Selon le ministre de la Justice, soixante-dix-sept individus sont incarcérés pour avoir organisé le voyage de concitoyens tunisiens vers les zones de guerre où ils ont rejoint Daech et d'autres organisations terroristes, dont 31 ont été jugés tandis que 46 autres sont toujours en garde à vue. Mais qui sont-ils ? Sont-ils de simples exécutants d'ordres ou des commanditaires ? La nuance est importante. Car le véritable danger réside dans la banalisation de ces crimes et/ou leur justification par des arguments sociaux ou politiques Très peu de chiffres éloquents sortent des enquêtes policières et judiciaires menées sur les affaires liées au terrorisme. Les multiples et successives arrestations effectuées essentiellement au cours des deux dernières années se comptent par milliers et sont annoncées par communiqués officiels du ministère de l'Intérieur, sans plus. De visu et par perception, la situation sécuritaire s'est considérablement et incontestablement améliorée : la stratégie de lutte contre le terrorisme et les nombreuses et glorieuses opérations sécuritaires, surtout celles menées par anticipation, ont finalement eu raison de la période de grande insécurité qui a atteint son pic entre 2012 et 2015. Et c'est tant mieux. Mais, paradoxalement, aucune information ne filtre sur la suite donnée à ces arrestations, et surtout combien sont-ils à faire l'objet de mandat d'arrêt et à être condamnés pour crimes terroristes, en vertu de la loi antiterrorisme ? Et surtout, qui sont-ils ? Le mutisme qui entoure ces affaires n'a pas manqué d'alimenter les rumeurs, le doute et les polémiques, notamment sur une prétendue, peut-être probable, passivité, pour ne pas dire complicité, de certains juges qui ont tendance à relaxer trop facilement les suspects arrêtés et livrés à la justice. Certains, pour des considérations liées au respect des droits de l'Homme, s'opposeront au dévoilement de leur identité, mais le terrorisme n'obéit à aucune règle éthique ni logique droit-de-l'hommiste et ne peut donc être catalogué comme un crime « classique ». Dénoncer les auteurs de crimes terroristes est éthiquement et par respect aux victimes acceptable et pourrait même décourager des jeunes candidats au jihad de sauter le pas. Le fait de cacher l'identité d'un criminel lui épargne le sentiment d'humiliation et de honte, c'est de ce fait une forme d'impunité, une faveur qu'aucun criminel ne mérite ou qu'il est en droit de réclamer. Car, par ricochet, cela préserve également les commanditaires des ces crimes qui sont autrement plus dangereux et plus condamnables. C'est mercredi dernier que le ministre de la Justice a, enfin !, révélé un chiffre devant la Commission parlementaire d'investigation sur les réseaux d'envoi des jeunes Tunisiens vers les zones de conflits en Syrie, en Irak et en Libye. Soixante-dix-sept individus, selon le ministre, sont incarcérés pour avoir organisé le voyage de concitoyens tunisiens vers les zones de guerre où ils ont rejoint Daech et d'autres organisations terroristes, dont 31 ont été jugés tandis que 46 autres sont toujours en garde à vue. Selon le ministre de la justice, le nombre d'affaires liées au terrorisme s'élève actuellement à 1.951. Soit. Mais qui sont-ils, ces individus ? Sont-ils de simples exécutants d'ordres ou des commanditaires ? La nuance est importante, autant que l'impact de ces arrestations sur le rétablissement durable de la situation sécuritaire. Car le véritable danger réside dans la banalisation de ces crimes et/ou leur justification par des arguments sociaux ou politiques. La guerre contre le terrorisme n'a rien à voir avec les opérations sécuritaires, aussi musclées soient-elles, contre les bandes de délinquants, de trafiquants. C'est une guerre à armes inégales contre des fanatiques endoctrinés, bien armés, bien financés, bien protégés par des réseaux internationaux en relation avec des pouvoirs politique et financier. Sinon le terrorisme n'aurait pas frappé partout dans le monde, n'épargnant aucun continent. Le ministre a, à ce titre, qualifié de « complexes « les dossiers liés au terrorisme et à l'envoi des jeunes en zones de conflits, puisque, soulignera-t-il encore, plusieurs acteurs étrangers y sont impliqués. Pour cela, il y a lieu de rendre hommage aux élus de l'ARP, dont la présidente (Leïla Chettaoui) de la commission parlementaire chargée d'examiner l'épineuse question de l'envoi de jeunes dans les zones de conflits, qui ont accepté de se pencher sur ce dossier aussi difficile que dangereux. Car il est indubitable que si ces députés font correctement leur travail, ils vont déranger et seront probablement inquiétés. N'est-ce pas le cas de Leïla Chettaoui qui est à l'origine de la création de cette commission parlementaire, l'ex-nidaiste expulsée, quelques mois plus tard, de et par son propre parti et, depuis hier, limogée de la commission elle-même, avant l'achèvement de la session parlementaire ? Mais il faut bien remarquer que le courage ne manque pas chez certains élus. Ceux du bloc parlementaire d'El Horra-Machrou Tounès ont décidé d'aller plus loin dans leurs investigations. Ils vont proposer, mardi prochain, en séance plénière à l'ARP, une motion afin d'examiner, avec leurs collègues, les dispositions juridiques nécessaires et d'intenter une action devant la Cour pénale internationale contre les terroristes tunisiens appartenant à des organisations terroristes telles que Daech, Al-Qaïda, Front Al-Nosra... et qui seraient impliqués dans des crimes terroristes en Libye, en Irak et en Syrie. Dans le cas échéant, si leur initiative débouche effectivement sur un procès devant la CPI, aucun terroriste n'aura ce privilège de garder l'anonymat et surtout les Tunisiens connaîtront les véritables responsables, c'est-à-dire les commanditaires de l'envoi de leurs enfants dans ces pays arabes frères pour y semer la mort. Malheureusement, faut-il l'avouer, les courageux prêts à affronter de face le terrorisme ne sont pas très nombreux, pas autant, visiblement, que ceux qui ont défendu avec force, sur les plateaux de télévision et dans les studios de radios, les droits des détenus pour des affaires de terrorisme. Et là, il y a sujet à réflexion et à débat. Car sans une mobilisation générale contre le terrorisme, la guerre sera longue et dure pour tous, pour la Tunisie.