Cinéma au Musée et la ville de Sousse ont rendu hommage au cinéaste algérien Merzak Allouache. Un hommage à la hauteur d'un grand cinéaste avec la projection de la version restaurée HD 4K de «Omar Gatlato», son premier long métrage réalisé en 1976 qui avait marqué une rupture avec la thématique du cinéma algérien alors axée sur l'épopée de la lutte pour l'indépendance. 40 ans et 25 films plus tard, Merzak Allouache a présenté sa dernière œuvre «Tahqiq fil Djenna (Enquête au Paradis), un documentaire-fiction qui décortique le mythe du paradis véhiculé par les prédicateurs du Maghreb et du Moyen-Orient. «Enquête au Paradis» a été présenté en avant-première au Cinéma au Musée, mardi 29 août. Merzak Allouache est, sans conteste, le cinéaste le plus prolifique du Maghreb. Avec 25 films de fiction et documentaires, il est l'un des rares à pouvoir revendiquer une œuvre fondée sur l'observation de la comédie humaine et en particulier de la société algérienne. Déjà, en 1976, son premier long-métrage de fiction, «Omar Gatlato», qui a fait l'ouverture de la 3e édition de Cinéma au Musée, samedi 26 août, est un pavé dans la mare du cinéma algérien alors balbutiant et dominé par l'épopée de la lutte pour l'indépendance. «Omar Gatlato» est une comédie féroce sur la difficulté des rapports homme/femme et la misère sentimentale et sexuelle des jeunes Algériens. Omar le macho —c'est le sens de Gatlato dans le langage populaire algérois— est un jeune fonctionnaire désœuvré qui tombe amoureux d'une voix féminine enregistrée sur une cassette. Il perd ses moyens et sombre dans les tourments de l'amour. Dans l'Algérie au socialisme triomphant des années 70, Merzak Allouache avait pris le parti de l'humour pour explorer et dénoncer les travers d'une société qui commençaient à faire surface pour exploser, une décennie plus tard, avec les émeutes de 1988. Merzak Allouache considère d'ailleurs que «l'Algérie n'a toujours pas exorcisé ses démons». Le cinéaste algérien réalisera ensuite plus de 15 films, entre autres «Harragas», «Chouchou», «Bab El web» «Tâta Bakhta», «Madame courage» et, récemment, «Le repenti» 2012 et «Les terres» 2013. Deux films qui sont d'une remarquable sensibilité et qui compteront certainement dans l'histoire de la cinématographie algérienne. Dans «Le repenti», Rachid, un jeune jihadiste, quitte la montagne et regagne son village. Selon la loi de "pardon et de concorde nationale", il doit se rendre à la police et restituer son arme. Il bénéficie alors d'une amnistie et devient "repenti". Mais la loi ne peut effacer les crimes, et pour Rachid s'engage un voyage sans issue où s'enchevêtrent la violence, le secret, la manipulation. Dans «Les terrasses», une foule étonnante grouille et s'agite sur les terrasses d'Alger. Des espaces clos, devenus miroirs à ciel ouvert des contradictions, de la violence, de l'intolérance, des conflits sans fin qui minent la société algérienne. Aujourd'hui Merzak Allouache s'intéresse aux prédications des imams salafistes d'Algérie qui conditionnent une partie de la jeunesse algérienne. C'est ce que démontre Merzak Allouache dans son dernier film «Tahqiq fil Djenna». Ce docu-fiction, couronné du Fipa d'or du documentaire de création (Festival international des programmes audiovisuels de Biarritz, 2016), du Prix Panorama du Jury Œcuménique au festival de Berlin (2016) et du prix Télérama du meilleur documentaire (2016), décortique les mythes du paradis véhiculés dans les prêches des prédicateurs intégristes. A travers l'enquête d'une journaliste qui interroge hommes et femmes, jeunes gens, intellectuels et artistes, Merzak Allouache tourne en dérision ces croyances qui deviennent terrifiantes lorsque des jeunes sont prêts à se faire exploser pour la chimère des 72 vierges promises aux martyrs. Dans le film, le chroniqueur et écrivain algérien Kamel Daoud affirme que «le paradis est le concept le plus dévastateur qui existe». Tourné en noir et blanc pour ne pas distraire le spectateur et l'amener à se concentrer sur la parole, «Tahqiq fil Djenna» a été réalisé dans l'urgence, comme tous les films que le cinéaste a entrepris depuis 2011. Comme si les bouleversements que connaît le monde arabe depuis le début de cette décennie poussaient à témoigner vite et bien, sans fioritures et dans un souci d'efficacité.