De notre envoyé spécial à Paris Karim BEN SAID En ce jour de scrutin, tout porte à croire que l'ex-ministre de l'Economie, jeune météore de la politique française, l'emportera face à une Marine Le Pen clivante, handicapée par l'héritage de son père, par son obstination à vouloir quitter l'Europe et l'euro et par son inexpérience dans le domaine économique, comme elle a pu le démontrer lors du débat d'entre deux tours. C'est pourtant un incroyable concours de circonstances qui le propulse, à 39 ans seulement, aux portes de l'Elysée. D'abord, des primaires au Parti socialiste qui font gagner Benoit Hamon, dont les positions sont trop à gauche et l'empêchent de rassembler. Ensuite, chez Les Républicains, François Fillon, lui aussi victorieux des primaires, est très vite rattrapé par le « Penelope Gate », qui le prive de la possibilité de déployer son programme. Les « Macronistes » et les candidats d'En Marche (le mouvement d'Emmanuel Macron) et du Modem (parti centriste soutien de Macron) sont sur un nuage, les Républicains misent désormais sur les législatives du mois de juin, les socialistes risquent l'implosion, le Front national et les mélenchonistes (extrême droite et gauche radicale), enfin, attendent la moindre brèche dans le « système », pour pouvoir s'y engouffrer. «Ça n'arrivera pas », voilà ce que répondent les proches d'Emmanuel Macron, lorsque des journalistes venus du monde entier les mettent devant l'éventualité de l'absence d'une majorité présidentielle à l'Assemblée nationale. « Les Français ont toujours été cohérents dans leurs choix, nous explique l'un des proches conseillers d'Emmanuel Macron. S'ils élisent Emmanuel Macron à la présidentielle, ils vont forcément élire les candidats d'En Marche pour les législatives ». Ce qu'il omet de dire c'est que les sondages montrent que 52% des électeurs d'Emmanuel Macron votent d'abord pour faire barrage à l'extrême droite. En juin, les électeurs français auront à nouveau un large choix devant eux. Les candidats d'En Marche, pour la plupart novices en politique, tout comme leur leader, devront affronter des candidats de gauche et de droite, bien ancrés et installés depuis plusieurs années sur l'échiquier politique. « Même si nos candidats n'ont jamais fait de politique, cela ne veut pas dire qu'ils sont inconnus dans leurs circonscriptions », affirme Sacha Houlié, 28 ans, avocat de profession et délégué national du mouvement En Marche. En effet, le mouvement En Marche a misé sur des jeunes militants de la société civile et entretenant donc un lien fort avec leurs circonscriptions électorales. Pour l'instant, les études menées notamment par OpinionWay donnent raison aux Macronistes dont le défi est de rafler la moitié des sièges du parlement (289 sièges). Si c'est le cas, selon les réformes, Macron ira chercher les quelques voix manquantes à droite comme à gauche. Ce n'est pas l'avis des Républicains qui aspirent à devenir la deuxième force politique du parlement, avec plus de 200 élus derrière les députés d'En Marche, de sorte que Macron ne puisse pas les ignorer et soit même dans l'obligation de les faire participer au gouvernement, ou mieux, faire de François Barouin, chef de file du parti et un proche de Sarkozy, le Premier ministre. « Nous allons nous battre dans toute la France pour faire gagner les Républicains, et pour que nous ayons le groupe le plus important à l'Assemblée, dit avec détermination Pierre Lequiller, député sortant des Républicains. Et si nous avons une majorité absolue ou relative eh bien, M. Macron sera peut être obligé de prendre François Barouin comme Premier ministre ». Cependant, dans plusieurs de ses interventions publiques, Emmanuel Macron a martelé qu'il n'y aura pas « d'accord d'appareils » (entre En Marche et un autre parti), une position qui fait sourire Lequiller. « C'est ce qu'il dit, mais au moment où il va falloir trouver une majorité, il sera bien obligé d'aller voir les uns et les autres, estime le député. Il a joué l'antisystème pendant toute la campagne mais quand on est face à un parlement, on est obligé d'aller discuter avec tout le monde ». Emmanuel Macron semble l'avoir enfin compris puisque jeudi, il a fini par infléchir sa position en expliquant que les politiques qui souhaitent joindre sa majorité présidentielle peuvent garder l'appartenance à leurs partis, mais doivent être en tous points d'accord avec son programme. Pour le FN, tout à gagner, rien à perdre Mystère et boule de gomme sur l'identité du Premier ministre d'Emmanuel Macron. Il l'a sans doute choisi, mais il ne le dira qu'une fois officiellement élu. La France est un régime « semi-présidentiel ». En d'autres termes, il sera présidentiel lorsque l'Elysée et l'Assemblée sont de la même couleur politique, mais le parlement aura plus de poids si les Français élisent une majorité différente lors des législatives. En juin prochain, si Les Républicains venaient à remporter le scrutin, Macron n'aurait bien évidemment d'autre choix que de nommer François Barouin comme Premier ministre. Si en revanche les candidats d'En Marche et ceux du Modem gagnent la majorité des sièges, Macron pourra choisir celui qui appliquera sa politique. Plusieurs noms circulent quant au nom du Premier ministre qu'il nommera au lendemain du second tour, à l'instar de l'actuel ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian qui soutient ouvertement le candidat d'En Marche, tout en continuant à appartenir au Parti socialiste. A droite, il pourrait également s'appuyer sur Nathalie Kosciusko-Morizet. Le hic est qu'elle est demeurée à l'écart de Macron, contrairement au centriste François Bayrou, allié stratégique et homme d'expérience. Sinon, les noms de certains « inconnus » sont pressentis pour occuper Matignon, à l'instar du parlementaire Richard Ferrand, qui a l'accompagné dès le départ de sa campagne. Macron n'a en tout cas mis en confidence que de très proches collaborateurs, mais il a dessiné les contours du portrait-robot de son Premier ministre. «C'est quelqu'un qui a vocation à mener ce combat. Ce sera quelqu'un qui a déjà une expérience politique, c'est indéniable», a-t-il déclaré au journal Le Parisien. «Quel que soit le résultat de dimanche, nous aurions fait un progrès considérable», lance Aymeric Durox, candidat Front national aux législatives. Cet instituteur originaire de Melun en région Île-de-France, estime que Marine Le Pen réalisera, indépendamment du résultat final, un score historique. « Marine Le Pen est encore là pour au moins 8 ans », dit-il. A 31 ans, il est membre du collectif « Racine » composé de ce qu'il appelle « des professeurs patriotes ». Aymeric pense d'abord que « le peuple de France » continuera à être en colère contre le « système ». « Cette colère continuera à être exprimée dans les urnes par un vote en faveur du Front national, explique-t-il. Nous sommes en train de briser le plafond de verre ». Ayant rejoint le Front national après sa reprise par la fille de Jean-Marie Le Pen, le jeune instituteur se félicite de la stratégie de « dédiabolisation » du parti. « Je n'ai jamais rencontré à l'intérieur du parti une seule personne défendant des thèses racistes, que ce soit parmi les cadres ou parmi les militants de bases », jure-t-il devant des journalistes, tout en admettant qu'il pourrait y avoir « des brebis galeuses ». Le thème de la sécurité reste cependant central dans le discours du Front national, qui mise notamment sur l'électorat des banlieues. « Nous avons de très bons scores dans les banlieues, car les habitants savent très bien que Marine Le Pen est la candidate de l'ordre », affirme-t-il. Chez l'électorat ouvrier, deux thématiques du FN l'attirent. D'abord l'immigration qui serait responsable du chômage et qui couterait de l'argent à l'Etat et ensuite l'Europe, qui, selon Marine Le Pen, ôte une partie importante de la souveraineté nationale de la France en lui imposant le droit européen.