Le président de la République fait d'une pierre deux coups : il relance le consensus en décalant légèrement la géométrie, et conforte les chances de ses adeptes pour l'échéance municipale Par ses «propositions» explosives à propos des droits des femmes, le président Béji Caïd Essebsi, co-père du consensus national, entre en force dans la campagne électorale des municipales et redistribue les cartes au sein d'un échiquier politique jusque-là dans une léthargie anarchique par trop bruyante. L'initiative présidentielle consistant en une réflexion nationale à propos d'une éventuelle législation instituant l'égalité en héritage entre femme et homme ainsi que la liberté pour nos filles de se choisir un époux tunisien ou étranger indépendamment de sa confession, est ainsi venue, à quatre mois des municipales, prévues pour le 17 décembre 2017, provoquer et réveiller l'ensemble de la classe politique, les multiples expressions de la société civile et la grande diversité des citoyens, les religieux et le mufti en tête. En lieu et place d'une cacophonie improductive Les propositions du chef de l'Etat font de lui, encore une fois, un promoteur écouté d'initiatives politiques porteuses. Après le lancement du Document de Carthage qui a enfanté le gouvernement d'union nationale, élargissant le consensus à neuf partis et trois organisations socioprofessionnelles, puis le feu vert à l'audacieuse entrée en guerre contre les pontes de la corruption pilotée par Youssef Chahed, voici que le président prend à contrepied la polémique sur les «conseils» de Ghannouchi à Chahed à propos de la présidentielle 2019, en mettant sur la table ses propositions au sujet de droits et liberté en faveur des femmes que la Constitution suggère clairement mais que le texte coranique conteste, à moins d'une lecture permissive sous l'angle de l'«ijtihad» et de l'évolution moderne de nos sociétés. En lieu et place d'une cacophonie improductive dont nous avons vu des «sommets» lors du débat sur la loi contre la violence faite aux femmes, le président de la République donne du mordant à une nécessaire campagne électorale que les différents partis ne cessaient d'ajourner. Des attitudes inattendues, voire improbables La réaction des partis a pleinement été au rendez-vous, mais souvent aux antipodes des attentes pessimistes des commentateurs, blogueurs et autres analystes qui prédisaient division et zizanie. Là où l'on attendait une opposition frontale, les avis se sont avérés partagés, parfois même plutôt bienveillants, suggérant d'élargir et d'approfondir les débats. Alors que Rached Ghannouchi, absent, semble réserver son opinion d'habitude si déterminante au sein de son parti, les rangs des islamistes se présentent comme dispersés, ce qui a été le cas depuis l'arrestation de Chafik Jarraya, puis suite au passage de Ghannouchi sur Nessma. Malgré la crainte de voir le débat inattendu imposé par les propositions du président de la République déboucher sur un affrontement idéologique majeur, les formations, personnalités et groupes politiques les plus divers ont opté pour un appui franc, à l'image de celui rendu public par Mehdi Jomaâ et son parti. Tous les nidaïstes historiques derrière le président Le parti Nida Tounès officiel s'est instantanément montré discipliné à l'égard de l'initiative de son fondateur, sans la moindre nuance ou influence de la part de ses alliés d'Ennahdha, quelque «aile» que ce soit. En fait, cet appui total s'est retrouvé chez tous les nidaïstes historiques, Mohsen Marzouk en tête et avec zèle. Ce alors que le nouveau parti des Belhaj, Rmili... , sans prendre officiellement position, il a vu Boujemâa Rmili laver le président de toutes les accusations belliqueuses que ses propositions ont parfois suscitées sur les réseaux, pour conclure en affirmant son aval total à cette «bataille bourguibienne» qu'est l'égalité pour la femme en droits et devoirs. Une nouvelle configuration de l'échiquier Le reste de la classe politique est plutôt dans les rangs, saluant, approuvant ou nuançant, parfois réclamant davantage de radicalisme dans l'affirmation des réformes suggérées. Le Front populaire est tellement favorable qu'il y voit une manœuvre électoraliste visant à lui «confisquer» ses électeurs et spécialement ses électrices qu'il appelle à la vigilance. Quant aux destouriens, ils proposent un élargissement de la commission d'experts nommée par le chef de l'Etat. Bref, BCE fait d'une pierre deux coups : il relance le consensus en décalant légèrement la géométrie, et conforte les chances de ses adeptes pour l'échéance municipale. Ennahdha n'est plus seule en course et les nidaïstes se retrouvent dans le même panier.