'en parler mieux que le président de l'Inlucc, a, d'emblée, reconnu le député représentant le parti « Afek Tounes », Karim Helali. L'homme au parcours professionnel dans la magistrature financière est revenu sur l'histoire de la corruption avant et après la révolution, comme un mal qui n'a cessé de ronger le corps de la société et pénaliser lourdement le développement économique du pays. Mais, ces dernières années, le constat est sans appel : la contrebande est à hauteur de 50% du PIB et les dossiers de la corruption se comptent par milliers. Soit plus de 1.500 affaires sont encore en instance auprès du pôle judiciaire et financier qui ne compte qu'une dizaine de juges en exercice. Sur ce point, préconise-t-il, le gouvernement ne doit pas rester les bras croisés. D'autant plus que les avoirs spoliés par Ben Ali et ses proches sont estimés à 40 milliards de dollars, une somme faramineuse dont on ne sait, jusqu'ici, le sort, indique M. Iyadh Elloumi, de l'organisation arabe de transparence et de lutte contre la corruption. Pour bien illustrer les multiples facettes du phénomène, il a tenu à donner des exemples édifiants, en l'occurrence « le ciment de Carthage », où l'ampleur de la corruption n'est plus à démontrer. Mme Yamina Zoghlami, élue du parti Ennahdha à l'ARP, a vivement dénoncé le manque de contrôle au sein de l'Etat, notamment sur des projets d'infrastructure et de logements. Pour elle, le programme du « premier logement», dans sa version initiale, fut accusé de soupçon. Et les exemples sont multiples. Ce qui l'a incitée à demander la représentativité de la société civile au sein des commissions ministérielles de suivi des projets. « L'impunité est devenue, malheureusement, une culture. Voire une spécificité typiquement tunisienne», s'indigne-t-elle, en conclusion.