La seule plage digne de ce nom à Sfax réserve constamment de mauvaises surprises aux baigneurs. A Sfax, il y a trois catégories de citoyens, les nantis qui possèdent des résidences secondaires, souvent de luxe, partout sur les côtes tunisiennes, les fonctionnaires qui ont le moyen de se permettre un bref séjour dans les hôtels et les citoyens lambda, obligés de faire le déplacement soit en bus, soit par le train, soit dans leurs voitures privées vers les plages de Mahdia et de Sousse et plus particulièrement à Chaffar, située à une trentaine de kilomètres de la ville. Alors que les pères de famille espèrent passer une agréable journée, le week-end, à Chaffar, dès le départ, les prémices sont loin d'être rassurantes. Cette plage enregistre, en effet, une affluence record les samedis et dimanches, comme en attestent les estimations officielles lesquelles situent le nombre de baigneurs à 120 mille, chaque fin de semaine. Ces marées humaines généralement peu étouffées par le civisme laissent derrière eux des déchets et autres ordures hétéroclites : reliefs de repas, bouteilles et sachets en plastique, peaux de pastèques et de melons, croûtons de pain, pots de yaourt, canettes métalliques de bière et de boissons gazeuses, etc. De quoi submerger les agents de la municipalité de Mahrès à laquelle la plage est administrativement rattachée depuis peu sans pour autant disposer des moyens logistiques et financiers adéquats. Une fois arrivées sur les lieux, les familles commencent à regretter le déplacement. Hafedh K. nous raconte, à ce propos, sa mésaventure familiale: «Dès que nous avons débarqué sur la plage et pendant que nous étions affairés à installer notre parasol et à placer table et chaises, des gros bras s'amènent et nous somment de payer le droit d'installation et d'utilisation de leur parasol et de leurs propres table et chaises. Comme il n'y avait pas moyen de s'entendre avec eux, nous nous sommes résignés à chercher un autre coin, loin de leur fief, non sans ressentiment, car on se croyait dans notre droit en tant que citoyens tunisiens !» Le pire, c'est que, d'après notre interlocuteur, ces concessionnaires ont commencé, vers le coup de 19h30, à étendre arbitrairement leur «territoire légal», en envahissant de nouveaux espaces avec d'autres parasols et d'autres tables, en prévision de l'affluence massive du lendemain, un dimanche. «Que dire, sinon, que ce qui était censé être une villégiature et des moments de détente ont été tout simplement gâchés. Mais le pire, c'est le droit d'entrée aux toilettes : un dinar la personne quel que soit le besoin ! De surcroît, il s'agit de lieux infects, répugnants et pestilentiels ! Mais ce qui est marrant dans cette question, c'est que ces WC d'un autre âge font l'objet d'une surveillance impossible à tromper de la part de cerbères vigilants et intraitables », fait remarquer un autre citoyen encore traumatisé par le souvenir d'une visite à ces lieux placés sous haute surveillance. Un troisième témoin, S. Tounsi, dont la famille compte six personnes, raconte avoir laissé des plumes lors d'un dimanche passé à Chaffar : «La note est forcément salée pour un père de famille qui s'avise d'aller à cette plage. En fin de compte, la facture a de quoi donné à réfléchir : 14 dinars pour le carburant, 10 pour le parasol, 6 pour les sièges, 1.5 pour le parking, 6 pour les toilettes, 60 dinars pour la bouffe. Total : 96.500 dinars ! Ce que je déplore, surtout dans cette somme, c'est le prix qu'on m'a extorqué pour le parasol et les chaises. C'est du pur racket, au vu et au su des autorités régionales qui font la sourde oreille, laissant les honnêtes citoyens à la merci d'une pègre sans scrupules ni vergogne». Dans cette situation, le dépit des citoyens vient de l'indifférence des agents de sécurité affectés sur les lieux. Renseignements pris, les sécuritaires n'estiment pas de leur devoir d'intervenir sachant que lesdits concessionnaires exploitent ces segments de plage en vertu de droits de concession en bonne et due forme, obtenus auprès de l'Agence de protection et d'aménagement du Littoral (Apal). Mais en est-il de même pour les autorités régionales et plus précisément pour le gouverneur de Sfax aux immenses prérogatives ? La seule note gaie, dans toute cette histoire, c'est la vigilance des agents de la Garde nationale en matière de sécurité des estivants. Les témoins louent à ce propos la multiplication des patrouilles qui aboutissent régulièrement à la verbalisation de gens surpris en train de se saouler sur la plage, à la saisie de boissons alcoolisées et à l'arrestation de délinquants faisant l'objet de recherches par la justice, ainsi qu'à la saisie d'engins motorisés volés ou sans papiers.