Le 26 août 2016, Youssef Chahed a, à seulement 39 ans, été propulsé à la tête d'un gouvernement aux défis énormes. Au terme d'une année, a-t-il réussi son pari tel qu'il l'a clairement formulé dans son discours d'investiture face à des députés alors fort enthousiastes ? A-t-il été lui-même un facteur de changement ou, comme le laissent entendre certains «alliés», a-t-il été un simple exécutant du Document de Carthage ? Il y a un an jour pour jour, le président Caïd Essebsi prenait les choses en main, en poussant vers la sortie le chef du gouvernement Habib Essid et en engageant avec Ghannouchi, son allié de circonstance, une négociation autour d'un gouvernement d'union nationale. Une négociation qui aboutit à l'élaboration du Document de Carthage. Un document d'une douzaine de pages censé fixer les priorités du futur gouvernement d'union nationale, réparti en 6 chapitres : vaincre le terrorisme, accélérer le rythme de croissance et d'emploi, la lutte contre la corruption et la mise en place des mécanismes de bonne gouvernance, la maîtrise des équilibres financiers et l'application d'une politique sociale efficace, l'élaboration d'une politique spécifique aux collectivités locales et enfin la poursuite de l'installation des institutions de la deuxième République. Le casting pour le poste de chef du gouvernement n'a pas duré longtemps et , très vite, le choix s'est posé sur le jeune ministre des Affaires locales, Youssef Chahed, qui, jusque-là, s'était fait très discret. A seulement 39 ans, il est propulsé au sommet d'un gouvernement aux défis énormes. En une année, Chahed a-t-il réussi son pari ? A-t-il été lui-même un facteur de changement ou, comme le laissent entendre certains «alliés», a-t-il été un simple exécutant du Document de Carthage ? Que ce soit du côté de ses alliés ou de ses opposants, on s'accorde à dire que le gouvernement Youssef Chahed possède un bilan mitigé. Positif sur certains dossiers, certes, mais négatif sur d'autres. Points forts : sécurité et lutte contre la corruption Mongi Harbaoui, député de Nida Tounès, pense ainsi que sur le plan sécuritaire, le gouvernement Youssef Chahed a réussi à stabiliser la situation, en témoigne la série de levées des restrictions de voyage décidées par la Grande-Bretagne ou encore la Belgique. Même constat du côté de Machrou Tounès, où Watfa Belaid, présidente du conseil central du parti, rappelle que le climat sécuritaire s'est beaucoup amélioré à la suite d'opérations anticipatives des forces de sécurité et au démantèlement, quasi quotidien, de cellules terroristes. Autre dossier dans lequel Youssef Chahed peut se prévaloir de réussite, c'est sans conteste celui de la lutte contre la corruption. Figurant sur le Document de Carthage, la lutte contre la corruption a également été une promesse du chef du gouvernement lors de sa première interview télévisée. Il avait promis, clairement, que les corrompus iront en prison. A l'époque, beaucoup avaient douté de la sincérité de ses propos et surtout de sa capacité à agir. Il leur donnera tort, en procédant, dès le mois de mai à une série d'arrestations dans le milieu des grands contrebandiers et sulfureux hommes d'affaires, parmi lesquels Chafik Jarraya. Toutefois, Mongi Harbaoui pense que cette lutte est accompagnée « d'un flou et d'une opacité inacceptables ». Abir Moussi, présidente du Parti destourien libre (PDL), pense également que Youssef Chahed, « en raison de son alliance politique avec Ennahdha », ne réussira pas à mener cette guerre à son terme. « Nous avons présenté des dossiers de corruption dans lesquels Ennahdha est impliquée, mais rien n'a été fait, estime-t-elle. Pour une raison toute simple, c'est que Youssef Chahed a besoin d'Ennahdha pour pouvoir gouverner ». Point faible : équilibres financiers Cependant, ce joli tableau du jeune chef du gouvernement faisant la guerre à la corruption est écorné par le bilan économique du gouvernement. Aucun des politiques interrogés ne se hasarde en effet à accorder une bonne note sur ce dossier. « Le problème est que la lutte contre la corruption n'a pas eu l'impact qu'on attendait sur l'économie, explique Watfa Belaïd. Peut-être que l'absence d'un plan clair de lutte contre la corruption en est la raison ». Pour elle, les arrestations sporadiques ne peuvent suffire à redresser l'économie. Le Document de Carthage prévoyait noir sur blanc la maîtrise des équilibres financiers. Sur ce point précis, le gouvernement d'union nationale n'a pas réussi ou n'a pas eu le temps nécessaire pour le faire. « Le dernier rapport de l'agence de rating Moody's prouve l'échec de ce gouvernement sur le plan économique, relève Fethi Chemkhi, député du Front Populaire et partisan d'un moratoire sur le paiement du service de la dette. Il estime en effet que les gouvernements successifs ont, pendant sept ans, suivi le même modèle. « Ce modèle consiste en une fuite en avant dans l'endettement en espérant une reprise économique, dit-il. Ce modèle nous mène vers la ruine et la cessation de paiement ». Abir Moussi, quant à elle, pointe du doigt un régime politique inadéquat qui ne permet à aucun gouvernement, quelle que soit sa compétence, de mener à bien les réformes nécessaires. « Le détenteur du pouvoir, duquel les Tunisiens attendent le changement, est otage des quotas partisans et des alliances politiques, explique-t-elle. Le chef du gouvernement est otage du jeu des groupes parlementaires, tandis qu'en même temps, le président de la République dispose de peu de prérogatives pour pouvoir imposer un quelconque changement ». L'organisation I Watch présentera après l'Aïd son évaluation du travail gouvernemental depuis le 26 août 2016, conformément à ce qu'ils appellent «le Chahedmeter». « Nous nous sommes basés principalement sur le Document de Carthage mais aussi sur sa première interview accordée à la télévision nationale et les promesses annoncées lors de ses visites dans les régions, déclare Manel Ben Achour, directeur exécutif de l'organisation. Ce que nous pouvons dire a priori, c'est que nous avons une faible exécution des promesses en faveur des régions ». Malgré les réformes engagés donc, tout reste à faire pour le gouvernement Youssef Chahed. Il aura jusqu'à octobre 2019 (une année et demie) pour se rattraper sur le plan économique et présenter aux Tunisiens un bilan capable de séduire un probable électorat.