Abdallah Hajri n'est plus. Il s'est éteint hier vers 14h00 à son domicile à Tunis. Un autre artiste du ballon rond s'en va sur la pointe des pieds. La nouvelle a paru quelque peu reléguée au second plan dans l'esprit de ceux qui s'accrochent à l'instant présent et aux résultats immédiats puisqu'ils n'avaient de pensée hier que pour la reprise du championnat et les enjeux stressants du play-off. Mais comment oublier tout ce qu'a donné l'ailier gauche de charme du CSS romantique des années 1960-1970, un pied gauche magique comme on n'en voit plus ? « Dans un périmètre d'un mètre carré, côté gauche, Hajri était capable de s'en sortir entre trois ou quatre joueurs adverses, de mettre deux ou trois dans le vent et de poursuivre son bonhomme de chemin », témoigne Mokhtar Dhouib, son coéquipier, que nous avons joint hier quand il était tout à sa peine d'avoir perdu plus qu'un coéquipier: « un frère, un compagnon de route. C'est un artiste au vrai sens du terme. Et puis, quelle éducation ! Quelles qualités humaines ! Je me rappelle la Coupe du Maghreb des clubs champions, en 1970 à Alger. Il a sorti un tournoi de tonnerre. Le CSS a été battu en finale par le CR Belcourt des Lalmas, Kalem, Achour... aux penalties (2-2 après prolongations, 4 tirs au but à 3). Les Algériens nous qualifièrent alors de Real Madrid du foot maghrébin. Un joli compliment, non ? » Une semaine avant d'être victime d'un AVC qui lui sera fatal, Hajri, avocat dans la vie, nous racontait sa retraite prématurée à seulement 23 ans, en 1973-74. « J'ai attrapé une fièvre typhoïde qui a été mal soignée. Une fois reparti en France pour reprendre mes études, mon état a empiré. On n'a pas fait le bon diagnostic. On soupçonnait vaguement que j'ai attrapé une de ces maladies caractéristiques du continent africain. Toutefois, on n'a jamais pensé à la fièvre typhoïde, considérée là-bas comme une maladie classée, «disparue» et qu'on ne peut plus attraper. J'ai donc gravement rechuté : je suis tombé presque trois semaines dans le coma ; j'ai perdu une vingtaine de kilos. Dieu merci, je m'en suis relevé. Après cette rude épreuve, une fois au pays, j'ai repris les entraînements dans mon club conduit alors par le Yougoslave Radojica Radojicic. C'était la saison 1974-75. Comme une injure, Rado ne me convoque pas pour le match devant le CSHL. Et ce n'était pas la première fois qu'il le fait. Je décide de me retirer». «Un amour immortel» Les crampons rangés, Hajri se reconvertit dans le journalisme en rejoignant l'équipe de l'hebdomadaire du lundi «Le Sport» et son coéquipier Raouf Najjar, aux côtés du directeur Mahmoud Ellafi, feu Mustapha Zoubeidi, Ameur Bahri... « J'ai retrouvé mon statut de supporter, plus tôt que prévu, sans doute, mais sans regrets », nous racontait-il. Le président Moncef Sellami le nomme directeur sportif. Une expérience malheureuse qui ne dure pas plus d'un an. Avec les Hachicha, Zahaf..., il met en place une académie qui draine deux cents jeunes encadrés par neuf entraîneurs. « Ce sont de futurs supporters du club beaucoup plus que de véritables champions pour l'avenir », reconnaît-il. Toujours élégant, tout comme son frère Béchir, le gardien du CSS, Abdallah Hajri lance tel un testament: « L'amour du CSS ne peut pas mourir. C'est un virus. Lorsque nous étions à Paris pour les études supérieures, nous suivions l'équipe avec ferveur. Nous avons offert au club le maillot avec lequel il remporta le doublé de 1971. Le même maillot que l'Ajax qui était en vogue alors. Sauf que la couleur noire remplace le rouge». ‘'Ajax'', études à Paris, amour et ferveur: le défunt illustre un autre univers, une époque révolue que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître... Que l'âme du défunt repose en paix. L'enterrement aura lieu aujourd'hui, lundi 3 avril après la prière d'Al Dhohr, au cimetière du Jellaz. En cette douloureuse circonstance, «La Presse Sport» présente ses condoléances les plus attristées à la famille Hajri, ainsi qu'à la grande famille du CSS.