Dans le cadre de la guerre contre la corruption, le gouvernement a décidé de lever le voile sur l'argent qui coule à flots dans diverses associations dont le nombre a explosé après 2011. Il vient de lancer un ultimatum d'un mois aux associations pour qu'elles obéissent aux règles contenues dans le décret 88/2011. On l'a dit et répété dès les premiers jours de la publication du décret 88/2011 relatif à la constitution des associations : il sera très difficile de contrôler l'argent qui va couler dans les caisses des associations d'autant plus que le décret en question autorisait ces mêmes associations à recevoir un financement extérieur provenant d'organisations similaires ou s'inscrivant dans le cadre de programmes de formation organisés périodiquement par les pays de l'Union européenne désirant initier nos pays aux pratiques démocratiques. Et dans la foulée de l'effervescence révolutionnaire et de la volonté de tout le monde de faire entendre sa voix, d'une part, et à la faveur, d'autre part, de la réhabilitation de l'action associative qui a perdu son aura et sa crédibilité à l'ère de Ben Ali dont l'appareil sécuritaire contrôlait toutes les associations même celle de la jeunesse constitutionnelle relevant du RCD dissous, on a pris la décision de répondre positivement à toutes les demandes de création d'associations, de faciliter au maximum les procédures y afférentes et de ne plus effectuer d'enquête sécuritaire sur les solliciteurs d'une autorisation pour la formation d'une association quelconque. Mais la nouveauté la plus remarquable et marquante du décret-loi en question était la levée du tabou financement extérieur mais à condition qu'il soit déclaré à la Banque centrale de Tunisie (BCT) et à condition aussi que les associations, quelle que soit leur vocation (religieuse, culturelle, de bienfaisance ou même sécuritaire comme à titre d'exemple l'Association de sécurité républicaine dirigée par Imed Dardouri), fassent parvenir à la Cour des comptes un rapport annuel sur les recettes dont elles disposent et sur les dépenses qu'elles ont effectuées. Au départ, l'intention était des plus louables : permettre de revivifier auprès des Tunisiens la culture associative et l'engagement de la société civile en vue de participer à la gestion des affaires de la cité, lesquels engagement et culture ont pris un coup dur quand les associations à l'époque de Ben Ali se sont transformées en de simples réseaux d'information et de renseignement. Elles étaient quelque 9.000 associations à s'activer à l'époque du régime déchu auxquelles on réservait une journée nationale célébrée le 23 avril de chaque année et pour la supervision desquelles le RCD dissous consacrait un secrétariat général adjoint auprès de la direction centrale du parti à Tunis et des secrétaires généraux adjoints auprès des comités de coordination dans les régions. Aujourd'hui, leur nombre a atteint plus de 18 mille dont plus de 10 mille n'ont pas d'identifiant fiscal, ce qui revient à dire qu'elles opèrent dans le noir, n'ayant pas d'adresse ou de siège. Et en plus clair, elles ne peuvent pas être poursuivies par la justice pour absence d'existence légale. La présence de ces associations, le plus souvent à vocation religieuse ou caritative, est perceptible lors des occasions religieuses ou lors de la rentrée scolaire quand elles distribuent des aides à des citoyens qu'elles sélectionnent généralement sur la base de critères qui leur sont propres au point qu'au sein d'une même famille, il y a ceux qui sont choyés par ces mêmes associations et ceux qui sont totalement ignorés. Que peut faire le gouvernement pour moraliser le secteur ? Quand la guerre contre la corruption a été déclenchée officiellement fin mai dernier avec l'arrestation des premiers gros poissons en attendant les restants que Youssef Chahed ne cesse de nous promettre de coffrer un jour ou l'autre, beaucoup de voix se sont élevées appelant à ce que le dossier des associations soit ouvert sérieusement, plus particulièrement au niveau des financements qu'elles reçoivent aussi bien de provenance nationale qu'étrangère. Il faut reconnaître tout de même que les gouvernements ayant précédé celui de Youssef Chahed ont déjà réagi sous la pression médiatique, faut-il le dire, et ont tenté tant bien que mal d'endiguer le flux associatif impressionnant quand on a commencé à s'interroger sur les millions de dinars mis à la disposition de quelques associations caritatives opérant dans les régions, voire dans des localités lointaines, par des pays étrangers. On sentait que quelque chose ne marchait pas. Sauf qu'on n'a rien prouvé contre ces associations et on s'est limité à leur infliger une sanction de cessation d'activités, de l'ordre d'un mois. Il semble, cette fois, que l'affaire va être traitée différemment au niveau du gouvernement qui vient de lancer un ultimatum d'un mois aux associations pour qu'elles obéissent aux règles contenues dans le décret 88/2011. Elles doivent «informer le secrétariat général du gouvernement sur tous les financements étrangers qu'elles ont reçus, publier des communiqués de presse sur ces mêmes financements. D'autre part, chaque association ayant bénéficié d'un financement public se doit de soumettre à la Cour des comptes un rapport annuel détaillé sur ses sources de financement et sur ses dépenses, et ce, conformément à l'article 44 du décret en question. Au cas où les associations n'obéiraient pas aux injonctions du secrétariat général du gouvernement, elles seront poursuivies par-devant la justice et risqueraient par conséquent la dissolution. Les observateurs se demandent si le gouvernement a les moyens humains et matériels pour mener à bien sa bataille contre les financements illicites dont plusieurs ont cessé d'exister officiellement après avoir accompli la mission pour laquelle elles ont été formées». La question est légitime et quand on la pose, on n'a nullement l'intention de douter de la volonté du gouvernement de gagner sa bataille contre la corruption sous toutes ses formes et d'en extirper les racines, d'où qu'elles proviennent. L'ultimatum lancé par le gouvernement constitue, certes, un signal fort, une onde de choc. Leurs fruits restent toutefois, dépendants de l'engagement de certaines parties politiques à y adhérer pleinement et à «lâcher ces associations qui ont fait leur temps», comme n'hésitent pas à le faire remarquer beaucoup d'analystes. Dans la politique, il y a un temps pour prendre les décisions et assumer ses responsabilités. Youssef Chahed a pris les siennes. On attend les autres.