Par Abdelhamid Gmati Le dernier discours du président de la République a fait couler beaucoup d'encre et de salive. C'est normal et il fallait s'y attendre. Il y a même eu des interventions anticipant le contenu, pour la plupart pessimistes et négatifs. Le chef de l'Etat s'est adressé à l'ensemble du peuple tunisien pour faire le point sur la situation politique, sécuritaire, économique et sociale qui prévaut dans le pays et mettre en garde contre les dangers qui menacent. Il a aussi identifié certaines données positives qui annoncent une relance de l'économie et donnent de l'espoir. Il a traité de ce qui se passe dans certaines régions, ces derniers temps, particulièrement les manifestations à Tataouine et dans le sud, soulignant qu'elles sont légitimes lorsqu'elles sont pacifiques mais ne doivent pas verser dans l'illégalité en bloquant le travail des entreprises et les routes. Et il a annoncé que l'armée nationale se chargera de protéger les entreprises et d'empêcher le blocage des routes. Il semble bien qu'après quelques mouvements de déception, le message a été entendu. Les manifestants à Tataouine ont entamé des discussions avec les autorités autour de leurs revendications. A El Kalaa (délégation de Douz-nord), la vanne du gazoduc de la compagnie pétrolière Perenco a été rouverte, suite à l'arrangement conclu, jeudi, entre les représentants des sit-inneurs et le gouverneur de la région. Et les manifestants de Golâa ont débloqué, vendredi dernier, la distribution de gaz, et ce, suite à une réunion tenue au siège du gouvernorat, entre le gouverneur de Kebili et la coordination du sit-in. Le chef de l'Etat s'est adressé, aussi, à l'ensemble de la classe politique avec certains messages quant à la nécessité de faire appliquer la force des lois afin d'éviter l'anarchie, le processus démocratique étant menacé dans le sens où certaines parties «minoritaires » veulent imposer leur loi quitte à recourir à la rue et à la désobéissance civile. « Car la première condition de la démocratie est l'Etat de droit. Et s'il a quelques problèmes, c'est parce que nous, par laxisme, nous n'appliquions pas l'Etat de droit». Et de rappeler que « la patrie passe avant les partis ». Au vu des réactions de la majorité des partis, force est de constater que le discours présidentiel n'a pas été entendu. Ils n'ont eu « qu'une écoute partisane ». Ils se sont déclarés « déçus ». Parce qu'ils s'attendaient à un changement de gouvernement ou à un chamboulement de la vie politique. Au lieu de quoi, ils ont eu droit à ceci : «Les impatients et les déçus des élections de 2014 n'ont pas à compter sur moi pour que je chambarde le paysage politique actuel. Ils doivent attendre les rendez-vous électoraux prévus fin 2019. Ils peuvent continuer à critiquer le gouvernement, la présidence de la République, mais au sein de l'hémicycle du Bardo où leurs députés ont droit à la parole, à la proposition et aux critiques, même les plus virulentes. Dans la rue, ils peuvent manifester, mais pacifiquement. Sauf quand il y a débordement et atteinte à l'ordre et à la sécurité du citoyen, l'Etat assumera ses responsabilités, c'est-à-dire qu'il imposera la loi. Ceux qui appellent à des élections présidentielle et législatives anticipées, tout simplement parce qu'ils font partie du paysage politique national et même s'ils s'opposent aux choix du gouvernement d'union nationale, leur présence au sein de la vie politique nationale est incontournable, sauf qu'ils doivent comprendre que dans les régimes démocratiques, la politique s'exerce au sein des institutions constitutionnelles, principalement au Parlement et non dans la rue». Inutile de rappeler toutes les réactions, mais évoquons quelques-uns, très significatifs de la « surdité » de leurs auteurs. Ammar Amroussia, député à l'Assemblée des représentants du peuple (ARP) pour le Front populaire : « Le discours d'Essebsi est provocateur, hostile et constitue une déclaration de guerre contre le peuple ». Mehdi Jomâa, ancien chef du gouvernement provisoire et secrétaire général du parti Al-Badil Ettounsi (Alternative tunisienne) : « le discours à la nation du président Caïd Essebsi n'a pas été à la hauteur des espérances des Tunisiens. Il est grand temps d'arrêter de faire des promesses inutiles et de passer à l'action ». N'a-t-il pas été l'auteur de plusieurs promesses inutiles ? Le Front populaire (FP) a dénoncé « l'option du président de la République Béji Caïd Essebsi pour la militarisation ». Pourtant, tout le monde sait que l'armée est déployée dans le sud où il y a une zone militaire. Et il y a quelques jours, les forces armées en faction au niveau de la station de pompage du gaz GPL venant d'Algérie vers l'Italie, au niveau de Majel Bel Abbes, ont dû repousser les assauts de protestataires qui étaient en sit-in devant la station depuis deux semaines, et qui voulaient investir la station et couper le passage de gaz. Les protestataires ont empêché les ouvriers travaillant sur le site de rejoindre leur poste de travail, obligeant la société Sergaz à faire travailler la station avec des équipes réduites. De plus, ce n'est pas la première fois que l'armée est en faction sur les sites de production pendant la période postrévolutionnaire. En 2011, le pays était en proie à tous les dangers, et l'armée était massivement déployée devant les lieux de souveraineté, les institutions nationales, les ministères et tous les édifices vitaux, en présence d'appels récurrents pour le retour des soldats aux casernes. Bref, on l'aura compris : « Il n'est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre ». Et la surdité politique est évidente et... dangereuse.